Un avion n’est pas rentré : la Turquie, membre de l’OTAN, abat un avion de chasse russe
par Renaud Bouchard
mardi 24 novembre 2015
« L’éducation des frissons est mal faite dans ce pays. Nous ignorons les vraies règles. Quand l’événement apparaît, nous sommes pris au dépourvu »
Henri Michaux
Voici ce que l'on pourrait appeler « un cygne noir géopolitique », le type d'événement fortement imprévisible, sinon impossible, mais en tout cas parfaitement concevable et d'autant plus susceptible de survenir qu'il s'est effectivement produit avec la destruction en vol d'un avion d'armes russe SU-24 par un F-16 turc. L'incident s'est produit ce mardi 24 novembre 2015 sur la frontière syrienne à la suite de ce qui a été présenté par les autorités turques comme une violation de leur espace aérien dans la région de Kizildag/Yayladağ (province de Hatay), au nord-ouest de la Syrie, près de la ville d'Idleb où se déroulent des combats.
http://www.todayszaman.com/latest-news_turkey-shoots-down-warplane-near-syria-border_405108.html
Henri Michaux se trompe : nous ne sommes pas pris au dépourvu.
Ne sont surpris que ceux qui n'ont pas envie de voir ou qui sont ignorants.
Ce dont nous parlons ne constitue donc pas vraiment un événement imprévisible qui avait une faible probabilité de se produire dans la mesure où déjà, dans le passé et dans une zone géographique proche, un F-4 Phantom turc avait été abattu en octobre 2012 dans l'espace aérien syrien, de même que deux avions russes avaient été accusés d'avoir pénétré dans l'espace aérien turc les 3 et 4 octobre 2015 malgré des avertissements répétés.
Les susceptibilités seraient moindres si ce type d'accident ou d'incident (visite d'un drone russe le 16 octobre dernier) ne s'inscrivaient pas dans le cadre d'un théâtre d'opérations particulièrement sensible opposant dans l'actuel conflit syrien et sous l'égide d'une coalition menée contre l'Etat islamique en un improbable attelage, un membre de l'OTAN (la Turquie) à la Russie ou, pour résumer , un échange de vues entre vieilles connaissances.
"L'avion se trouvait à 6.000 mètres d'altitude. Le sort des pilotes est en train d'être déterminé. Selon des données préliminaires, ils ont réussi à s'éjecter. On étudie également les circonstances de la chute de l'avion russe » a indiqué le Ministère de la Défense russe, soulignant « que pendant toute la durée du vol, l'avion se trouvait exclusivement au-dessus du territoire de la Syrie » tout en précisant que ce point était « fixé par les moyens objectifs de contrôle".
Dans une déclaration publiée sur son site internet, l'état-major turc a pour sa part confirmé que le chasseur-bombardier russe avait été mis en garde "dix fois en l'espace de cinq minutes". "Aux alentours de 9h20, un avion à la nationalité inconnue a violé l'espace aérien turc, en dépit de multiples avertissements. Deux de nos avions F-16 qui patrouillaient dans le secteur sont intervenus", a précisé l'armée.
La fièvre monte à El Paso.
On appréciera la discrétion entourant la formulation concernant « l'avion à la nationalité inconnue ».
Le ministère russe de la Défense a de son côté catégoriquement démenti ces allégations. "Aujourd'hui, sur le territoire syrien, à cause de tirs présumés venant du sol, un avion Su-24 appartenant aux forces aériennes russes déployées en Syrie, s'est écrasé", a indiqué le ministère dans un communiqué. Il "se trouvait exclusivement dans l'espace aérien syrien", a-t-il assuré.
Le ministre des affaires étrangères russes M. S. Lavrov ayant prévu une visite à Ankara ce jeudi 25 novembre 2015, sans doute après qu'Ankara ait cru utile de mettre en garde le CMD russe contre les « sérieuses conséquences » qu'entraîneraient des violations répétées de l'espace aérien turc », tout devrait rentrer dans l'ordre. Quelques froncements de sourcils seront tolérés dans l'enceinte du Conseil de Sécurité. Pour la forme.
Nous ne serons pas pris au dépourvu pourvu que nous demeurions attentifs aus signes de faible intensité, à tous ces signes dérangeants que personne ne veut vraiment voir car susceptibles de tout bouleverser en profondeur.
Le reste est donc encore à venir, autrement plus sérieux et préoccupant.
Notes :
Le cygne noir. La puissance de l'imprévisible, par Nassim Nicholas Taleb
Ed. Les Belles Lettres, 2008,
cf. ci-après un commentaire sur cette théorie devenue un véritable poncif mais qui n'en demeure pas moins un outil intéressant.
http://jacquesleroueil.blog.fr/2008/08/10/nassim-taleb-et-la-thaeacute-orie-du-cyg-4568686/