Un printemps tunisien mi figue mi raisin
par Henri Diacono
mardi 21 mai 2013
La Tunisie à qui mérite amplement le « copyright » Dégage et Printemps Arabe (symboles d’évènements destinés à faire date dans l’histoire du monde arabophone) vit actuellement le printemps, à la mode « mi figue, mi raisin. » Ne croyez surtout pas que sous cette appréciation qui exhalerait la désinvolture ou le doute, demeure, masqué, un pessimisme persistant. Au contraire, il dévoile un solide optimisme à travers des faits récents.
Et ce ne sont pas les affrontements souvent très durs qui ont opposé forces sécuritaires et « salafistes » (ou supposés tels) dimanche, dans la matinée à Kairouan, et l’après midi à Tunis dans deux quartiers d’une banlieue déshéritée qui altèreront cette confiance. Certes il y a eu de part et d’autre des blessés ainsi que plusieurs interpellations dont celle du porte parole d’Ansar al Charia, la mouvance salafiste instigatrice de toutes les violences religieuses radicales commises dans le pays et…. d'Amina, la jeune femme inspirée par le mouvement Femen qui a suscité une polémique en s'exposant à moitié nue sur sa page Facebook. Elle aurait été interpellée après avoir accroché une bannière féministe au mur d'une mosquée de Kairouan et tenté de dénuder sa poitrine. Geste qui dénote une sérieuse inconscience, sinon plus, chez cette jeune fille.
Certes, ces actes ont fait et feront encore la « une » de bien des médias ici et ailleurs qui en les stigmatisant à tous crins, attisent une inquiétude qui n’a pas lieu d’être, j’en suis convaincu. Car il est bon de souligner que, d’une part, ces « batailles » dans lesquelles les « salafistes », tous très jeunes et… imberbes, avaient plutôt l’allure et le comportement de « casseurs », que de religieux radicaux, se sont déroulées dans deux zones étroites de la Tunisie, Etat qui n’est (et ne sera jamais) « à feu et à sang ». Et que d’autre part ces fameux salafistes que le pouvoir a enfin décidé d’anéantir, avec l‘appui de la société civile, après les avoir instrumentalisé, ne représenteraient que 0,4% environ d’une population de 11 millions d’habitants.
Pourquoi donc en ces circonstances cet optimisme que beaucoup considèreront comme béat ? Pour la bonne raison que la « figue » commence malgré tout à se retirer, à sécher face au raisin. Il faut savoir que comme l’a voulu Dame Nature, la figue vient à maturité quelques semaines, sinon un chouia plus, que son cadet le raisin qui ainsi peut se valoriser à l’extrême en profitant, en solitaire, du soleil de l’été et dont on se délecte à loisir (1) jusqu’au cœur de l’automne, bien après la disparition des…figues.
La figue « islamique » s’étiole en Tunisie. Celle de l’obscurantisme rampant d’un parti conduit par un fieffé « faux jeton » qui a été contraint de mettre de l‘eau dans… son vin (il doit enrager, le vin étant devenu « râm », péché, dans le Coran, après y avoir figuré, par la double volonté du Prophète). Beaucoup d’eau même. Ainsi avec son leader, Ghannouchi, sombre retors, et les siens siégeant au gouvernement, il tente d’amadouer les nombreux citoyens qui commencent à le désavouer pour son incompétence à gouverner, tâche à laquelle il s’accroche avec la complicité de deux autres partis dits « laïcs » mais plus ou moins serviles. Au point que le chef de l’un des deux, Monsieur Marzouki, ex-président de la Ligue des Droits d’Homme en Tunisie et actuel Président, provisoire, de la République, a piteusement dérapé en déclarant que le niqab devait être toléré dans les Universités du pays, soulevant ainsi un tollé général. Il est vrai que ce « gentleman » n’est pas à une gaffe grossière près, fa.
Voilà quelques semaines déjà, par exemple, que le parti majoritaire, Ennahdha, multiplie publiquement les déclarations dans lesquelles il dit se démarquer des « salafistes » qu’il avait pourtant soutenus ou instrumentalisé précédemment. Il est allé jusqu’à condamner la violence de certains de ces groupuscules et se montre très attentif aux conséquences pour le pays, de l’éventuel retour de Syrie, des tunisiens partis combattre là bas le jihad contre le pouvoir. Paradoxalement , sur ce sujet, il y a quelques jours, le groupe jihadiste tunisien Ansar Al-Chariâ, dirigé par Abou Iyadh fanatique en fuite soupçonné d’avoir organisé et conduit l’assaut contre l’Ambassade Américaine l’an dernier (quatre morts), a fait appel à ses partisans pour ne plus s’y déplacer. C’est ce même groupe qui avait manifesté sa décision de réunir ses troupes, les 18 et 19 mai, à Kairouan (quatrième ville sainte de l’Islam) pour son « congrès » sans aucune autorisation sous prétexte, dixit « … que leur rassemblement est autorisé par Allah, qu’il ne peut y avoir de demande d'autorisation aux « tawaghit » (despotes ennemis de l'islam) et qu’il n’est pas question de respecter les lois civiles, car il n'y a pas d'autre loi que celle d'Allah ». Interdit par le Ministère de l’Intérieur, ce soi-disant congrès « voulu par Allah » a eu les conséquences évoquées plus haut et dont les effets répressifs seront à court terme bénéfiques pour l’ensemble des citoyens..
Parallèlement à ceux qui sont intervenus à Tunis et Kairouan, d’autres troupes sécuritaires qui ont reçu il y a quelques jours l’appui de la population dans une manifestation de rue, dans la capitale, essaient de déloger un groupe de terroristes dans un « djebel » (massif montagneux) proche de la frontière que la Tunisie partage, notamment avec l’Algérie qui vient d’y déployer 6000 de ses soldats. Dans le souci commun de stopper et détruire des groupuscules armés d’AQMI de retour du Mali ou nichés du côté de la Lybie. En outre, la semaine dernière, près d’Hammamet, dans le centre du pays et non loin de Kairouan, trois individus connus pour leur extrémisme religieux ont été interpellés. L’un d’eux était en possession de documents traitant de la manière de fabriquer des explosifs. Le second caché dans un site interdit, « surveillait » en uniforme militaire les exercices d’un commando de la Garde Nationale. Quant au troisième qui aurait avoué avoir voulu s’attaquer à des commissariats de police, plusieurs armes de poing et des documents relatifs à la fabrication de bombes ont été retrouvés à son domicile. Plusieurs autres extrémistes dont le identités n’ont pas été dévoilées auraient été appréhendés.
Et puis, à l’encontre des islamistes locaux, il y a eu ce message sans ambigüités tenu voilà peu à Tunis par Laurent Fabius le Ministre Français des Affaires Etrangères « Je suis venu, a-t-il dit, en Tunisie porteur d’un message d’amitié, de confiance et de solidarité. Aucun soldat français ne participe aux opérations de traque des terroristes retranchés à Jebel Chaâmbi. Toutefois, nous considérons que la lutte contre le terrorisme est une responsabilité commune et nous allons travailler ensemble pour y faire face. » Au cours de ce bref séjour, consacré, entre autres, à préparer la visite officielle que doit faire à la Tunisie François Hollande en juillet, Laurent Fabius a eu des contacts politiques, de « courtoisie » avec les trois présidents provisoires (Assemblée, Gouvernement et République) et plus « sérieux » dit-on, avec les dirigeants des trois principaux partis d’opposition à… Ennahdha.
Et voilà que la figue commence à se raréfier au profit du raisin.
Le projet de la Nouvelle Constitution présentée par une Assemblée où siègent en majorité les « élus » d’Ennhadha et leurs alliés a été retoqué à deux reprises (voir un peu plus bas) par les juristes et spécialistes en droit constitutionnel. En outre, le tribunal administratif de Tunis a décidé, sur la plainte d’un groupe d’avocats, de sursoir à l’exécution de deux arrêtés illégaux pris par le Président de la Constituante, provoquant la colère des députés religieux. Peu après que le Tribunal Correctionnel, de Tunis toujours, déboutant de leur plainte deux étudiantes porteuses du niqab qui attaquaient le doyen de leur faculté pour violence à leur égard au sein de l’Etablissement, les ait, au contraire, condamnées au motif identique, en innocentant leur supposé agresseur.
Tandis que plusieurs sondages font apparaitre un très net recul de la popularité dont jouissait le parti religieux, précédé à présent dans l’opinion par une formation laïque, plusieurs grandes figures de la société civile du pays montent au créneau. Parmi elles, l’une des plus des plus respectées et écoutées. Yadh Ben Achour, docteur en droit et professeur émérite de la Faculté des sciences juridiques et politiques (Tunis II) et expert en droit constitutionnel, architecte des institutions de la transition en Tunisie, et qui a veillé à l'organisation des premières élections libres et transparentes dans le pays, le 23 octobre 2011. Lors d’une intervention publique sur les plateaux de la télévision il a déclaré sans ambages que les dates des prochaines élections générales, législatives et présidentielles, annoncées par le gouvernement pour l’automne prochain « étaient une grossière tromperie, une fumisterie ». Laissant entendre que le pouvoir actuel avait délibérément avancé de tels rendez-vous, afin de profiter, peut-être, du peu de crédit qu’il possédait encore, Monsieur Ben Achour a tenu à préciser qu’une telle démarche qui demande de très longues préparations, dans l’organisation et les vérifications nécessaires à leur crédibilité, ne pouvait aboutir, en aucune façon, avant des mois, vers la fin de 2014. A la condition de s’y atteler très vite et que la Nouvelle Constitution soit définitivement adoptée, ce qui est loin d’être le cas. Il n’avait d’ailleurs pas hésité de porter un réquisitoire pour le moins virulent contre les constituants en déclarant que leur projet « ne cadrait pas du tout avec le message de la Révolution, qu’il laissait les portes largement ouvertes à toute personne qui voudra établir une dictature théocratique et anéantir définitivement les droits acquis grâce à la Révolution et qu’il ne sera pas en fin de compte une constitution au service de la Nation . »
Ce texte qui doit repasser devant les constituants a également été jugé de « pervers » par la quasi-totalité des juristes et notamment par un autre spécialiste tunisien reconnu, Abdelwahab Meddeb, enseignant la littérature à l'université Paris-X. Dans un document signé de sa main et publié dans le Monde du 30 avril dernier, les anomalies du projet, pour ne pas dire les « magouilles grossières » ou les « pièges » pleuvent, destinés à fondre l'Etat-nation dans l'utopie du califat.
Alors que dans l’article premier, relate l’auteur, il est écrit « "la Tunisiet est un Etat libre, indépendant, souverain, l'islam est sa religion, l'arabe sa langue, la république son régime", beaucoup plus loin il est précisé, en contradiction avec le précédent, que "l'islam est la religion de l'Etat". Or, commente le professeur, s’'il dispose d'une identité religieuse déterminée, exclusive, comment l'Etat peut-il être "civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté populaire, la transcendance du droit", comme l'affirme l'article 2 ?… Comment peut-il être "protecteur de la religion, chargé de la liberté de croyance, de la pratique des cultes... puis, plus loin dans le même article 5 l’Etat est protecteur de la religion" et non des religions supposées plus haut avec les cultes ?
Pour Monsieur Meddeb "la liberté de croyance" est évoquée pour éluder la liberté de conscience telle qu'elle est définie dans l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme votée à l'ONU en 1948. Cet article implique la liberté d'embrasser n'importe quelle religion, de changer de religion, de sortir d'une religion et d'entrer dans une autre, et même de ne pas en avoir. D'évidence, les constituants tunisiens jouent au plus malin afin d’être fidèles aux recommandations de l'organisation des Etats islamiques qui appellent à ne pas accepter cet article 18. Dès le préambule du texte présenté … et rejeté, au deuxième paragraphe, ils ont conditionné les droits de l'homme en amont par "les principes immuables ["thawâbit"] de l'islam", et en aval par "les spécificités culturelles du peuple tunisien". Bref, face à ce refus manifeste de la liberté de conscience, le législateur se réserve le droit de recourir au commandement de la charia qui condamne l'apostat à la peine capitale. Cette ambiguïté est destinée donc à ouvrir la voie à la charia dans un texte qui ne la mentionne point. Ce qu'une main rature, une autre main le récrit sous une autre forme, travestie, déguisée. C'est ainsi que les islamistes d’Ennahdha jouent la tactique démocratique pour parvenir à instaurer l'Etat théocratique.
Pour sûr que malgré des violences qui se transformeront en soubresauts avant de disparaitre, mais surtout avec la majorité de son peuple qui refuse l’obscurantisme, les voix et les actes de ses élites et surtout de ses femmes, les réactions salutaires de sa police et de son armée, la Tunisie est prête à voi très bientôt murir son « raisin ».
- La figue, le raisin et surtout l’olive bibliques font partie du patrimoine de la Tunisie comme dans d’autres pays qui bordent les rivages de « la mer d’entre les terres », au sud comme au nord. Alors ouvrons une parenthèse, histoire de terminer cette lecture d’une note agréable. Une figue noire et bien mûre dégustée pleine peau avec une tranche de jambon, de Parme ou Bayonne de préférence, ou mieux accompagnant, au petit déjeuner, un large beignet de pâte à la fois moelleuse dans son pourtour et craquante en son centre, frit à l’huile (le ftaïr tunisien), valent leur pesant de papilles. Tout comme une belle grappe de « fruits d’or au goût sucré » éclatant délicatement sous les dents, mêlés à du fromage frais de vache, la ricotta. Quant à l’olive et son huile, inutile d’insister. On connaît. Même croquée, étalée ou trempée, sur ou avec, du pain de seigle cuit au four d’argile, elles font fureur jusqu’au plus reculé des bleds. Toujours de bon matin.