USA : la puissance sans projet
par Olivier
vendredi 20 juin 2025
Face à la parade militaire organisée pour les 79 ans de Donald Trump, des millions d’Américains ont défilé à travers le pays pour dénoncer ce qu’ils perçoivent comme une dérive monarchique du pouvoir exécutif. Sur fond de violences politiques et d’institutions affaiblies, cette protestation massive révèle moins une vision politique alternative qu’un refus instinctif d’un basculement autoritaire.
Ce samedi de juin 2025, l’Amérique s’est dévoilée dans toute sa fracture. Tandis que Donald Trump paradait au cœur de Washington sous un ciel de drones et d’hélicoptères, entouré de 7 000 soldats et de colonnes de véhicules militaires alignés au cordeau, des centaines de milliers de citoyens manifestaient dans les rues du pays pour crier leur rejet d’un pouvoir qu’ils jugent désormais autoritaire. Le contraste était saisissant. D’un côté, une parade militaire d’un autre temps, orchestrée le jour même de l’anniversaire présidentiel, dans une ambiance où le nationalisme s’habille de spectacle. De l’autre, une foule immense, parfois silencieuse, souvent vibrante, rassemblée sous le mot d’ordre “No Kings”, dans l’espoir de défendre ce qu’ils ressentent comme une démocratie malmenée.
Ce même jour, la démocratie américaine était frappée en plein cœur par un acte de terreur politique. Melissa Hortman, ancienne présidente démocrate de la Chambre du Minnesota, militante engagée pour les droits des femmes et le contrôle des armes, était assassinée à son domicile, avec son mari. Quelques heures plus tôt, un autre élu démocrate et sa conjointe avaient été grièvement blessés par le même tireur. Le suspect, un homme radicalisé, déguisé en policier, avait préparé une liste de cibles politiques et un manifeste. Ces faits ne sont plus isolés. Ils s’inscrivent dans une série d’agressions ciblées, de menaces constantes, et d’un climat où la violence politique devient un outil au service de l’intimidation. Cette escalade s’insinue jusque dans le quotidien des citoyens ordinaires, désormais nombreux à refuser de donner leur nom aux journalistes, à se faire photographier de dos, à craindre pour leur sécurité simplement pour avoir exprimé une opinion.
La parade militaire à Washington n’était pas seulement une démonstration de puissance, elle était un message. Celui d’un président qui s’identifie à l’État, qui salue les troupes comme s’il en était le généralissime incontesté, qui transforme une fête officielle – celle des 250 ans de l’Armée de Terre – en célébration personnelle. Officiellement patriotique, la mise en scène résonnait avec des accents monarchiques. La date, le budget (45 millions de dollars), le défilé d’armes lourdes, les discours sur la grandeur future de la nation : tout semblait orchestré pour affirmer une volonté de domination, sinon de conquête.
Pendant ce temps, sur les ponts, dans les parcs, devant les mairies, des citoyens de tous âges et de toutes origines clamaient un patriotisme d’un autre genre. Des slogans évoquaient la Résistance, 1789, le flower power et Woody Guthrie. Une mère brandissait la Constitution, un vétéran dénonçait un fascisme rampant. Le pouvoir exécutif n’est plus perçu comme une protection mais comme une menace. La peur n’est pas seulement symbolique, elle est concrète : des manifestations sont dispersées par la police, des grenades lacrymogènes sont tirées à Los Angeles, un manifestant est blessé par balle à Salt Lake City, un couvre-feu est imposé, non pour éviter des violences, mais pour étouffer la voix civique.
Le glissement est brutal. L’Amérique vit un moment où la force de la loi cède le pas à la loi de la force. L’ère de la technocratie triomphante, un temps incarnée par Elon Musk au sein du programme DOGE, s’est refermée dans la confusion. Musk, qui avait été propulsé au cœur de l’appareil étatique pour moderniser l’administration, a finalement quitté son poste en dénonçant publiquement la « passivité » et le « manque d’audace » du président Trump face aux résistances internes et à la lenteur du Congrès. Quelques jours plus tard, il a présenté des excuses publiques, admettant avoir « sans doute été trop loin ». Cet épisode, au lieu d’apaiser, a illustré l’instabilité d’un pouvoir sans ligne claire, livré aux impulsions personnelles et aux revirements spectaculaires, où même ses anciens piliers se détournent temporairement avant de revenir dans le rang. La dissolution arbitraire d’agences publiques, les décrets présidentiels remplaçant la délibération parlementaire, les discours érigés en dogme et les institutions rendues muettes – tout concourt à installer un régime où le président gouverne par le fait accompli, sans contre-pouvoirs véritables.
Pourtant, ce jour-là, des millions de voix se sont élevées contre cette dérive. Non dans la haine, mais dans une forme de lucidité inquiète, presque désespérée. Le cri – « No Kings » – n’est pas celui d’un programme, mais d’un refus. Ce n’est pas un appel à un nouveau contrat social, mais un sursaut instinctif contre une concentration de pouvoir perçue comme monarchique. Les manifestants n’exigent pas tant une autre Amérique qu’ils ne réclament qu’on n’en détruise pas davantage l’héritage. Ce mouvement n’est pas structuré autour d’une proposition politique cohérente, mais autour d’un rejet commun : celui d’un homme qui s’installe au-dessus des lois, d’un exécutif devenu spectacle, d’un pouvoir qui ne consulte plus. C’est une protestation de sauvegarde, presque de résistance passive, marquée par le besoin d’empêcher une bascule irréversible plutôt que de dessiner un nouvel avenir.