Turquie : la provocation de la Cour constitutionnelle

par Michel Koutouzis
mardi 15 décembre 2009

Tandis que l’ensemble de la presse internationale s’attarde sur le geste d’un déséquilibré en Italie, celui réfléchi et retors des juges kémalistes passe quasi inaperçu. Pourtant, ce dernier risque d’avoir des conséquence autrement plus importantes : en interdisant le Parti de la Société Démocratique (DTP), la cour constitutionnelle turque vient de mettre le feux aux poudres au Kurdistan turc. Le point de mire des juges est à peine voilé. Il ne s’agit pas du parti de masse kurde, mais bien de Yasiip Erdogan.

 

La Cour avait, il y a à peine un an essayé de mettre le premier ministre turc hors la loi par la même procédure. Face à l ‘énormité de l’acte (et aux réactions européennes et américaines) elle avait finalement reculé, sans pour autant baisser les bras. Les Kurdes sont une victime plus accommodante et l’interdiction de leur parti trouve des alliés même au sein du parti du premier ministre. Celui ci, qui depuis son élection, par une politique de petits pas, parfois spectaculaires, tente, non pas de contester le poids de l’armée, mais de faire disparaître à l’intérieur et à l’extérieur des frontières turques les excuses qui cultivent sa prépondérance et son interventionnisme, ne s’est pas trompé : il a fortement critiqué cette décision, a mis en avant un concept jusque là quasiment interdit, celui d’une « solidarité nationale » incluant les non turcs, et projette d’organiser très vite des élections partielles, pour redonner aux députés kurdes (qui ont démissionné comme un seul homme plutôt que d’accepter le statut de non inscrits) leur place au parlement.

Cette provocation, pourtant limpide, a cependant, de Gaziantep à Diyarbakir et jusqu’à Van, porté déjà ses fruits : partout en Anatolie des manifestations s’organisent, des révoltes ont lieu et sont réprimées ; Elles creuseront sans aucun doute le fossé existant entre le pouvoir et la communauté kurde. Une seule bavure (et les acteurs pour la perpétrer font légion) et il faudra, une fois encore reprendre le « problème kurde » à la case départ.

Si on Italie ont peut dire que Berlusconi n’est que l’arroseur arrosé de la politique de tension qu’il a lui même grossièrement mis en place, en Turquie, où les enjeux sont autrement plus importants, une partie d’échecs tordue se joue entre deux concepts : celui d’une démocratie formelle et surveillée à qui on refuse l’âge adulte et celui d’une émancipation réelle fusse-t-elle menée par un parti « islamiste ». En Europe où on « désire » le second concept mais qu’on s’accommode parfaitement du premier, les opposants à l’intégration critiqueront la décision de la Cour mais fustigeront et s’offusqueront de la répression qui en découlera même si le gouvernement turc la mènera à reculons et sur la pointe des doigts ; Les européens seront une fois encore submergés par des images de révolte et de répression, autrement plus spectaculaires qu’une décision, lue à voix basse, de la Cour constitutionnelle.


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