Un procès contre l’Etat hébreu devant un tribunal israélien

par Leila
mardi 23 mars 2010

Des parents américains poursuivent l’Etat hébreu pour le meurtre de leur fille Rachel le 16 mars 2003 par l’Armée israélienne dans la Bande de Gaza. Le procès s’est ouvert le 10 mars 2010 devant le tribunal d’Haïfa. 

Rachel Corrie, 23 ans, était membre d’ISM, International Solidarity Movement, une organisation non violente qui s’oppose à l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie par Israël. Elle est morte écrasée par un bulldozer de l’Armée israélienne alors qu’elle s’opposait avec ses camarades à la démolition d’une maison à Rafah. Ses parents et sa sœur, Sarah Corrie Simpson, assistent au procès, ainsi que le consul général des Etats-Unis. Plusieurs associations des droits de l’homme sont également représentées.

 

La sœur de la victime parle

Akiva Eldar a interrogé Sarah Corrie Simpson pour le journal Haaretz. Dans ce reportage, elle dit que les autorités américaines ont encouragé sa famille à engager des poursuites contre l’Etat hébreu. Elle réfute l’affirmation de l’Armée israélienne selon laquelle Rachel et ses camarades étaient dans une zone de combat. Tous les témoins s’accordent sur le fait qu’aucun coup de feu n’a été tiré. Mais de toute façon, dit-elle, l’Armée doit protéger les civils.

Sarah explique au journaliste que Rachel était montée sur un tas de déblais pour être sûre que le conducteur du bulldozer la voyait. Mais comme il continuait d’avancer, elle a essayé de fuir, puis elle a trébuché et elle est tombée. « Le bulldozer a continué d’avancer, avec la lame en position basse, en poussant des décombres sur le corps de Rachel. Il ne s’est arrêté que lorsque le corps était sous la cabine. »

C’est l’attentat du 11 septembre 2001 qui a poussé Rachel dans l’action politique. Elle voulait savoir ce qui se passe dans le monde, spécialement au Moyen-Orient. Elle a étudié l’arabe et a commencé à rencontrer des activistes pour la paix, parmi lesquels d’anciens soldats israéliens. Elle voulait comprendre quel rôle jouait son pays au Moyen-Orient. 

« Notre vie a changé aussitôt après la mort de Rachel » dit Sarah. Son père a quitté son travail ; elle-même a consacré tous ses efforts à faire reconnaître la responsabilité de l’armée israélienne dans la mort de sa sœur.Son but est de s’assurer « que rien de tel n’arrivera plus jamais à un civil, qu’il soit israélien, palestinien ou de tout autre nationalité ».

Les autorités américaines ne croient pas aux conclusions de l’enquête de la police militaire israélienne. Sarah dit que des preuves matérielles n’ont pas été communiquées à la famille. « Alors qu’ils avaient six heures d’enregistrement vidéo, ma famille n’a reçu que 14 minutes d’un enregistrement de mauvaise qualité en noir et blanc. »

Le journaliste lui demande enfin si elle voudrait rencontrer le conducteur du bulldozer. « Oui je le voudrais. Pour pouvoir revenir dans un état normal, j’ai besoin d’entendre directement de lui ce qui s’est passé ce jour-là, et ce qu’il ressent maintenant. Je voudrais aussi qu’il entende, et peut-être qu’il comprenne, l’impact que ce drame a eu sur ma vie et sur celle de ma famille. Il est important qu’il y ait une véritable investigation. Mais finalement, le plus important, ce serait une confrontation de ma famille avec l’homme qui a tué Rachel, bien que ce soit la chose la plus difficile et la plus douloureuse que je puisse imaginer. Mais le gouvernement israélien ne dévoilera pas son nom. »

 

Des fautes graves du médecin légiste

Le 14 mars 2010, le tribunal a entendu le Dr. Yehuda Hiss, ancien directeur de l’institut médico-légal qui a pratiqué l’autopsie de Rachel Corrie sur la demande de l’Armée israélienne. Le Dr. Hiss a reconnu avoir violé une ordonnance du tribunal israélien qui exigeait qu’un représentant de l’Ambassade des Etats-Unis soit présent pendant l’autopsie. Il a déclaré aussi qu’il avait pour règle de n’admettre à une autopsie aucune personne qui ne serait pas médecin ou biologiste. Il a dit qu’il avait parlé par téléphone avec l’Ambassade des Etats-Unis après avoir reçu l’ordonnance du tribunal, que l’Ambassade lui avait dit qu’elle n’enverrait pas de représentant, et qu’elle lui avait dit que la famille Corrie était d’accord pour qu’on fasse l’autopsie. Le Dr. Hiss a reconnu qu’il n’y avait dans ses archives aucun enregistrement de cette conversation. L’ambassade des Etats-Unis a répété à la famille que ce n’était pas ce qui avait été dit au téléphone.

Le Dr. Hiss a révélé qu’il avait conservé des échantillons du corps de Rachel pour des examens histologiques sans en informer la famille. Il a admis qu’il n’avait pas demandé à la famille le droit d’inhumer ces échantillons, qu’ils avaient peut-être été inhumés avec le reste du corps, mais que ce n’était pas certain. C’était la première fois que la famille apprenait que des échantillons du corps de Rachel avaient été conservés à l’institut médico-légal. La famille engagera des poursuites contre le Dr. Hiss.

 

Des pressions sur un témoin

Le 15 mars 2010, le tribunal a entendu Madame Alice Coy, infirmière, citoyenne britannique, témoin oculaire de la mort de Rachel Simpson. C’est seul témoignage au cours de cette audience. Auparavant, la défense avait essayé de prouver, contrairement à tous les témoignages oculaires, que l’Armée n’avait aucune intention de démolir des maisons dans la zone où Sarah a été tuée.

Quand Madame Coy avait été interrogée par l’Armée israélienne le 1er avril au sujet du meurtre de Rachel, le soldat qui conduisait l’interrogatoire avait refusé d’enregistrer son témoignage. Elle l’a répété au tribunal :

 

En fait, la maison que Rachel protégeait, celle du Dr. Samir Nasrallah, a été détruite un peu plus tard la même année.

Entre 2000 et 2004, l’Armée israélienne a démoli 2 500 maisons dans la Bande de Gaza, dont les deux tiers à Rafah, et plus particulièrement près de la frontière égyptienne, dans le "Corridor Philadelphie", la zone où Rachel a été tuée. Cette opération a laissé 16 000 personnes sans abri.

 

Des négligences de la police militaire

Le 17 mars, un membre de la police militaire israélienne ayant enquêté sur la mort de Rachel est venu à la barre des témoins. Il a déclaré qu’il n’avait jamais inspecté le lieu du meurtre, et qu’il ne s’était jamais assis à la place du conducteur du bulldozer afin de voir par lui-même quel était son champ de vision. Il a admis que le règlement de l’Armée dit expressément que le bulldozer D9 ne doit pas être utilisé avec des civils à proximité. Il n’a pas demandé au conducteur s’il connaissait cet article du règlement.

Il a déclaré qu’il avait reçu l’ordonnance autorisant l’autopsie de Rachel à condition qu’un officiel de l’Ambassade des Etats-Unis soit présent. Il a informé le tribunal ayant émis l’ordonnance que cette condition serait respectée, mais ensuite il n’a fait aucun effort pour s’en assurer. Il a dit qu’il ne savait pas si quelqu’un l’avait fait, car il ne considérait pas le suivi de l’affaire comme étant de sa responsabilité. Il a dit aussi qu’il avait omis de transmettre au tribunal le rapport final d’autopsie, bien que cette exigence ait été formulée. Son supérieur ne le lui avait pas demandé, mais lui avait simplement dit qu’il fallait « faire attention » à l’ordonnance du tribunal.

Gregory Schnabel, un Américain membre d’ISM, est le quatrième et dernier témoin oculaire à venir à la barre des témoins. Il a déclaré qu’il a vu Rachel monter au sommet du tas de déblais poussé par le bulldozer, et que le conducteur pouvait clairement la voir. Comme tous ses camarades, elle portait un gilet orange fluorescent. Il a aussi déclaré que cet après-midi-là un bulldozer D9 s’était approché de lui et d’un autre membre d’ISM, en s’arrêtant juste au point de les toucher, ce qui lui faisait penser que le conducteur pouvait voir les manifestants.

 

Les auditions vont se poursuivre cette semaine.


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