Un pas en avant, deux pas en arrière
par Yannick Harrel
mercredi 12 novembre 2008
Le camarade Lénine s’il était encore parmi nous ne manquerait de qualifier de la sorte la politique étrangère européenne à l’égard de son ancien pays tant il est patent que l’Union européenne gère très mal celle-ci. Le sommet UE – Russie du 14 novembre changera-t-il la donne ?
Un avertissement à demi-voix
Le constat que je dresse en introduction est quelque peu rude pourrait-on m’objecter. Il est vrai que la Fédération de Russie n’est pas un Etat avec lequel il est toujours facile de composer, et dont l’histoire récente a laissé de sérieuses traces dans les esprits et les structures. Pour autant, peut-on exonérer aussi facilement l’Union européenne de ses errements successifs à son égard ?
Le constat que je dresse en introduction est quelque peu rude pourrait-on m’objecter. Il est vrai que la Fédération de Russie n’est pas un Etat avec lequel il est toujours facile de composer, et dont l’histoire récente a laissé de sérieuses traces dans les esprits et les structures. Pour autant, peut-on exonérer aussi facilement l’Union européenne de ses errements successifs à son égard ?
Le 2 septembre dernier, j’avançais au sein d’un article le risque que l’organisation prenait en sanctionnant, même symboliquement, la Russie au sortir du conflit du Caucase. Je ne reviens pas sur l’interprétation fort modulable du droit international par les hiérarques européens tant il apparaît difficile d’y déceler autre chose que de la précipitation et/ou de la mauvaise foi : l’affaire du Kosovo pèsera à ce titre longtemps sur les relations bilatérales entre ces deux entités. Cahin-caha fut le compromis adopté en ce 1er septembre à Bruxelles, naviguant entre avertissement et sanction et qui prit la forme d’un gel des négociations pour le renouvellement de partenariat (APC [1]) existant depuis 1994 et arrivé à son terme depuis 2007. Cette mesure déplut néanmoins aux tenants d’une ligne dure (Pays baltes, Pologne et Royaume-Uni). Or, peu à peu, les pragmatiques (Italie, Allemagne et France en tête) décidèrent d’envisager justement la levée du gel de ces négociations pour mieux favoriser une approche plus profitable à leurs intérêts [2].
L’unité de façade
Un article de The Economist en date du 6 novembre relève avec justesse le mouvement opéré un peu benoîtement par certains membres de l’Union européenne : But Europe’s threat was clear. And that, two months later, has led to a painful moment. Most EU governments now want to resume talks on a new PCA with Russia—foreign ministers are expected to agree this at a meeting on November 10th, just in time to cast a cheering glow over an EU-Russia summit in Nice four days later. En somme, sans se déjuger il est ébauché une approche tendant à reprendre langue avec les responsables russes pour réussir, enfin (!), à signer un nouvel APC.
Les autorités de Moscou ne sont aucunement dupes de ces limitations et savent en jouer parfois avec brio. Elles savent que le temps joue pour elles, et que les dissensions apparaissent déjà au grand jour comme le note toujours aussi ironiquement The Economist : Europe’s strength is its unity—hence the need to come up with a quick decision to resume the talks with Russia, to “keep the sheep in the pen”, and stop individual countries “going off on their own”. In short, the EU’s unity over Russia in September was quite unsustainable. Ce passage en dit long sur l’unité réelle au sein des gouvernants européens, ce qui est avouons-le, logique en ce sens que plus le cercle s’élargit, plus le consensus devient difficile. Alors en temps de crise, l’on devine que la volonté de chacun de faire cavalier seul peut présenter quelques menus attraits.
Le compromis des braves
Alors, un sommet de Nice pour rien ?
Pas forcément, et il est possible d’entrevoir une solution qui arrangerait les affaires de toutes les parties : elle combinerait la renégociation de l’APC, souhaitée vivement par la chancelière Angela Merkel depuis de nombreux mois et une avancée sur le dossier géorgien réclamé à cor et à cri par certains membres. De la sorte, aucune partie ne perdrait la face devant son peuple et chacun pourrait en retirer de substantiels avantages. Le dossier géorgien ne doit toutefois pas venir occulter le sujet initial de la rencontre, d’autant qu’il est lui-même complexe et que ni les Abkhazes ni les Alains n’accepteront de sitôt une présence géorgienne sur leur sol ; cependant un accord commun sur une zone tampon de maintien de la paix pourrait par exemple voir le jour.
Seule réelle inconnue : la volonté pour certains gouvernants de l’Union de pratiquer la politique du pire, en lieu et place d’une politique raisonnée et axée sur le bien européen commun.
La décision votée par une majorité de ministres des affaires étrangères le 10 novembre dernier en faveur d’une reprise des négociations avec la Russie sur l’accord de 1994 est un acte que l’on peut saluer comme encourageant. Il est vrai aussi que la conjoncture économique et financière mondiale n’incite que fort peu à rajouter de l’huile sur le feu. Reste désormais à espérer qu’un compromis des braves voie le jour au sortir de ce sommet.
[1] APC : Accord de partenariat et de coopération dans le domaine commercial. Le premier ayant été formalisé en juin 1994, prenant effet seulement en décembre 1997 et valable pour dix ans, reconductible tacitement si aucun accord ne devait découler de négociations ultérieures. Cette clause fut une sage précaution puisque effectivement les blocages se firent jour du fait de l’opposition fortement appuyée de la Pologne et des trois Pays baltes, empêchant tout nouvel accord fin 2007. Pour de plus amples informations, je vous invite à vous rendre sur le site de la Documentation française.
[2] Si l’on en croit Le Monde dans son édition du 11 novembre dernier, le président Sarkozy aurait décidé d’assouplir la position française après avoir rencontré son homologue russe, Dimitri Medvedev le 8 octobre à Evian.