Un seul pays pour deux peuples

par Michel Santi
mercredi 2 avril 2008

Le conflit israélo-palestinien a été ponctué ces dernières décennies par une série de négociations ayant toutes échoué à un stade ou à un autre de leur avancement. Il en résulte d’une part que, soixante ans après sa fondation, l’Etat d’Israël n’est toujours pas en état de garantir la sécurité de ses citoyens menacés à tout moment et que d’autre part le peuple palestinien - dépossédé à deux reprises en 1948 et en 1967 - ne voit pas toujours une juste résolution d’une guerre ayant modelé son histoire et son identité.

La communauté internationale, en accord avec les Israéliens et les Palestiniens, est arrivée à la conclusion que l’issue passera forcément par la solution des deux Etats. Néanmoins, comme tout négociation réussie nécessite que les parties en présence soient sur un pied d’égalité, aucune paix ne pourra jamais être établie sans une démarche sincère de part et d’autre. En effet, la confiance ne pourra s’établir que progressivement et au gré des ouvertures - et des sacrifices - consentis par chacun. Cependant, et puisque le retour de la paix aura pour préalable obligatoire un retour de la confiance réciproque, la solution d’un seul et unique Etat devient-elle dès lors absurde ? D’emblée, cette solution ne devra en aucun cas constituer une manière insidieuse permettant au peuple palestinien de regagner le contrôle de ce que fut la Palestine historique ou autorisant sans restriction le droit au retour de sa diaspora. De plus, il conviendra de résoudre la lourde et douloureuse problématique des Palestiniens expropriés, mais également celle des juifs dépossédés de leurs propriétés dans les pays arabes après 1948. Enfin, la possibilité offerte à la diaspora juive de s’établir en Israël ne devra jamais être mise en question.

Mais enfin, comme le répétait Edward Saïd, le peuple palestinien n’aboutira à rien s’il marginalise le peuple d’Israël et ces deux peuples sont condamnés à s’entendre en se fixant des objectifs communs car ce qui est bon pour la Palestine est bon pour Israël et vice versa... Ces deux peuples qui se combattent depuis des décennies partagent pourtant la même embarcation et devront avoir une vision commune de la société démocratique et tolérante qu’ils souhaitent instaurer. Pour ce faire, des questions fondamentales telles que la sécurité des Israéliens et telles que l’assainissement de l’économie palestinienne et l’amélioration de l’éducation offerte au peuple palestinien devront trouver des réponses adéquates.

Cette vision peut certes sembler idéaliste, voire irréaliste. Toutefois, qui aurait misé en 1989 sur la fin du régime de l’apartheid en Afrique du Sud entre deux communautés qui réussirent à passer outre persécutions, expulsions et haine ? En effet, toute réconciliation semblait exclue entre une communauté noire et des Afrikaners dominants depuis quatre siècles qui avaient tous deux histoire et parcours divergents... car d’un côté les Afrikaners estimaient qu’ils n’avaient pas à partager leur supériorité technique et leur niveau de vie avec les Noirs autochtones qui, à leur tour, rejetaient haineusement l’arrogance des Blancs. A ce titre, n’est-il pas intéressant de se souvenir que l’Etat d’Israël avait été l’un des derniers pays démocratiques à soutenir - quoique de manière critique - le gouvernement de l’Apartheid et ce longtemps après l’imposition de sanctions par la communauté internationale ? Effectivement, pour les Afrikaners, comme pour les Israéliens, donner des droits aux Noirs, ou aux Palestiniens, aurait entraîné à moyen terme la dissolution - voire la disparition - de leur identité. De même, vu du côté des Africains, comme des Palestiniens, le choix se résumait simplement à la soumission au rang d’inférieur ou à la lutte sanglante... Alors que les Afrikaners partageaient avec les juifs la hantise d’être rejetés à la mer, la réconciliation en Afrique du Sud a clairement démontré que les angoisses des Blancs étaient infondées car les Africains opprimés n’ont exigé aucune redistribution ou spoliation au détriment des Blancs. En réalité, une solution équitable et pacifique à un affrontement vieux de 400 ans fut aisée à obtenir dès lors que la hantise de domination des Noirs fut dissipée auprès des Afrikaners et que Mandela exhorta les Noirs à accueillir et à légitimer tout Blanc qui renoncerait à l’Apartheid.

On le voit, la paix, qui n’est finalement pas si compliquée à obtenir, doit d’abord être instaurée dans les esprits et une telle sérénité est pour le moment hors de portée des peuples israéliens et palestiniens. C’est évidemment le peuple palestinien qui doit consentir le plus d’efforts car il n’est jamais aisé à un peuple qui se sent opprimé de fermer les yeux sur ses souffrances dans un élan de générosité et dans le but de partager son destin avec le peuple qu’il considère comme oppresseur, en l’occurrence le peuple d’Israël. Les Palestiniens auront besoin de leur Mandela qui, tout en suscitant un indispensable débat interne, devra démontrer un activisme intelligent qui aboutira à la levée des mesures injustes à l’encontre de son peuple. Il est certes probable que la difficulté intense du dossier régional israélo-palestinien provienne précisément d’une déchirure relativement récente d’un point de vue historique en regard de l’ancienneté (400 ans) des problèmes en Afrique du Sud. Néanmoins, et dès lors que les deux parties se mirent à négocier sur un pied d’égalité, la solution des deux Etats perdit de sa substance dès lors que les Afrikaners se rendirent compte que la balance des pressions intérieures et internationales desservirait leurs intérêts ! C’est pourquoi les Palestiniens se doivent de poursuivre une pression - et donc une résistance - tout en gardant à l’esprit qu’elle devra être intelligente et mesurée afin de ne pas rendre impossible la réconciliation avec Israël et c’est pourquoi la communauté internationale devra également commencer à peser sur l’Etat d’Israël...

En effet, l’argument des Israéliens et des Américains selon lequel aucun dialogue ne pourra être conduit durablement en cas de violences palestiniennes ne tient plus ! De même, celui des Palestiniens dénonçant les attaques israéliennes sur leurs territoires a-t-il également trop servi ! Tout le monde, y compris les Israéliens et les Palestiniens, sait que la violence appelle la violence. La seule et unique issue est la négociation pour un avenir commun - comme en Afrique du Sud - et ces négociations ne doivent jamais être interrompues, quelles que soient les violences malheureusement perpétrées de part et d’autre. A ce sujet, les enseignements que peuvent tirer les Israéliens et les Palestiniens de la résolution du conflit en Afrique du Sud sont précieux car le président sud-africain de l’époque, de Klerk, avait confié que, "même si le pays était embrasé dans la violence, personne ne pouvait plus se payer le luxe de croire que l’on pouvait attendre la fin des violences avant la reprise des négociations" ! Les Israéliens devront apprendre à écouter les Palestiniens plutôt que de céder à la tentation de les diaboliser et les Palestiniens devront oublier tout instinct de vengeance face à un peuple israélien qui craint tout simplement pour sa survie, comme les Afrikaners en Afrique du Sud. De fait, la grande majorité du peuple palestinien souhaite coexister pacifiquement avec le peuple israélien et, en dépit de l’emprise du Hamas, il n’a jamais été question de l’établissement en Palestine de la loi islamique. Au contraire, les élections palestiniennes de janvier 2006, dans un élan démocratique, ont clairement démontré sa volonté d’en finir avec le système corrompu et sclérosé du Fath.

La solution de l’Etat unique ferait certes coexister des communautés fort différentes, mais Edward Said, encore lui, était-il exagérément utopique lorsqu’il déclarait en substance qu’après une période d’adaptation, la cohabitation de deux cultures sur une base égalitaire serait attractive et profitable pour chacune de ces deux communautés ? Car, en effet, la solution des deux Etats n’est-elle pas une manière habile de remettre à plus tard la résolution de ce conflit ? De fait, un certain nombre d’Israéliens et de Palestiniens reconnaissent à présent que la solution de l’Etat unique pourrait mettre fin à l’impasse, elle aurait en tout cas le mérite de remettre autour d’une même table des dirigeants dont la responsabilité historique serait de débroussailler progressivement le chemin en vue d’un avenir commun. Cette hypothèse d’un Etat unique serait peut-être abandonnée en cours de route, mais elle aurait autorisé à tout le moins la transformation de belligérants en partenaires pour le plus grand bonheur de deux peuples qui aspirent à la paix.


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