Voir évoluer Nicolas Sarkozy en dehors de la France

par Pierre R. Chantelois
mercredi 25 août 2010

Nicolas Sarkozy ne laisse personne indifférent. Tant les Français que les observateurs étrangers. L’évocation de son seul nom soulève des passions. La gauche plurielle est incapable d’unisson dans ses messages. La droite présidentielle cherche à ne parler que d’une seule voix autour d’un seul message. Nous assistons dans le débat que vit la France actuellement une répétition des vieilles règles de la politique : schismes, divisions, calculs stratégiques, outrecuidance langagière, scandales, et autres. La France ne fait pas exception à la corruption qu’engendre cette mal-aimée de la société : la politique. En rappel, cette phrase d’Albert Camus : Si les hommes ne peuvent pas se référer à une valeur commune, reconnue par tous, alors l’homme est incompréhensible à l’homme

Aux yeux de Nicolas Sarkozy, que vaut l’Europe ? Bizarrement, aux beaux jours de son règne, le président français a fait de l’Europe sa priorité. Au moment où la France devait occuper la présidence de l’Union européenne. La crise économique a changé la donne. Nicolas Sarkozy a semblé délaisser l’Europe dans son désir de changer le capitalisme mondial en se rangeant du côté du G20. Rien n’est gratuit dans la stratégie de Nicolas Sarkozy. La France présidera en 2011 le G8 et le G20. Après avoir occupé pour si peu le terrain européen, rien de mieux que de viser un forum plus large. Quitte à renier quelques vieux principes républicains. Pourrait-on imaginer un nouveau Bretton Wood qui passerait par l’imaginaire de Nicolas Sarkozy ?

Nicolas Sarkozy s’est préparé de longue date. En mars dernier, le président français, de New-York, exhortait son homologue, Barack Obama, à entendre l’appel de l’Europe sur la réforme de la gouvernance mondiale : « Si l’Europe et les États-Unis n’inventent pas ce nouveau modèle, personne ne le fera ». Il n’y a pourtant pas si longtemps la France voyait démesurément grand. Les Charles de Gaulle, François Mitterand et Jacques Chirac projetaient toujours dans cette France cette image séculaire de « grande nation », ce qui n’était pas sans irriter les voisins européens. Les atermoiements de Nicolas Sarkozy, sa gesticulation, ses sautes d’humeur, ses volte-face, font-elles encore le poids aujourd’hui ?

Rappelez-vous. C’était avant la crise. Le président investissait massivement (euphémisme) pour encourager les heures supplémentaires, l’accession à la propriété et la constitution d’un héritage. Après la crise, la France qu’incarne Nicolas Sarkozy n’hésite plus à distiller sa pédagogie de bon gestionnaire. Même si les caisses de l’État sont vides. Le bon gestionnaire est sans le sou. La Grande France en est réduite à procéder à des ponctions de 10 milliards d’euros sur les niches fiscales.

Nicolas Sarkozy est de plus en plus brouillé par les scandales. Nicolas Sarkozy voit fondre sa crédibilité. L’affaire Bettencourt-Woerth a une portée d’ondes dévastatrices considérable. Le comble réside dans le fait que des ministres vont jusqu’à remettre en cause le droit des médias de mener des investigations sur le financement occulte des campagnes présidentielles. Le gouvernement n’a d’objectif présent que de faire taire les scandales qui l’affaiblissent. Au risque de bafouer ignoblement les principes républicains de liberté, égalité et fraternité qui ont marqué les jalons historiques de la Grande France.

Le bon gestionnaire s’effondre sous les révélations truculentes d’une presse de moins en moins servile et plus caustique à l’égard du président. Un Français sur deux (55%) souhaite que la gauche gagne la prochaine présidentielle, selon un sondage Viavoice pour Libération. Le bon gestionnaire que se veut Nicolas Sarkozy n’est crédité que d’une popularité de 34% seulement. C’est peu. Et le président de la prochaine rencontre du G8 et du G20 aura fort à faire pour donner des leçons de gouvernance.

Avec le discours de Grenoble, le président Nicolas Sarkozy a abaissé d’un cran la dignité présidentielle française. Le fondateur de Mediapart, Edwy Plenel, a qualifié Nicolas Sarkozy de délinquant constitutionnel. Le pape Benoît XVI, qui s’exprimait depuis sa résidence d’été de Castel Gandolfo, n’a pu omettre de souligner que les textes liturgiques de ce jour nous redisent que tous les hommes sont appelés au salut. C’est aussi une invitation à savoir accueillir les légitimes diversités humaines, à la suite de Jésus venu rassembler les hommes de toute nation et de toute langue.

Les coups les plus durs sont venus de New-York. En date du 5 août dernier, le New York Times se pourfend d’un éditorial assassin, Xenophobia : Casting Out the Un-French, à l’égard de la France. Dans un pays qui a longtemps défendu avec orgueil le principe d’égalité devant la loi de tous les citoyens français, écrit le New-York Times, Nicolas Sarkozy « attise dangereusement les sentiments anti-immigrés » au nom de « calculs politiques à court terme ». Le Times poursuit : « Faire campagne contre les immigrés est populaire chez les électeurs français de souche et M. Sarkozy ne s’en est jamais caché ». Et comme l’indique le Figaro, le journal NYT note au passage que Nicolas Sarkozy a pour père un immigrant hongrois naturalisé et qu’il a épousé une Italienne ayant également acquis la nationalité française. Il rappelle également à celui « qui aime être appelé Sarko l’Américain » qu’aux États-Unis, la citoyenneté américaine est protégée par le 14e amendement, qu’elle soit de naissance ou acquise.

Il semble bien que l’Amérique n’a pas entendu le message du ministre de l’Immigration. Eric Besson n’a pas hésité à déclarer que la France « n’a pas de leçons à recevoir  », car elle est le pays « le plus respectueux du droit des étrangers ». Le 12 août dernier, un comité des Nations unies a noté une recrudescence notable du racisme et de la xénophobie en France, notamment à l’encontre des gens du voyage. Foreign Policy se demande « What’s behind Sarkozy’s crackdown on the Roma ? » Et de conclure : Il s’agit en fait d’une « stratégie politique de Nicolas Sarkozy ». Le Times de Londres évoque, pour sa part, le souvenir de la Gestapo. Le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, cité par Courrier international, dénonce un président qui « multiplie les gesticulations, croyant faire montre de force alors qu’il révèle ainsi sa faiblesse ».

Tous ces bruits et ces gesticulations ont-ils pour objectif premier de faire glisser sous la carpette les scandales de la France et sa piètre économie ? Christine Lagarde a assuré que la France ferait tout ce qui est nécessaire pour ramener son déficit public à 6% du PIB en 2011. C’est un engagement très, très fort de la part du président et du gouvernement, a dit Christine Lagarde. L’exécutif jure que ni l’impôt sur le revenu, ni la TVA, ni l’impôt sur les sociétés ne seront augmentés. Tous les Premiers ministres français, depuis des années, ont pris l’engagement de ramener le déficit sous la barre des 3% sans l’atteindre. La Suède, le Canada et l’Irlande ont pourtant retrouvé un équilibre budgétaire sans alourdir la pression fiscale des populations par des augmentations d’impôt. Le déficit budgétaire, qui sera de 8 % en 2010, devra être ramené à 6 % l’an prochain. Comment la France s’y prendra pour parvenir à retrouver une gestion équilibrée de son budget, surtout avant la rencontre du G8 et du G20 en 2011 ? Pour l’agence de notation Moody’s, la France n’a jamais été si près de perdre sa note AAA et donc un peu de sa crédibilité auprès des investisseurs.

Les compressions visées toucheront principalement les niches favorisant l’épargne salariale, l’assurance vie ou l’épargne retraite. Les salaires des fonctionnaires seront gelés. Le non-remplacement d’un poste de fonctionnaire sur deux qui quitte pour la retraite perdurera. Le défi est de taille : la France doit trouver entre 3 et 3,5 milliards d’euros supplémentaires si elle veut réussir à ramener son déficit à 6 % du PIB en 2011. Les 470 niches fiscales recensées représentent un manque à gagner pour l’État en 2010 de 75 milliards d’euros.

Au moment où emploi et croissance sont les thèmes prioritaires pour les Français, la présidence devra discourir sur la décroissance et les compressions. Sarkozy entend de plus faire de la réforme du régime des retraites un symbole de son quinquennat. Les Français ne sont guère enchantés de travailler progressivement deux ans de plus pour compenser les dépenses excessives de l’État. Qui plus est, le nombre de salariés partant en retraite a fondu : en 2009, ils n’étaient que 734 000, contre 785 000 l’année précédente. Les messages sont un peu contradictoires entre le gouvernement et le parti de la majorité : le secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand, a déclaré que « l’heure n’est pas à une révolution concernant l’assurance-vie », à propos du placement préféré des Français, dont les avantages fiscaux pourraient être réduits.

La facture pour le carburant a bondi de 12% sur un an, et celle pour le fioul domestique de 24%. Le coût des réparations automobile ont grimpé de 3% et la facture des fruits et légumes de 14%. Conséquence : le pouvoir d’achat des ménages français a reculé de 0,4% en un an, sous l’effet de l’inflation, comme l’indique une enquête de l’Institut national de la consommation (INC) - (Source AFP)

Nicolas Sarkozy espère retrouver au cours du G8 et du G20 l’aura qu’il avait su obtenir lors de la présidence française de l’Union européenne. Le président français devra parcourir une longue route pour retrouver cet aura. Selon un sondage Ifop paru dans le JDD, Nicolas Sarkozy ne recueille que 36% d’opinions favorables. La cote de popularité du Premier ministre reste nettement au-dessus de celle du chef de l’État : 46% en sont plutôt satisfaits et 7% très satisfaits.

En terminant, rien n’est gagné pour Nicolas Sarkozy. Les prochaines rencontres du G8 et du G20 pourraient constituer un cuisant échec pour le président mégalomane français. John Vinocur, du quotidien américain International Herald Tribune, édition du 27 juillet 2010 publiée à Paris, pose un jugement sévère mais lucide sur le président français : Est-il concevable que Sarkozy et la France aient l’autorité et le soutien international nécessaire pour essayer de mettre un panier de devises à égalité avec le dollar ? De plus, les grandes ambitions de Sarko ont généralement explosé sous la pression de leur excès. Son projet d’Union pour la Méditerranée, où la France devait avoir le rôle clé dans une quasi-confédération rassemblant pays arabes et pays de l’Europe du Sud, n’a abouti à rien.


Lire l'article complet, et les commentaires