Un retrait russe qui n’est pas une retraite
par Pierre
mercredi 16 mars 2016
La Russie de Vladimir Poutine nous a habitués à des surprises et le retrait de Syrie en est une de taille. Il est encore trop tôt pour en évaluer les conséquences mais au-delà de la surprise, on peut dire que c’est une bonne décision tout-à-fait en conformité avec la doctrine russe de refus de s’engager dans des guerres de longues durées.
Retour de pilotes russes.
J’évoquais récemment dans un commentaire que, contrairement à ce qu’on entend généralemenet en Occident, l’URSS s’était retirée d’Afghanistan en 1989 en position de vainqueur.
Certes, l’opération a coûté un prix excessif en vie humaine, on l’évalue à environ 12000 morts du côté soviétique et 1,2 million du côté afghan, et ce fut l’une des causes de l’effondrement de l’Union soviétique.
D’un autre côté, l’armée afghane du président Mohammad Najibullah était solide et bien équipée. Elle résista encore 3 ans et ne céda que quand l’Union soviétique cessa d’exister et qu’elle fut privée d’aide militaire, énergétique et alimentaire.
Les dissensions internes menèrent à la prise de pouvoir des moudjahidines en 1992 et l’offensive des talibans avec des brigades de djihadistes internationaux en 1996 eut finalement raison du gouvernement de Kaboul.
Retrait russe de Syrie en mars 2016.
Il est tentant de faire un parallèle avec le retrait soviétique d’Afghanistan. Il y a pourtant des différences essentielles.
- La Russie n’a pas subi de perte matérielle à l’exception d’un Sukhoï-24.
- Il n’y a pas d’opposition des Russes contre cette opération militaire présentée comme préventive contre les terroristes.
- Un retour en Syrie en quelques jours est possible en cas de nécessité.
- Il n’y a pas de force terrestre d’occupation à retirer. Une partie des forces spéciales restera sans doute sur le terrain.
- La Russie a de solides alliés : Iraniens, chiites irakiens, Hezbollah, Kurdes etc.
- La Russie a avec John Kerry un partenaire intéressé par la fin de la guerre en Syrie.
- Vladimir Poutine n’a aucune raison d’interrompre son aide militaire au gouvernement syrien.
- Ce sera à évaluer lors d’élections mais il semble que le président Bachar al-Assad garde l’appui de la majorité des Syriens et son armée, même affaiblie en personnel humain, n’est pas sur le point de s’effondrer.
Nous verrons dans quelques jours ou dans quelques semaines quelle est l’ampleur du retrait russe et si l’aviation russe va continuer à bombarder l’État islamique pour aider l’AAS à reprendre Palmyre et sans doute Deir ez-Zor.
Les résultats.
Le premier résultat est que le gouvernement syrien est renforcé. Une offensive islamiste lancée depuis la Turquie à partir de juillet 2015 avait menacé la côte syrienne et la province de Lattaquié. Cette menace n’existe plus à présent.
Sur le plan militaire, de larges zones à la périphérie des grandes villes sont sécurisées et il y a de nombreuses poches rebelles isolées.
Le trafic de pétrole et les couloirs de ravitaillement de l'Etat islamique sont coupé et cela leur crée des problèmes financiers.
La Russie a à présent une base aérienne au Moyen-Orient. Il faudra maintenant voir si elle sera permanente. Elle pourra aussi sans doute développer la base navale de Tartous dans un deuxième temps.
Base de Hmeimim.
Les négociations de paix sont relancées dans une position de force pour le gouvernement syrien. On ne peut pas anticiper les résultats des négociations mais dans l’état actuel de la situation, la Syrie ne va pas céder grand-chose.
La Russie a fait étalage de sa capacité à mener une opération militaire compliquée avec un succès incontestable. Les Occidentaux devront tenir compte de ce fait à l’avenir.
Le prestige de la Russie sort renforcé de cette opération même auprès d’une frange non négligeable de la population occidentale.
Enfin, de nouvelles armes et de nouveaux systèmes électroniques ont été testés en situation de guerre. Ce genre de test est très instructif pour leurs concepteurs car il permet d’apporter des améliorations notoires au matériel.
Du côté négatif, il y a bien sûr la détérioration des relations diplomatiques avec la Turquie mais c’est la Turquie qui y perdra le plus. La Turquie n’a par exemple pas d’alternative au gaz russe alors que la Russie peut acheter ses fruits et légumes dans bien d’autre pays et que les destinations touristiques pour les Russes ne manquent pas.
Les deux poids lourds sunnites sont en échec.
La Turquie est tétanisée. Elle voudrait bien lancer une offensive contre les Kurdes syriens mais sans la maitrise du ciel, c’est une opération plus que risquée.
Une autonomie ou une indépendance des Kurdes syriens aura immanquablement un impact négatif pour la Turquie sur la résolution de la crise avec le PKK.
L’accélération de l’adhésion à l’Europe est de la poudre aux yeux. C’est une promesse gratuite. Le versement de 6 milliards d’euros à la Turquie pour la prise en charge des réfugiés syriens est impopulaire auprès des citoyens européens et est clairement une forme de chantage turc. Cela ne résoudra de toute façon pas le problème des migrants africains qui représentent 50 % des arrivants ni celui des Irakiens et des Afghans qui arrivent aussi en masse.
Le pire sera évidement le retour des djihadistes fanatisés et assoiffés de revanche.
L’Arabie saoudite est aussi affaiblie. Elle s’est mise dans un bourbier au Yémen. Ses réserves de dollars fondent comme neige au soleil à cause d’une guerre ingagnable et une déstabilisation islamiste intérieure n’est pas exclue.
Objectif bombardé par les Saoudiens au Yémen.
Tôt ou tard, l’Arabie saoudite payera la facture pour son soutien au salafisme et à ses métastases.
La décision de Vladimir Poutine.
Je m’en veux de m’être laissé influencer par les articles et les commentaires dans les médias qui voyaient l’armée russe délivrer toute la Syrie ou s’enfoncer dans un bourbier de type afghan.
Vladimir Poutine avait pourtant dit depuis longtemps que l’opération prendrait fin en mars 2016.
Comment savait-il que ce serait le moment opportun pour le faire ? Si cela avait été planifié depuis le départ : chapeau !
En revanche, cette tactique de venir pour prêter main-forte à un allié pour le placer en position de force et d’ensuite se retirer avait déjà été mise au point il y a longtemps. Les Russes avaient déjà conseillé cette tactique aux Américains en 2002 en Afghanistan mais c’était tombé dans les oreilles de sourds.
La Russie a de son côté mis cela en pratique avec succès en Géorgie en 2008 et récemment en Ukraine.
On peut être certain que cela prend l’état-major de l’OTAN de court. Il était certainement en train d’élaborer une stratégie pour nuire à la présence militaire russe en Syrie.
Cela me fait penser à d’autres choses que Vladimir Poutine a aussi dites.
- La crise à cause des sanctions occidentales durera 2 ans. C’est en passe de se réaliser, la Russie va sortir de la crise d’ici la fin de l’année. S’il y a une croissance qui suit sans que l’Europe n’ait obtenu la moindre concession, ce sera une humiliation pour Bruxelles. On peut même extrapoler en imaginant que la Russie ne lèvera ses sanctions que quand l’Ukraine aura rempli ses obligations liées aux accords de Minsk II.
- À partir de 2019, plus aucun m² de gaz ne transitera par l’Ukraine. Les Européens l’ont un peu oublié et ils imaginent que s’ils ont empêché la construction de nouveaux gazoducs, la Russie sera contrainte de maintenir le transit par l’Ukraine. C’est mal connaître Vladimir Poutine. En 2019, il faudra négocier de nouveaux contrats avec Gazprom vu que les anciens arriveront à échéance. La Russie peut très lien renoncer à livrer du gaz par le sud et le sud de l’Europe n’a pas d’option de remplacement. On n’imagine pas des méthaniers traversant le Bosphore pour des raisons de sécurité liées au terrorisme. Il restera l’option nord à condition que Nord Stream II se fasse.
- La Russie va se détacher de toute dépendance de l’Occident. Les systèmes bancaires parallèles se mettent en place en coopération avec la Chine. L’utilisation des monnaies nationales russes et chinoises va favoriser le commerce avec la Chine au détriment de l’Europe.
- Enfin, cerise sur le gâteau, la modernisation de l’armée russe sera accomplie en 2020. 70 % du matériel sera neuf et le reste complétement modernisé. Des armes de nouvelles conceptions équiperont l’armée russe. La démonstration en Syrie n’était qu’un zakouski.
Une Russie militairement faible et économiquement dépendante de l’Occident n’a pas été respectée pendant 10 ans. Les Russes se savent gré à Vladimir Poutine pour avoir redressé l’image de la Russie dans le monde. L’Union européenne et les médias n’ont pas encore compris que dorénavant la Russie rendra coup pour coup.
Rebelle avec lance-missiles.
Conclusion.
Les groupes rebelles « modérés » qui ont adhéré au cessez-le-feu devront chercher la protection de l’AAS et de l’aviation russe pour les protéger des djihadistes qui ne manqueront pas de les menacer. C’est une donnée nouvelle parce qu’avant, ils étaient alliés. Ce seront des situations à suivre de près pour voir jusqu’où les ces rebelles sont intéressés par des pourparlers de paix.
La Russie a pris les diplomaties occidentales à contrepied. Il leur faudra quelques temps avant qu’elles se repositionnent par rapport à cette nouvelle donne. Encore une fois, Vladimir Poutine a été à l’initiative.
Le départ de Bachar al-Assad a cessé d’être un préalable à l’organisation de discussion pour la paix. C’est une avancée importante mais elle vient 5 ans trop tard. Le pays est maintenant en ruines.
500 villages et villes ont été libérés des islamistes ainsi que d’importantes zones stratégiques. Des retours de réfugiés dans leurs foyers vont pouvoir être envisagés pour cet été.
Un point important qui n’a pas encore été relevé dans les divers commentaires que j’ai lu est que la Russie met ses forces à l’abri en cas d’escalade militaire venant de Turquie ou d’Arabie saoudite. En effet, il y avait un risque réel de lourdes pertes en cas d’invasion de la Syrie avec des ripostes inévitables qui aurait pu mettre le monde au bord d’une nouvelle guerre mondiale.
Une invasion étrangère n’engagerait plus que les forces syriennes remises à niveau et soutenues par les redoutables missiles S-400 ainsi que par les complexes mobiles de guerre électronique Krassoukha-4.
Il faut reconnaître une grande habilité dans la stratégie russe ainsi qu’une constance dans le discours. Aucun responsable russe n’a jamais parlé d’une victoire militaire en Syrie bien au contraire, ils ont toujours dit qu’il est impossible pour l’un ou l’autre camp de l’emporter.
Voilà donc la balle dans le camp occidental. C’est à eux de démontrer que eux aussi, ils veulent la paix. Il reste 9 mois de mandat à Barack Obama pour y parvenir, après tout peut arriver surtout si la reine du chaos, Hillary Clinton, devait succéder au président actuel.