Turquie : redéploiement diplomatique

par Michel Koutouzis
mercredi 4 novembre 2009

Et si Ankara enfonçait la porte européenne pour la raison principale pour laquelle on la lui refuse ? C’est-à-dire la composante musulmane de son identité ? Dans le bras de fer ganté opposant le Premier Ministre Erdogan à l’Etat Major, apparaît une constante : le gouvernement turc, doucement mais sûrement, neutralise tous les potentiels conflits, du moins dans l’esprit de l’opinion turque, forçant les habitudes et les attitudes sur lesquelles s’est assise la suprématie de l’armée. Mais aussi, l’alliance non déclarée entre l’extrême gauche, une partie des partis laïcs, des « ultras » nationalistes et ces mêmes forces armées. L’ouverture des petits pas à l’est (Arménie) font écho à celle de l’ouest (Grèce). Athènes, qui doit elle aussi faire attention à son opinion publique, joue le jeu, et même relance. Le premier ministre Georges Papandréou, a fait sa première visite en Turquie, un jour après sa victoire aux élections, sacrifiant la règle non écrite de commencer ses visites à l’étranger par Chypre. Ses déclarations sont sans ambigüité : si l’obstacle chypriote se dissout, Athènes sera le meilleur allié d’Ankara dans sa demande d’admission à l’UE. Ce n’est pas une surprise. Déjà, il y a six ans, Papandréou, alors ministre des affaires étrangères avait ouvert la voie. Et cette politique avait trouvé un vrai écho au sein de l’opinion publique. L’ouverture, similaire, envers Erevan, bien plus récente, malgré son côté discret et timoré est une vraie révolution. Non seulement par ce que la normalisation avec l’Arménie était il y a quelques années impensable, non seulement par ce que elle se fait sur l’autel de la diplomatie dite de la « Grande Turquie » et qui considérait comme primordiale l’alliance avec l’Azerbaïdjan, porte de l’Asie centrale turcophone (et dont près du tiers de son territoire est occupé par l’Arménie), mais aussi par ce que cette ouverture isole les ultras laïcs héritiers des Loups gris et porte la confusion au sein de « l’ alliance laïque » citée ci-dessus. Pour Erdogan, l’équation est cristalline : en Turquie, jouer les pacificateurs tous azimuts devient son meilleur atout pour contrer l’omniprésence de l’armée dans le jeu politique. Cela devient flagrant aux frontières sud ; La normalisation à grands pas avec la Syrie, en situation de dépendance, la Turquie détenant la clé des eaux de l’Euphrate. En effet, les grands barrages anatoliens à la région des trois frontières (Turquie, Syrie, Iraq) ont surtout été décidés comme action politique pour pacifier la région kurde. Mais le fait est là : les barrages sont désormais un moyen de pression redoutable pour les deux voisins. En d’autres temps (comme celui qui a permis l’arrestation du chef du PKK Ocalan, refoulé de Damas pour quelques gouttes d’eau), cela était suffisant. Mais Ankara exhibe désormais sa nouvelle alliance avec la Syrie par un mouvement diplomatique encore plus spectaculaire : la fin de son alliance privilégiée avec Israël, voulue et cultivée par l’Etat Major qui l’attribua de toute une symbolique : corridor opérationnel aérien, manœuvres communes, autisme vis-à-vis des pays arabes voisins outrés mais impuissants ; Les temps ont changé. Aujourd’hui Erdogan affirme une solidarité musulmane, critique ouvertement Israël et sa politique aux territoires occupés, et annule les accords militaires. Enfonçant le clou, il préconise une politique d’apaisement avec l’Iran, et négocie avec le président Iraquien, kurde de surcroît, un apaisement et une bonne entente avec l’Iraq, isolant par là même les sanctuaires historiques du PKK à coup d’investissements et de mois en mois par des incursions militaires. 

Ainsi, pour l’UE entre autres, la Turquie ne fait plus partie du problème moyen oriental au sens large dans lequel s’est embourbée la diplomatie occidentale (les Etats-Unis inclus) mais plutôt comme un facteur participant à sa solution.

Les temps ont vraiment changé et la Turquie aussi. Mais elle garde un dogme hérité de la guerre froide : rester stratégiquement indispensable. Atout qu’elle utilise souvent (et cela aussi ne change pas) pour affronter les mutations indispensables en son propre sein. Mutations que l’Europe exige et craint à la fois. 


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