Vivement tourner la page sur l’incompétence de George W. Bush

par Pierre R. Chantelois
mercredi 17 décembre 2008

Est-ce possible de critiquer les États-Unis sans pour autant être accusé de se livrer à des attaques perfides contre l’Amérique que d’aucuns admirent sans limite ? Voilà plus de cinquante ans que je fréquente mon voisin. De par une vieille tradition québécoise, j’ai connu ces voyages familiaux, dans mon enfance, au bord de la mer, l’été, dans le sud, l’hiver. Plus tard, j’ai voyagé avec une certaine fréquence entre Montréal et New York. Mon rapport aux États-Unis en est un d’amour-haine.

Mon admiration pour les États-Unis s’est estompée, pour ne pas dire qu’elle a été progressivement anéantie, tout au long du mandat de Georges W. Bush. Très souvent, ce président a été l’objet de vives discussions entre compatriotes que je tenais en très haute estime. Nous pouvions diverger d’opinions sans que ne soit remis en cause notre amitié ou le bien-fondé de notre évolution propre. Des amis états-uniens, établis à Montréal, n’hésitaient pas à se mêler à nos querelles d’opinion, rétablissant parfois, avec tact, les perspectives derrière lesquelles nous campions, de part et d’autre, nos positions.

Un observateur français, que j’estime beaucoup, m’a reproché un jour ma froideur par suite de l’élection du nouvel héros Barack Obama. Devant un événement historique, je n’avais su, selon ce dernier, que proposer une analyse sans émotivité sur l’arrivée de ce nouveau président à la tête de l’ « hyper-puissance ». J’étais incapable d’élever au rang de Messie Barack Obama car je sais trop l’ampleur de la tâche qui l’attend, les contraintes qui vont limiter son champ d’action, les forces occultes des lobbies qui n’auront de cesse de protéger leurs intérêts propres, et la progressive descente aux enfers qui le guettera dès que ses décisions se détacheront de l’opinion publique convenue.

Suis-je heureux de l’épisode du jet de souliers qui a marqué la visite de George W. Bush en Irak ? Je suis tiède. Le plus simple serait de soutenir qu’il n’a que ce qu’il mérite. Le plus complexe serait d’approfondir pourquoi ce président en est arrivé là en fin de règne. Au point de départ, il faut souligner que cette tournée d’adieu s’est faite, au départ, en pleine nuit et dans le plus grand secret. C’est, force est de le constater, déjà symptomatique que le président de l’hyper-puissance se déplace dans le plus grand secret et qu’il ne se limite à circuler, en Irak, que dans les aires les plus protégées du monde. Et l’homme le mieux protégé au monde ne trouve rien de mieux, pour l’accueillir, qu’une paire de godasses qui lui est lancée, en rencontre de presse, en pleine figure.

Et depuis cet incident, George W. Bush est une risée mondiale. À preuve ce jeu en ligne lancé par un jeune Britannique « Sock and Awe », jeu de mots qui fait référence à l’opération militaire américaine « Shock and awe » (choc et effroi) lancée en 2003 sur l’Irak de Saddam Hussein.

Pour le président qui quitte, des vérités gênantes sortent des placards dans lesquels il a tenté de les enfouir. Selon le New York Times, depuis la guerre de 2003, cent milliards de dollars ont été gaspillés dans la reconstruction de l’Irak dont la moitié directement payée par les contribuables américains. Le New York Times prévient, par le fait même, Barack Obama qui entend mettre ses énergies à la reconstruction de l’Afghanistan.

Que dire de son accueil en Afghanistan ? À 5h30 du matin, Bush s’est adressé à un millier de GI sur le tarmac de la base aérienne de Bagram. « L’Afghanistan est un pays différent de façon spectaculaire par rapport à ce qu’il était il y a huit ans. Nous faisons des progrès », a déclaré le président américain. Il a répété inlassablement le même message qu’il serine depuis des années : « Est-ce que des jours difficiles nous attendent ? Absolument. Mais est-ce que les conditions en Afghanistan sont meilleures qu’en 2001 ? Incontestablement, indubitablement, elles sont meilleures ». Robert Gates, secrétaire à la Défense, déclarait, pendant ce temps-là : « L’histoire nous montre que les opérations militaires étrangères en Afghanistan ont échoué chaque fois que les troupes déployées étaient considérées avec défiance par les populations. Les Soviétiques n’ont pas réussi à s’imposer alors qu’ils avaient 120.000 hommes sur place ».

L’héritage que laisse George W. Bush à son successeur fera en sorte que les États-Unis ne consacreront pas leur énergie à la reconstruction de l’Afghanistan, tant promise, mais bien à sortir Kaboul, la capitale, de sa très grande vulnérabilité. Les États-Unis déploieront la plupart de leurs forces, 20 000 soldats supplémentaires, sur les abords sud de Kaboul afin d’empêcher la capitale de tomber dans les mains des rebelles, rapportait à nouveau le New York Times.

Autre héritage que laisse George W. Bush à son successeur est le discrédit qui touche son pays dans le monde entier. Selon un rapport de la Commission des forces armées du Sénat américain, commission présidée par le sénateur démocrate, Carl Levin, et son collègue républicain, John McCain, l’ancien secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, et d’autres hauts responsables de l’administration Bush, ont été jugés responsables de mauvais traitements sur des détenus dans les prisons américaines : « L’accord de Rumsfeld pour le recours à des techniques d’interrogatoire agressives à la base de Guantánamo a été une cause directe pour que des détenus subissent de mauvais traitements là-bas » et « a influencé et contribué à l’emploi de techniques menant à de mauvais traitements [...] en Afghanistan et en Irak ».

Et cet héritage se poursuit en la personne de Dick Cheney qui a, lundi 15 décembre, défendu l’emploi de la simulation de noyade contre les suspects de terrorisme, et estimé dans des entretiens que la prochaine administration pourrait se rallier à un exercice vigoureux des pouvoirs présidentiels. Selon Cheney, Barack Obama pourrait ne pas trouver que des défauts au camp de Guantanamo et ce dernier risque d’être plus difficile à fermer que ne le souhaiterait le président désigné. « Guantanamo a été très, très précieux », a soutenu le vice-président américain. Pour ce dernier, la pratique du « waterboarding » été adéquate dans le cas de Khalid Cheikh Mohamed, cerveau présumé des attentats du 11-Septembre. Pour comprendre à quel point les révélations sur la gestion Bush-Cheney se succèdent et soulèvent de plus en plus de questions sur la légalité des décisions de la Maison-Blanche, il faut lire ce reportage de Newsweek.

La Commission des forces armées du Sénat américain a même remis en cause Condoleezza Rice, alors conseillère à la sécurité nationale, qui a « participé à des réunions à la Maison Blanche en 2002 et 2003 au cours desquelles des techniques d’interrogation spécifiques ont été débattues ». Elle a également rappelé dans son rapport que, selon un sondage de la BBC en 2007, seuls 29% des gens dans le monde pensent que les États-Unis ont une influence positive.

Il appartiendra à Barack Obama de décider de l’attitude à adopter à l’égard des abus perpétrés par l’administration Bush. Osera-t-il le faire ?

Le célèbre politologue américain, Francis Fukuyama, de l’Université Johns Hopkins, de passage à Paris, ces jours-ci, déclarait, devant l’Institut français des relations internationales (IFRI), que le mot démocratie est redouté. « Dès qu’on le prononce à l’étranger, on nous parle de Guantánamo et d’Abou Ghraib. Même si la seconde administration Bush était très différente de la première, avec Condoleezza Rice, les États-Unis ont perdu une grande partie de leur crédibilité morale ». Et, de poursuivre Francis Fukuyama : « pour s’attaquer à ces différents défis, Obama devra d’abord redonner du nerf à l’administration américaine dont les capacités ont décliné tout au long de l’administration Bush  ».

Pendant que George W. Bush fait ses adieux en Irak et en Afghanistan, la secrétaire de presse de la Maison-Blanche, Dana Perino, affirme qu’un effondrement de l’industrie de l’automobile aurait « un impact sérieux sur notre économie » et qu’il serait « irresponsable de déstabiliser l’économie ».

Conséquences de plus en plus marquées dans nos pays respectifs. États-Unis, Allemagne, France, Suède, Espagne, Canada sont touchés par l’effondrement de l’industrie de l’automobile. Pendant que le Sénat américain rejette un plan de sauvetage de quelque 14 milliards de dollars, le gouvernement canadien et la province d’Ontario se sont mis d’accord pour fournir au secteur automobile canadien en difficulté une aide conditionnelle de quelque 2,8 milliards de dollars américains. Pour le président du puissant syndicat canadien de l’automobile (TCA), Ken Lewenza : « si le Canada agissait rapidement, cela mettrait de la pression sur les États-Unis pour qu’ils agissent (...) Nous refusons que les travailleurs de l’automobile soient des boucs-émissaires. Nous n’avons pas provoqué la crise. Ce sont les banquiers et les spéculateurs qui l’ont provoquée ».

Le marché européen de l’automobile plonge également. Nicolas Sarkozy a indiqué sa volonté de mettre en œuvre de nouvelles formes d’aides (prêts ou garanties). L’accès au crédit constitue le nerf de la guerre pour sortir de la crise.

Pour rappel, ce n’est que le 5 décembre dernier que George W. Bush reconnaissait que l’économie américaine était en récession et que les mauvais chiffres du chômage publiés le jour même pour novembre en étaient le reflet. Au cours des douze derniers mois, il y a eu 1,9 million d’emplois perdus dont 1,3 million pour le dernier trimestre seulement. Ce mot de récession était un tabou dans l’administration américaine et pour George Bush lui-même. Et le président lui-même ne savait pas que l’économie américaine traversait sa plus longue et sévère récession depuis la Grande Dépression dans les années 1930. Et dire que le déclin économique pourrait ne se terminer qu’en juin 2009. Ce qui porterait la période de déclin à 18 mois.

Selon les économistes, interrogés par le Wall Street Journal, l’équipe économique de Barack Obama bénéficie d’une bonne cote, la moitié estimant qu’elle serait « significativement meilleure » que celle de l’administration Bush en place et un quart estimant qu’elle était « légèrement meilleure ».

En terminant, de tous les points de vue d’où on se place, force est de constater et de conclure que l’administration de George W. Bush est un échec sur toute la ligne. Que ce soit au plan économique (le Bureau national de la recherche économique (NBER) confirmait avant le président que l’économie américaine était entrée en récession dès décembre 2007), au plan des Affaires étrangères (politique au Moyen-Orient, au Proche-Orient, en Amérique Latine et avec l’Europe), George W. Bush a fait reculer les États-Unis à l’âge de pierre en imposant une doctrine unipolaire et contraire à toute logique face au fonctionnement du monde d’aujourd’hui.

L’histoire jugera sévèrement George W. Bush. Malgré ses tentatives de récupérer certains traits de cette histoire catastrophique sous son règne, il sera jugé pour son incompétence, pour son déni des droits humains, pour son idéologie républicaine de laisser-faire en matière économique et pour son insignifiance crasse. Et pour s’excuser de tout, il déclarait le 2 décembre dernier : « Je pense que lorsque l’histoire de cette période sera écrite, on réalisera qu’un grand nombre de décisions concernant Wall Street ont été prises pendant la décennie, avant même qu’il n’entre à la Maison Blanche ».

Il faut tourner définitivement cette page.


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