Tunisie, extrémisme, ignorance, violence et dilettantisme

par Henri Diacono
vendredi 30 novembre 2012

 Bientôt deux ans que la Tunisie, lancée sur le chemin tortueux de la démocratie grâce au sacrifice d’un jeune chômeur, peine à atteindre le but recherché. Elle est retardée, voire combattue par trois redoutables adversaires : l’extrémisme religieux, l’inexpérience crasse de ses nouveaux édiles et leur ignorance de la « citoyenneté » et, enfin celle qui pollue, il faut l’admettre, une bonne partie du peuple qui étale au grand jour son manque de culture politique ou tout simplement civique. Il y a plus décevant et inquiétant encore. A savoir le dilettantisme de bon nombre de ses élus, 30% d’entre eux… n’ayant jamais mis les pieds (ou leurs fesses) dans les travées de l’Assemblée Constituante pour laquelle ils ont été choisis lors des premières élections libres du pays, en octobre 2011.

 En somme, des tas d’ingrédients malsains, proliférant dans un laxisme coupable des dirigeants actuels, font que le pays est au bord de la « chienlit » comme aurait dit l’Autre. Et ce, malgré les avertissements répétés depuis des mois, sous la forme de grèves et de manifestations, d’une partie de la population, dont certaines se transforment hélas en des affrontements d’une violence inouïe avec les forces de l’ordre.

 La dernière en date, s’étalant sur trois jours (27,28 et 29 novembre), a été sauvagement réprimée le 28 à Siliana, au sud ouest de la capitale, dans une région très pauvre où le chômage a atteint des sommets jamais connus dans le pays. Elle s’est soldée par plus de 250 blessés parmi les manifestants qui souffrent d'impacts de chevrotine de petit calibre, de contusions, de fractures et de coupures. Dix-neuf d’entre eux ont été éborgnées ou aveuglés par les tirs et ont été transférées à Tunis dans un établissement ophtalmologique. Deux journalistes de la chaîne d'information France 24 ont été également légèrement blessés. Cette manifestation, qui n’est pas sans rappeler celle qui avait conduit à la révolte contre le dictateur Ben Ali, donnant ainsi naissance aux « printemps arabes », avait été organisée et conduite par la centrale syndicale ouvrière UGTT « pour réclamer la démission du gouverneur régional (un proche parent du premier ministre islamiste qui a été maintenu dans ses fonctions), un programme de développement économique et la libération de manifestants arrêtés… en avril 2011 ».

 Dans ce contexte de remous successifs, alors que l’économie est en berne, tourisme compris, et que le chômage ne cesse de grimper, l’extrémisme religieux est le plus dangereux. Celui des salafistes, d’obédience saoudienne. Des ultras proches du parti Ennahda « qui est composé de musulmans modérés » à en croire le président US Obama et des occidentaux qui apparemment sont mal informés (ou bien voudraient qu’on le croit), et qui est au pouvoir depuis plus d’un an, sous le sigle « Mouvement de la Renaissance » issu des orthodoxes « Frères Musulmans ».

  Deux de ces salafistes, détenus pour avoir participé aux violences provoquées dans le pays par leur mouvance, sont morts des suites d’une grève de la faim entamée il y a plusieurs semaines, sans nourriture ni eau. L’un d’eux n’était autre que l’un des leaders les plus radicaux du mouvement, Mohamed Bakhti qui, après la révolution, en 2011, avait été libéré de la prison où il purgeait une peine de 12 années de captivité prononcée contre lui quatre ans plus tôt (du temps de Ben Ali) pour avoir guerroyé contre l’armée, non loin de Tunis.

 Près de cent-trente de leurs coreligionnaires seraient actuellement détenus dans les prisons tunisiennes (trois cents selon d’autres sources) et une cinquantaine d’entre eux observeraient une grève de la faim selon une source judiciaire, alors que pour le collège de la cinquantaine d’avocats qui assurent leur défense sept de ces « grévistes » se priveraient de toute nourriture et de toute boisson. Deux d’entre eux, dans un état grave, ont été à leur tour hospitalisés le 21 novembre. 

 Très actifs tout au long de plusieurs mois, toujours dans la violence, les salafistes n’ont commencé à être combattus sérieusement par les forces de l’ordre que depuis peu. Exactement au lendemain du 14 septembre lorsque le dirigeant du parti islamiste au pouvoir, Rached Ghannouchi, avait été sévèrement sermonné, menacé plus exactement, par le Département d’Etat US à la suite de la mise à sac des locaux de l’Ambassade des Etats Unis et l’incendie de l’Ecole Américaine attenante. Les affrontements s’étaient alors soldés par quatre morts parmi les manifestants, des dizaines de blessés et plusieurs arrestations.

 La répression du mouvement extrémiste s’est ensuite subitement accélérée, près de Tunis, après l’attaque à la hache d’un commandant de la Garde Nationale (équivalent de la gendarmerie française) par un salafiste qui fut arrêté quelques jours plus tard, près de la frontière libyenne qu’il s’apprêtait à traverser, après…s’être rasé la barbe et avoir revêtu des vêtements européens. A cette occasion des perquisitions effectuées dans deux mosquées de la banlieue de la capitale avaient permis de découvrir un important arsenal d’armes blanches de toutes sortes.

 Le mouvement est dirigé par un homme de 47 ans connu sous le pseudonyme de Abou Iyadh (Seif Allah Ben Hassine de son vrai nom), actuellement en fuite. Ancien combattant d’Al- Qaida, il avait participé à l’assassinat (qu’il avait organisé) en Afghanistan du célèbre opposant aux talibans, le commandant Massoud en septembre 2000. Au lendemain de la Révolution tunisienne, il avait été libéré de prison où il purgeait, sous l’ère Ben Ali, une peine de 43 ans pour terrorisme après avoir été extradé de Turquie où il avait été arrêté. Financé par l‘Arabie Saoudite, cet ancien partisan des Frères Musulmans où il avait fait la connaissance de Rached Ghannouchi qui l’avait tout récemment adoubé, a aussitôt crée l’organisation salafiste « Partisans de la Charia » (Ansar Al Charia) en toute légalité et sous l’œil bienveillant de l’Occident principal bailleur de fonds du pays. En compagnie d’un prédicateur et d’un idéologue très actifs, et compte tenu de la passivité du Ministère de l’Intérieur, on lui doit la conduite de plusieurs manifestations violentes dans le pays à partir de mai 2011 (occupation de la Grande Mosquée de Kairouan), après avoir pu facilement enrôler fidèles et…combattants, dans les quartiers déshérités des villes et des régions pauvres de la nation, essentiellement, ou presque, parmi les voyous et les chômeurs, illettrés pour la plupart. 

 Il s’est avéré par exemple, lors de l’enquête qui a suivi l’attaque de l’Ambassade des Etats Unis, que des dizaines de manifestants, barbus ou imberbes, avaient été entrainés dans l’aventure moyennant 30 dinars (15 euros) et…un casse-croûte. En outre il est de notoriété publique dans la population que de nombreux jeunes gens désœuvrés et ne sachant ni lire ni écrire cherchent (et trouvent souvent) à gagner le respect, et à défaut, la crainte, autour d’eux, notamment dans leur propre famille, en priant cinq fois par jour, en fréquentant la mosquée et en se laissant pousser la barbe tout en revêtant le costume traditionnel des « croyants », à la mode pakistanaise, ou bien le niqab chez les filles. Et oui, au grand dam de la majorité des femmes du pays, jeunes comme vieilles, pourtant toutes musulmanes pratiquantes.

 Et alors qu’il aurait suffi au pouvoir actuel, d’éteindre définitivement l’incendie qui couve en interdisant purement et simplement le mouvement « Partisans de la Charia » celui-ci a toujours pignon sur rue et les quelques prédicateurs qui lui sont attachés continuent d’œuvrer en toute impunité dans plusieurs mosquées qu’ils contrôlent notamment dans les régions défavorisées. Sa présence prouve ainsi le double jeu des islamistes « modérés » au pouvoir, convaincus par une vidéo rendue publique récemment, qu’ils ont comploté avec les radicaux. Dans cette vidéo en effet, le leader d’Ennhada que la révolution avait fait revenir d’un exil londonien douillet de onze ans, conseille à ses interlocuteurs salafistes, n’ayant eux aussi aucunement participé à la chute de la dictature, « de patienter jusqu’à ce que le pays soit débarrassé par lui et ses hommes des laïcs… » 

 Etant incontournables à l’Assemblée Nationale Constituante qui sommeille sur ses travaux depuis plus d’un an et qui s’est néanmoins permis de légiférer (notamment en matière de justice) alors qu’elle n’a pas été élue pour cela, les islamistes, avec l’aval de « leurs » ministres qui siègent tous à des postes clés du gouvernement (1), projettent de faire renvoyer au mois de juin 2014 les élections générales initialement inscrites au mois d’octobre…2012. Afin semble-t-il de terminer de placer les leurs dans tous les postes de contrôle du pays.Leur façon d’opérer ne rencontre pour l’instant aucune opposition réelle, ni de la part des autres partis politiques réunis en deux ou trois formations, ni par le peuple qui dans sa majorité se désintéresse de la « chose » publique et se met à regretter, de temps à autre, l’ère Ben Ali sans savoir que celui-ci, voilà plus de dix ans, avait par exemple, entre autres décisions inavouables, dévalué l’éducation nationale dans le but de multiplier le nombre de bacheliers et de diplômés… dont les bailleurs de fonds internationaux tenaient compte dans leurs subventions.

 En ce qui concerne la culture et l’éducation, il faut croire que les religieux, extrémistes et modérés, font de même, histoire d’avoir à leurs bottes le populo, comme l’avait fait le despote et recevoir beaucoup d’aide financière des…saoudiens et qataris. Un récent reportage publié par le site indépendant tunisien Kapitalis en a donné récemment un constat qui se passe de tout commentaire sinon celui d'avoir des craintes de voir basculer ce petit pays qui, par sa géographie et surtout son histoire a tout pour vivre démocratiquement en paix...au 21¨siècle, face à l'Europe.

 « Voici, écrit l’auteur, une liste non exhaustives des titres proposés aux Tunisiens : ''La sorcellerie'', ''Les bienfaits des soins par le henné, le lait et la pisse de bêtes'', ''Comment chercher un mari'', ''Les interdits que la femme ne doit pas transgresser'', ''Le message du voile'', ''Comment procéder lors de sa nuit de noces'' ; ''Les recettes d'une vie conjugale heureuse'' (du point de vue islamique, cela s'entend !), mais aussi d'innombrables livres religieux et de juridiction islamique, recueils des fatouas et d'exégèse de chariâ des différents imams... sans parler des livres consacrés au wahhabisme et à l'orthodoxie wahhabite que les services de l'ambassade d'Arabie saoudite distribuent gratuitement ! »

 Et de poursuivre  : « Pour faire bonne mesure, ces livres côtoyaient le Coran à l'étalage et des recueils des hadiths du prophète ! Cela fait plus sérieux et rassure les âmes enclines à douter de la qualité et du sérieux des livres proposés. Certains stands sont tenus par des barbus vêtus de « qamis », qui offrent, au passage, quelques petits bouquins religieux gratuits. « On œuvre à propager la parole d'Allah », expliquent-ils !

 « D'autres stands, termine-t-il, sont tenus eux aussi par des barbus, qui vous proposent des produits naturels, utilisés à l'époque du prophète pour traiter et soigner toute sorte de maux... ou pour se parfumer ; dont le parfum prisé par le prophète lui-même, affirme le vendeur, au « musk » et au « bkhour » (encens) ! »

 

  1. Sur une population de 10 millions d’habitants la Tunisie s’est pourvue d’une assemblée de 217 députés, d’un gouvernement de 50 membres et d’un Président potiche, TOUS provisoires !

Lire l'article complet, et les commentaires