Une force d’interposition en Somalie
par Rémi Bazillier
vendredi 29 décembre 2006
La Somalie vit depuis 1991 dans une situation de chaos. Le gouvernement « légitime » et reconnu comme tel par la communauté internationale est complètement impuissant, et a été forcé à l’exil après d’incessantes batailles entre seigneurs de guerre. Depuis quelques mois, les tribunaux islamistes ont incontestablement pris le dessus et contrôlent aujourd’hui onze régions sur douze. Comme cela s’est déjà vu dans d’autres régions du monde, ils arrivent, rétablissent l’ordre, et obtiennent par ce seul fait le soutien d’une population locale excédée par l’instabilité et la violence. Les tribunaux islamistes ont ensuite toute latitude pour mettre en place leur politique de haine.
En face, l’Ethiopie se sent directement menacée par l’arrivée au pouvoir des tribunaux islamistes. Principal soutien international du gouvernement de transition, ils ont tout à perdre avec l’arrivée au pouvoir des islamistes qui sont accusés de soutenir des groupes armés en Ethiopie qui pourraient déstabiliser le gouvernement éthiopien. L’armée éthiopienne s’était donc regroupée aux frontières somaliennes, certaines unités s’installant également du côté somalien.
Les tribunaux islamistes n’acceptant pas que l’armée éthiopienne s’installe en territoire somalien et dénonçant les ingérences du voisin, menacent de lancer des offensives militaires. Un ultimatum a été lancé, et l’Ethiopie ne l’a pas accepté, maintenant ses troupes sur le territoire somalien. Depuis quelques jours, un palier a été franchi avec des appels incessants au djihad et à la conquête d’Addis-Adeba. Face aux premières attaques somaliennes, l’armée éthiopienne a avoué aujourd’hui avoir lancé la contre-attaque et les premiers bombardements.
L’Union africaine craint un embrasement généralisé dans la corne de l’Afrique. Il en faut peu pour que l’Erythrée (ennemi juré de l’Ethiopie) entre elle-même dans le conflit, pour peu que celui-ci vienne à s’élargir. Le gouvernement de transition en Somalie cherchera également à réagir.
Face à un tel risque d’embrasement, il est nécessaire que les Nations unies se saisissent immédiatement du problème. Les médiations internationales doivent se multiplier pour négocier un cessez-le-feu ou une "cessation immédiate des hostilités". Et une force d’interposition de l’Onu semble être le seul moyen d’éviter l’embasement.
Pour l’instant, la communauté internationale est dans une logique attentiste. On va d’abord laisser l’Union africaine réagir, la guerre s’installer, avant de s’indigner et de négocier à la va-vite un arrêt des hostilités. Cette crise fournirait pourtant une occasion à la communauté internationale de montrer sa capacité à anticiper et à régler les problèmes avant qu’ils n’aient engendré des milliers de morts.
Les conditions d’une poudrière se multiplient, sous fond de guerre civile somalienne et de soutien des puissances régionales aux deux forces en conflit (l’Ouganda et le Kenya soutiennent, aux côtés de l’Ethiopie, le gouvernement de transition ; l’Erythrée, l’Iran, le Soudan, les tribunaux islamistes. On parle même du soutien du Hezbollah libanais à ces tribunaux.)
Pour mieux comprendre tous ces enjeux, j’ai relu hier un très bon dossier publié par le journal Alternatives internationales : "Somalie, vers une guerre régionale" (AI, décembre 2006, encore en kiosque). Les enjeux sont complexes, remontent jusqu’à l’indépendance, et s’expliquent souvent par l’instrumentalisation des tensions claniques.
Cela ne me fait pas revenir sur la proposition de force d’interposition de l’Onu, même si les conditions d’intervention sont particulièrement périlleuses (on se rappelle le fiasco de l’opération Restore Hope en Somalie, en 1991). Mais les principes fondamentaux des Nations unies peuvent servir de base pour faire tomber la tension : respect de l’intégralité territoriale de la Somalie, médiation internationale pour permettre un dialogue national en Somalie, fin de l’instrumentalisation des groupes mulsulmans éthiopiens par les tribunaux islamistes. C’est sûr que vu d’ici, cela a l’air simple. Mais la complexité de la situation ne saurait servir de prétexte à l’inaction.
Intéressant de voir ce que disent les résolutions de l’Onu adoptées jusqu’à présent. Il serait faux de dire que la communauté internationale est restée complètement silencieuse.
La dernière résolution (resolution 1725)
date du 6 décembre 2006. Elle appelle au respect de l’intégrité
territoriale et à l’unité de la Somalie, réaffirme l’embargo sur les
armes et soutient la mise en place d’une "mission de protection et
d’observation".
(Le Conseil de sécurité) décide d’autoriser l’IGAD (autorité intergouvernementale pour le développment, organisation de pays est-africains, nldr) et les États membres de l’Union africaine à établir une mission de protection et de formation en Somalie, que le Conseil de sécurité examinerait, à l’issue d’une période initiale de six mois, après un exposé de l’IGAD, et dont le mandat, fondé sur les éléments pertinents du mandat et du concept d’opérations énoncé dans le plan de déploiement pour l’IGASOM, serait le suivant :Disons juste qu’au vu de la situation, cette "mission de protection et d’observation" semble bien insuffisante pour régler les problèmes.
a) suivre les progrès réalisés par les institutions fédérales de transition et l’Union des tribunaux islamiques dans l’application des accords issus de leur dialogue
b) garantir la liberté de mouvement et de circulation en toute sécurité de tous ceux qui prennent part au dialogue
c) maintenir et surveiller la sécurité à Baidoa
d) protéger les membres des institutions fédérales de transition et du gouvernement, ainsi que leurs principales infrastructures
e) former les forces de sécurité des institutions fédérales de transition pour qu’elles soient en mesure d’assurer leur propre sécurité et de contribuer à faciliter le rétablissement des forces de sécurité nationales somaliennes
Il semble clair pourtant que l’Onu peut se donner les moyens d’une intervention plus forte. Dans la résolution 1724 (adoptée le 29 novembre 2006), invoquant la menace pour la paix et la stabilité régionale, les Nations unies déclarent agir en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies. Ce chapitre autorise le recours à la force et ne nécessite pas l’accord des différentes parties en présence. Cette résolution 1724 constitue un levier pour agir. Face à l’entrée en guerre officielle de l’Ethiopie et à la menace de djihad régional par les tribunaux islamistes, une nouvelle résolution semble nécessaire, qui irait au-delà de la seule "mission de protection".