Un souffle de subversité et de résilience au Sud-Kivu

par JennVD
vendredi 30 novembre 2012

Engagement et espérance du peuple congolais dans un contexte d'insécurité chronique...

 

La Rusizi, frontière naturelle entre le Congo et le Rwanda

La violence et l’insécurité récurrente vécue par le peuple congolais doit cesser. Depuis plus de 15 ans, la région du Kivu n’a pas connu de paix durable... La population subit des guerres cycliques (1998 - 2002 - 2004 - 2012) auxquelles aucune solution structurelle n’est apportée. La population est donc contrainte de (sur)vivre au jour le jour : 90% de la population vit dans l’extrême pauvreté et de l’économie informelle. Cette situation contraste avec les richesses du pays : minières, vivrières... qui suscitent tant de convoitises. C’est une malédiction des ressources !

L’insécurité alimentaire est frappante vu le nombre de surfaces cultivées... Nous avons constaté que la population de Bukavu vit littéralement sous perfusion extérieure pour se fournir les produits de première nécessité... Ainsi, par exemple, le riz consommé dans la capitale du Sud-Kivu est importé du Pakistan et de Tanzanie alors qu’il est produit à Sange, au sud de la province ! Ceci s’explique par la situation chronique d’insécurité, mais aussi par l’état déplorable des routes qui empêche le transport intérieur des produits intérieurs. Selon les dires locaux, le revêtement des routes à Bukavu n’est jamais plus épais qu’un CD ! Aussi, nous avons contaté que, pour parcourir une centaine de km dans cette province, il ne faut pas moins de quatre heures.


Afin de stabiliser la région, une mission de l’ONU, la MONUSCO, a été mandatée pour garantir la sécurité des habitants. En RDC, on compte près de 17.000 hommes mobilisés dont les deux-tiers sont affectés dans les deux Kivus... Malgré cela, les 7.000 soldats de l’ONU présents à Goma n’ont pas pu (ou pas voulu) empêcher la prise de la ville. Les seuls signes de leur présence dans la province sont les mosquées de plus en plus nombreuses dans la région. Par ailleurs, ils sont sur le pied de guerre lorsqu’il s’agit de défendre leurs bâtiments quand la population descend dans la rue pour exprimer sa colère face à leur immobilisme. On entend souvent parler de l’installation d’une force neutre dans cette région... alors que les casques bleus sont là en nombre et que cette mission coûte très cher à la communauté internationale. Quand est-ce que celle-ci donnera enfin un mandat clair à la MONUC qui permettra une protection véritable de la population ?

Mercredi 21 novembre, à l’appel de la société civile, les habitants de Bukavu ont manifesté depuis la Place de l’Indépendance jusqu’aux quartiers de la MONUSCO et du gouvernorat, incendiant au passage les bureaux du parti du Président, le PPRD. Le Président est en effet montré du doigt face à l’invasion des rebelles du M23 qui mènent une véritable guerilla, clairement soutenus par le pouvoir rwandais. Au soir de la prise de Goma, Joseph Kabila était en pourparlers avec Paul Kagamé en Ouganda... Mais il n’a pas l’envergure ni même la volonté de véritablement défendre les intérêts du peuple congolais. En effet, nous avons pu constater que l’Etat est absent à tout niveau de la vie sociale : santé, éducation, infrastructures, souveraineté territoriale et économique... Les affaires sociales sont principalement portées par des organisations de l’Eglise, comme le BDOM qui est la référence en matière de santé dans la province et compte déjà plus de 100.000 membres affiliés à ses mutuelles de santé.

La gouvernance de l’Etat ne pourra être améliorée sans la véritable mise en oeuvre du projet de décentralisation promis lors de la dernière campagne électorale. Jusqu’à présent, les provinces sont incapables d’exercer les compétences qui leur sont attribuées, car elles ne disposent pas des moyens nécessairesn, ni même d’une crédibilité indispensable : le gouverneur est nommé par le Président tandis que le vice-gouverneur est élu par les citoyens dont le choix, au Sud-Kivu, se résume à un unique candidat désigné par le parti présidentiel !

Au regard de l’incapacité structurelle de l’Etat congolais à imposer une souveraineté nationale, le projet d’intégration sous-régional est fortement remis en cause : on ne voit pas comment un Etat aussi faible pourrait être en mesure de négocier avec ses voisins au pouvoir bien établi - voire autoritaire. En effet, l’histoire montre qu’aucun projet de développement régional impliquant plusieurs pays ne peut réussir si les Etats ne négocient pas sur un pied d’égalité. Il est dit ici, à Bukavu, que lors des soi-disantes négociations à Kampala, les Présidents de l’Ouganda, du Rwanda et du Congo sabraient ensemble le champagne pour fêter la balkanisation du pays !

Mais les Congolais ne l’entendent pas de cette oreille et nous avons pu constater que la résistance est en marche, dans les têtes comme dans les actes. Les habitants de Bukavu (dite "la frondeuse") ne se laisseront pas déloger... En 2004, c’est grâce à des actions type "ville morte" qui, pendant plus d’un mois, ont paralysé la vie commerciale et sociale que les rebelles ont fini par se retirer. Ici, l’agresseur vient toujours de l’extérieur en gangrénant la société de l’intérieur. Ceci a encore pu être vérifié lors de la prise de Goma pendant laquelle des sources ont signalé l’infiltration de 2.000 à 3.000 soldats rwandais qui, dès leur arrivée en ville, ont troqué leurs uniformes contre ceux de l’armée officielle congolaise. Par ailleurs, jeudi 22 novembre, on entendait que des infiltrés du M23 se rassemblaient à Katana, à 25 km de Bukavu... Malgré ces tentatives déguisées d’infiltrer toute la province, la société civile n’a aucun mal à les identifier. Il est de notoriété publique que de nombreux postes hauts gradés de l’armée et de l’administration provinciales ont été confiés à des Rwandais, facilitant le déclenchement de ce conflit latent depuis plusieurs mois.

En dépit de ce sombre tableau, l’espoir n’a jamais quitté les Congolais. De Kinshasa à Bukavu en passant par Kisangani, le peuple a manifesté son sentiment national profond pour dire non à une nouvelle décennie de conflits. Et partout où nous sommes passés, nous avons été impressionnés par la dignité de ce peuple qui, même dans l’adversité, continue à rire et à danser.


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