USA : complainte des milliardaires, sacre de Warren ?

par Laurent Herblay
mercredi 20 novembre 2019

La passe d’arme entre Elizabeth Warren et Bill Gates est aussi savoureuse que révélatrice. Pour financer son plan santé, elle propose un ISF à 6% pour la tranche la plus haute. La panique qui s’empare des élites, illustrée par la couverture et le dossier de The Economist, à la perspective de son élection pourrait-elle définir cette élection présidentielle et, loin de l’affaiblir, l’amener au pouvoir ?

 

Le moment redistributif ?
 
En 2016, face aux arguments protectionnistes de Bernie Sanders et Donald Trump lors des primaires, Paul Krugman avait parlé d’un « moment protectionniste  ». De facto, le protectionnisme restera un marqueur du mandat de Trump, même s’il faut différencier la force des mots ou des tweets, de la réalité des mesures prises, comme l’indique la non réduction du déficit commercial… Les différentes guerres commerciales, qui finissent toutes bien, comme cela était prévisible, auront néanmoins largement occupé la communication présidentielle. Mais la question qui se pose aujourd’hui, c’est de savoir si la campagne 2020 ne finira pas par se cristalliser autour des inégalités et de la redistribution.
 
 
Un tel sujet est plus que légitime et attendu outre-Atlantique. Après tout, c’est là que les inégalités battent des records indécents, où 90% de la population peut perdre du pouvoir d’achat sur 40 ans quand les revenus des 1% triplent. C’est aussi là que The Economist dénonce la reconstitution d’une aristocratie de l’argent et l’impossibilité grandissante de l’ascension sociale. Mieux, c’est aussi là que des pratiques fiscales très redistributives étaient en place, puisque sous Nixon, pas vraiment un rouge, le taux marginal d’impôt sur les revenus dépassait 70%, après une pointe à plus de 90% pendant la Seconde Guerre Mondiale, comme aime à le rappeler Thomas Piketty dans son nouveau livre.
 
Bref, tout semble réuni pour une fronde fiscale redistributive. Elizabeth Warren, comme Bernie Sanders, conseillée par des économistes proches de Piketty, proposent donc aujourd’hui un ISF bien plus progressif et lourd que ne l’était le nôtre, avec une tranche de 6% pour les milliardaires. Cela a provoqué une offensive tous azimuts contre « la rouge », entre lancement, par Biden, a contrario des promesses des candidats démocrates, d’un PAC, un véhicule pour les financements des lobbys et grandes entreprises, ou l’annonce d’une possible candidature du milliardaire Michael Bloomberg aux primaires démocrates, afin de faire barrage à ce programme de redistribution des richesses.
 
 
C’est dans ce cadre que Bill Gates a interpellé la candidate en affirmant qu’il a déjà payé plus d’impôts que quiconque (10 milliards de dollars, pour une fortune dix fois supérieure), et en lui demandant combien il lui restera. Elizabeth Warren a répondu très finement qu’elle était prête à échanger avec lui pour lui expliquer combien il paierait (environ 6 milliards) et a mis en ligne un outil de calcul de l’ISF pour les milliardaires avec une ligne spécifique pour l’ancien patron de Microsoft. Ce faisant, il me semble que la sénatrice parvient à véritablement incarner les 99% face aux 1%, ce que n’avaient plus fait les démocrates depuis longtemps, un positionnement probablement redoutable face à Trump.
 
Bien sûr, mon jugement est potentiellement hâtif, particulièrement vu de France, mais la tournure prise par la campagne des primaires me semble extrêmement favorable pour Elizabeth Warren, qui incarne vraiment les intérêts du peuple contre ceux des milliardaires, un positionnement, qui, en plus d’être crédible et légitime vu son parcours, pourrait être logiquement dévastateur pour Trump.
 

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