Voiture piégée à Manhattan !
par Bruno de Larivière
samedi 22 mai 2010
Le contre-terrorisme est à la mode. Il arriverait presque à faire croire que l’on peut obtenir le risque « 0 ». Il y a une quinzaine de jours, l’attentat à la voiture piégée de Times Square (New York) démontre le contraire. A qui veut bien se donner le temps de réfléchir. En attendant, la presse a annoncé hier la démission forcée du patron du renseignement, Dennis Blair...
Il n’en reste pas moins que la tentation de l’insouciance plus ou moins égoïste l’emporte généralement. Pour être recevable par le commun des mortels, il vaudrait mieux dire care needs time - être attentif prend du temps (sans parler de l’argent !). En forgeant ce titre, je témoigne de l’influence inconsciente des brillants esprits de la rue de Solférino. Le Parti Socialiste envisage en effet la métamorphose en France de l’Etat-providence dans le sens du care anglo-saxon. Le care est dans toutes les bouches hexagonales - celles en tout cas ne jurant que par Le Monde - bien que l’on ignore ce que réserve cette notion d’Etat – compassionnel en terme d’audience électorale.
Time is care. La phrase joue sur le nom d’un lieu mythique de Manhattan (NY). A Times Square, un attentat manqué au début du mois de mai a ridiculisé la communication officielle sur la sûreté de New York. Malgré toutes les tentatives pour réduire à néant la menace, une voiture a failli exploser à l’heure de pointe dans la capitale économique des Etats-Unis, dans un haut lieu culturel [source]. Rien ne s’est produit de ce qu’avait projeté le ou les initiateurs de l’attentat. La voiture garée trop en évidence a éveillé les soupçons de vendeurs de rue. Le déclencheur n’a pas fonctionné, et les médias ont vite tourné la page.
Il n’empêche que deux éléments retiennent l’attention de l’observateur. Primo, le terroriste mis sous les verrous peu après avoir été arrêté à l’aéroport a commis plusieurs bourdes mais n’a pas été pincé par les systèmes sophistiqués récemment mis en place dans Manhattan. Ni les limiers de la police new-yorkaise, ni les caméras ne semblent avoir déclenché l’alerte. Monsieur tout-le-monde a fait preuve de courage et de sagacité en levant le lièvre. Sa présence met cependant en porte-à-faux l’institution laborieusement réformée après le 11 septembre. Secundo, le terroriste aurait décidé d’en finir en même temps qu’il actionnait l’explosif, les médecins légistes reconstitueraient dix jours après les faits des dizaines de corps déchiquetés. Le hasard et la peur de mourir ont sauvé Times Square.
Un article du Los Angeles Times jette une lumière à peine tamisée sur l’événement. On y lit d’abord que les autorités locales ont sans ciller fui leurs responsabilités. Près de neuf ans se sont écoulés depuis la chute des Tours jumelles. Des centaines de caméras scrutent vingt-quatre heures sur vingt-quatre les stations de métro et les axes principaux. Plusieurs centaines de millions de dollars investis n’ont pu empêcher la survenue d’attentats. Mais au lieu de convenir des limites de la lutte anti-terroriste, on s’enferre.
Le maire de New York coupe l’herbe sous le pied à ceux qui voudraient l’incriminer, en avançant l’argument spécieux que rien ne s’est produit. Dormez sur vos deux oreilles, la police veille. On vient de voir que le déroulement des faits réduit à peu de chose cette prétention. Non content de crier victoire en donnant quitus à son administration, M.R. Bloomberg estime pouvoir exiger de l’Etat fédéral un effort financier supplémentaire pour protéger Manhattan. Le Los Angeles Times fait réfléchir sur les tenants et les aboutissants de la lutte anti-terrorisme. Celle-ci coûte très cher, et ne semble pas donner les effets escomptés.
« Des millions de piétons, new-yorkais ou simples touristes empruntent chaque année les stations de métro et les trottoirs de la métropole, en particulier dans les sites les plus fréquentés. Il y a des chiens renifleurs de produits explosifs et des policiers procédant à des fouilles systématiques de sacs. Des panneaux invitent les gens à signaler les comportements suspects. Des postes de contrôle filtrent le flux des passants sur les ponts. Un service à la fois en charge du contre-terrorisme et du renseignement patronné par Raymond Kelly, un ancien officier du corps des Marines auparavant en charge des Douanes fédérales, a été créé. Après le 11/09, Kelly s’est fixé comme objectif de mettre en place une police indépendante de Washington, pour assurer la défense de New-York. » [traduction Geographedumonde]
Ainsi, un gros bras a révolutionné la police de New York. Les deux journalistes californiennes Tina Susman et Geraldine Baum font mine de s’enthousiasmer de la présence de linguistes dans cette police de choc, comme si les problèmes de Karachi équivalaient ceux de New York [Karachi, si loin de Paris]. En quelques instants, des spécialistes peuvent établir le profil d’un conducteur grâce à sa plaque d’immatriculation ? Manque de chance (...) à Times Square, l’apprenti poseur de bombe a laissé les clefs de chez lui dans sa voiture. Raymond Kelly, le chef de la police, a expliqué avoir tiré tous les enseignements de l’attaque de Bombay à l’armes lourdes, en 2008 [Bombes à Bombay]. Attend-il sur les pontons de Manhattan les zodiacs de guerilleros québecois voulant mettre la Grosse Pomme à feu et à sang ?
Vouloir pousser d’un cran le niveau de sécurité est possible. On peut par exemple bloquer la circulation automobile et/ou filtrer chaque rame de métro. Cela paraît toutefois difficile à mettre en place, à moins d’anéantir la vie économique dans Manhattan. Les deux journalistes montrent bien que New York a collecté plus d’argent public qu’aucun autre territoire de l’Union. « New York bénéficie plus qu’aucune autre ville des largesses du secrétariat d’Etat à la Sécurité intérieure. L’an passé, elle a engrangé plus de 145 millions de dollars, à rapporter au budget total de 798 millions de dollars. C’est deux fois plus que les 68 millions alloués à Los Angeles. Et même si personne n’ose avancer l’idée que la répartition est aberrante, le déséquilibre est évident. Ce qui est donné à l’un est retiré à l’autre. Reste à savoir si les résultats attendus sont au rendez-vous. » [Traduction Geographedumonde].
Après avoir rappelé un terrible précédent, lorsqu’un groupe d’anarchistes parvient à faire sauter une bombe dans l’immeuble de JP.Morgan, au nez et à la barbe de la police en 1920, Tina Susman et Geraldine Baum obtiennent d’un ancien responsable un commentaire beaucoup moins convenu des événements. « ’En fait, il est impossible d’empêcher tous les attentats’, affirme l’ancien chef de la police de Los Angeles, William J. Bratton, qui a occupé de hautes responsabilités au département de New York au milieu des années 1990 avant de revenir en Californie. ’Vous pouvez essayer de bâtir un palissade autour de Times Square et de Wall Street, cela ne changera rien ; la prochaine fois, la voiture explosera au milieu d’un match des Yankees ou des Red Sox. Et il faudra faire avec.’ » On retrouvera en note l’intégralité de la traduction de cet excellent article [1].
En se limitant à la question de la circulation automobile dans une grande agglomération, il apparaît que les modifications d’habitude provoque des oppositions frontales [Tartuffe d’Agen]. Les politiques publiques ne vont pas forcément dans le sens de l’intérêt général. L’idée que l’on pouvait revenir sur une politique du tout automobile heurtait la majorité. Au printemps 2008, Michaël R. Bloomberg a dû ainsi jeter l’éponge et renoncer à son projet de péage urbain, faute d’accord avec l’opposition démocrate. Celle-ci a justifié son refus parce qu’elle voyait dans le projet une forme d’élitisme déguisé n’apportant qu’une solution partielle, limitée à la seule presqu’île de Manhattan.
Le maire faisait pourtant miroiter une cagnotte fédérale de plus de 350 millions de dollars pour épauler financièrement la municipalité. Le Sénat de l’Etat et des dizaines de lobbyistes ont échoué à rendre attrayant pour le plus grand nombre la mise en place d’un péage de 8 dollars pour les voitures et de 21 dollars pour les camions. Les recettes du péage auraient servi à alimenter un fonds en faveur des transports en commun. Qui sait si l’on avait avancé l’argument d’une amélioration de la lutte anti-terroriste ? [source]. Quelques voies piétonnes ont quand même fait leur apparition fin 2009 [France 24].
Alors faut-il attendre les bras ballants les poseurs de bombe ? La question semble bêtement provocatrice. Face à un problème exceptionnel, on peut raisonnablement répondre par des moyens ordinaires. Je ne sais si le Marines a oublié ou négligé son métier, c’est-à-dire d’occuper le terrain, mais je note qu’un contractuel chargé des contraventions sur la voie publique peut se révéler plus utile qu’un commando formé au saut opérationnel et au combat à l’arme blanche. Un policier envoyé à la circulation comme les nettoyeurs sur le toit de la centrale nucléaire de Tchernobyl fait moins reluire ses chefs qu’un spécialiste du contre-terrorisme. Je conçois bien qu’une augmentation du nombre des pervenches et des policiers circulant à pied ne satisfait pas une population imbibée de films hollywoodiens invraisemblables.
A Times Square un vendeur de sandwich et un douanier ont évité le pire, symboles du temps qui s’écoule lentement et non de l’action coup de poing, symboles des gestes anodins et non de la haute technologie anti-terroriste. J’y tiens. Time is care.
PS. : Geographedumonde sur les Etats-Unis : Bûcher froid, Promenons nous dans les bois tant que le pavillon n’y est pas, L’Amérique reste à conquérir, Sécession de rattrapage, La fin du capitalisme attendra encore un peu, ‘Le Nouveau Monde’, comme une ode à l’Ancien Monde, Clint casse la baraque, Petits travers des grands travaux, Wild wild Midwest, l’approvisionnement électrique de la Floride, le vieillissement de la population dans le nord-est, le départ des mafieux new-yorkais, le pb des biocarburants ; sur la Californie (un, deux et trois).
Geographedumonde sur les problèmes de circulation automobile en ville : Tartuffe d’Agen, Genevois pas de solutions miracles, Ne pas confondre ‘Grenelle de l’environnement’ et festival des grands travaux subventionnés, La carte à la carte, L’Île de France aime Bombardier, Transports collectifs et habitat diffus en Ile de France, La commune circonscription administrative, et l’agglomération espace vécu, Du couple improbable ville - voiture.
[1] In New York, never enough security : « Le maire M.R. Bloomberg a parlé avec franchise de ce qui s’est passé à Times Square dimanche dernier. Il était en nœud papillon et costume trois pièces lorsqu’il est sorti en toute hâte d’un dîner à la Maison-Blanche. « Si un événement a bien montré que New York a besoin de davantage d’argent pour sa sécurité, c’est bien celui-là » a expliqué la machoire serrée Mr Bloomberg, avec en arrière-plan les gyrophares des véhicules du déminage, des pompiers et de la police. « Les fonds du secrétariat à la Défense intérieure devraient aller là où on en a besoin » a ajouté le maire, juste avant que le porte-parole de la police n’évoque la onzième tentative d’attentat terroriste à New York depuis le 11 septembre 2001.
Depuis la chute des Tours, New York a dépensé des milliards de dollars pour « mettre à niveau ses systèmes de sécurité ». Certains dispositifs sautent aux yeux. D’autres échappent à l’attention du passant. Des millions de piétons, new-yorkais ou simples touristes empruntent chaque année les stations de métro et les trottoirs de la métropole, en particulier dans les sites les plus fréquentés. Il y a des chiens renifleurs de produits explosifs et des policiers procédant à des fouilles systématiques de sacs. Des panneaux invitent les gens à signaler les comportements suspects. Des postes de contrôle filtrent le flux des passants sur les ponts. Un service à la fois en charge du contre-terrorisme et du renseignement patronné par Raymond Kelly, un ancien officier du corps des Marines auparavant en charge des Douanes fédérales, a été créé. Après le 11/09, Kelly s’est fixé comme objectif de mettre en place une police indépendante de Washington, pour assurer la défense de New-York.
Parmi les mille agents certains parlent l’ourdou ou le pachtoune, d’autres l’arabe ou le persan. Ils sont censés être opérationnels comme s’ils étaient en poste à Paris, Tel-Aviv ou Amman en Jordanie. Grâce à un matériel sophistiqué, ils peuvent dénicher toutes les informations imaginables, déchiffrer une plaque d’immatriculation ou un tatouage. L’actualité internationale est décryptée avec minutie. Ainsi, l’assaut sur Bombay par des commandos équipés d’armes lourdes en 2008 a incité la police new-yorkaise à se préparer à une telle éventualité, en suivant une préparation adaptée. Après les attentats de 2005 dans le métro londonien, on a procédé à l’installation d’une ceinture d’acier dans le bas de Manhattan : trois mille caméras et détecteurs de chaleur. A la mairie ou à Washington, les différents responsables plaident justement pour un élargissement du dispositif au nord, vers Midtown ; il engloberait Times Square, Grand Central Terminal et Penn Station.
En réalité, les autorités butent sur la quadrature du cercle. Comment protéger New York sans transformer Manhattan en un camp retranché ressemblant à la zone verte de Bagdad ? « C’est une chose de se sentir protégé au point de ne plus sortir de chez soi, c’en est une autre de percevoir le prix de la liberté. Or être libre c’est pouvoir aller et venir sans contraintes, c’est avoir la possibilité de prendre en main son destin » a disserté Mr Bloomberg. Alors que le directeur de la police et les dirigeants de l’Etat joignent leurs voix à la sienne pour réclamer plus d’argent au profit de la sécurité de New York, sans tenir aucun compte des demandes de leurs homologues d’Etats voisins. Après le 11 septembre, plusieurs députés new-yorkais « ont passé le plus clair de leur temps à s’agiter autour des besoins de la ville en matière de lutte anti-terroriste », note Michaël Balboni, ancien représentant et ancien conseiller du gouvernement pour les questions de sécurité intérieure. « Mais la politique étant ce qu’elle est, si vous voulez obtenir gain de cause financièrement, il vous faut gagner l’appui du représentant du Kansas par exemple. Croyez-vous que ce dernier s’intéressera à vous sans monnayer son soutien ? » New York bénéficie plus qu’aucune autre ville des largesses du secrétariat d’Etat à la Sécurité intérieure. L’an passé, elle a engrangé plus de 145 millions de dollars, à rapporter au budget total de 798 millions de dollars. C’est deux fois plus que les 68 millions alloués à Los Angeles. Et même si personne n’ose avancer l’idée que la répartition est aberrante, le déséquilibre est évident. Ce qui est donné à l’un est retiré à l’autre. Reste à savoir si les résultats attendus sont au rendez-vous.
« Les manques apparaissent partout » explique Julia Fenwick, qui gère pour le compte du secrétariat d’Etat la zone du Montana, avec une enveloppe de 6,6 millions de dollars. « Nous pourrions faire mieux », décrivant les étendues non surveillés et les cinq cents miles de frontière avec le Canada. Tout cela pose le problème du financement des hautes technologies mises en œuvre à New York. Celles-ci sont irremplaçables, au dire des autorités de l’Etat. Bigarrée, surpeuplée, agitée par des groupuscules extrémistes, New York n’a jamais cessé d’être la cible des terroristes, selon Christopher Dickey, auteur en 2008 de Pour rendre la ville sûre. Il y narre comment Kelly a révolutionné la politique anti-terroriste de New York. En 1920, des anarchistes sont parvenus à transporter dans une charrette à cheval puis à faire exploser une bombe dans l’immeuble de JP.Morgan, tuant trente personnes, en en blessant deux cents autres.
« En fait, il est impossible d’empêcher tous les attentats », affirme l’ancien chef de la police de Los Angeles, William J. Bratton, qui a occupé de hautes responsabilités au département de New York au milieu des années 1990 avant de revenir en Californie. « Vous pouvez essayer de bâtir un palissade autour de Times Square et de Wall Street, cela ne changera rien ; la prochaine fois, la voiture explosera au milieu d’un match des Yankees ou des Red Sox. Et il faudra faire avec. » Parce qu’il veut ménager des amis, Bratton assure que New York est quand même devenue plus sûre. La tentative d’attentat à Times Square le week-end dernier à l’heure des entrées théâtrales arrive sur la liste après la découverte d’un complot fomenté par un Afghan (Najibullah Zazi). Il cherchait à préparer un attentat suicide dans le métro de New York.
Le citoyen pakistano-américain Faisal Shahzad suspecté d’avoir garé son 4x4 à Times Square a été arrêté lundi soir, juste avant son départ pour Dubaï. Le véhicule contenait 100 livres d’engrais, mais pas le même système d’explosif utilisé lors de l’attentat d’Oklahoma City en 1995. John Timoney, ancien divisionnaire de la police de New York, trouve là, au milieu d’autres éléments – parmi lesquels l’oubli par le suspect des clefs de son domicile dans le 4x4 – des raisons de s’alarmer. « Il n’a pas été à la hauteur de la situation, mais il n’en reste pas moins un tueur de sang froid. » De fait, les raisons de s’interroger demeurent. Que se serait-il passé si des vendeurs de rue n’avaient pas signalé le 4x4 ? Que se serait-il passé si la douane de l’aéroport avait oublié de mentionner le nom des voyageurs retenus avant embarquement pour le vol de Dubaï ? « La bonne nouvelle est que le pire est loin. La mauvaise nouvelle est que l’avenir nous réserve encore de nombreuses surprises. » [traduction Geographedumonde]
Incrustation : DECLAN MCCULLAGH PHOTOGRAPHY.