Ci-gît la redevance à la papa

par Sylvain Rakotoarison
lundi 25 juillet 2022

« Dès cet été, nous tiendrons parole. La suppression de la redevance audiovisuelle permettra de faire économiser 138 euros à plus de vingt millions de foyers. Cette mesure ira de pair avec la réforme du financement de l’audiovisuel public, lequel garantira son indépendance et des moyens pérennes. Nous y travaillerons ensemble. » (Élisabeth Borne, le 6 juillet 2022 dans l’hémicycle).

Il n’a pas fallu plus de dix-sept jours pour mettre en application l’une des mesures phares du discours de politique générale de la Première Ministre Élisabeth Borne, également l’une des promesses électorales du Président réélu Emmanuel Macron : la suppression de la contribution à l’audiovisuel public (CAP) appelée plus couramment redevance audiovisuelle.

En effet, dans le cadre de l’examen en première lecture du projet de loi de finances rectificative pour 2022 (qui traduit budgétairement les dispositions adoptées précédemment sur le pouvoir d’achat), les députés ont adopté le matin de ce samedi 23 janvier 2022, à une large majorité, son article 1er, qui supprime cette taxe sur la télévision par 170 voix pour et 57 contre (principalement des députés FI, PS, PCF et EELV).

Disons-le clairement, personne ne regrettera la redevance audiovisuelle. C’est un peu comme la vignette sur les magnétoscopes ou la vignette automobile. D’autant plus que plein d’autres taxes ont été mises sur d’autres produits de consommation (regardez ce que vous payez pour les droits d’auteur lorsque vous achetez un support de mémoire, disque dur, clef USB, SD card, même pour vos propres créations !). Sans compter les nombreuses taxes écologiques ou de recyclage.

Un sondage réalisé par l’IFOP du 3 au 5 avril 2019 et publié au "Journal du dimanche" montrait que 85% des Français auraient été favorables à la suppression de cette redevance. Cette suppression est donc très populaire… et de là à dire que c’est populiste, et démagogique, certains députés FI n’ont pas hésité à le dire, en particulier Clémentine Autain : « Que vise votre suppression précipitée de la redevance ? S’il s’agit d’une mesure de pouvoir d’achat, vous assumez le fait que le budget du service public se verra retrancher de 3,7 milliards. Mais si vous nous dites, comme vous venez de le faire, monsieur Attal, qu’il n’y aura aucune perte, cela signifie qu’on retrouvera dans la main gauche ce qui a été perdu par la main droite. ».

Cette taxe qui est demandée à tout détenteur de téléviseur était payée par 23,2 millions de foyers fiscaux en 2017. Depuis 2017, son montant n’a pas progressé, stabilisé à 138 euros (sauf en 2018 à 139 euros), tandis que précédemment, elle n’avait cessé de croître (en 2000, elle était de 116 euros).

Elle a rapporté environ 3,9 milliards d’euros en 2018 (et 3,7 milliards d’euros sont attendus en 2022) pour assurer un financement pérenne de l’audiovisuel public, en particulier : 2,568 milliards d’euros pour France Télévisions (9 840 salariés), 609 millions d’euros pour Radio France (4 606 salariés), 285 millions d’euros pour Arte France (278 salariés), 263 millions d’euros pour France Médias Monde (1 856 salariés de RFI et France 24), 90 millions d’euros pour l’INA (1 002 salariés) et 79 millions d’euros pour TV5 Monde (409 salariés) selon des estimations réalisées en juin 2018.

La suppression de cette redevance était une suite logique de la suppression de la taxe d’habitation puisque depuis la réforme de Dominique Strauss-Kahn qui avait été très habile en demandant de déclarer la non-possession de téléviseur (au lieu de demander de déclarer la possession de téléviseur), ce qui avait augmenté son rendement, la redevance se payait en même temps et sur le même avis que la taxe d’habitation.



De plus, elle était anachronique si on considère qu’il y a désormais (et depuis une vingtaine d’années) d’autres modes pour regarder la télévision que posséder un téléviseur avec tuner (avez-vous remarqué que les magasins d’électroménager vous demandent vos coordonnées si vous achetez un téléviseur ou un décoder TNT, satellite etc. ? C’est une obligation fiscale).


Comme l’a dit en introduction à la discussion de cet article 1er, le député LR Jean-Jacques Gaultier, qui regardait vers nos voisins, la France est en retard : « Les nouvelles technologies et les nouveaux modes d’accès, je pense notamment aux plateformes numériques, la nouvelle façon de regarder la télévision, ou parfois de ne plus la regarder, et bien sûr la suppression de la taxe d’habitation, ont rendu la contribution à l’audiovisuel public obsolète, c’est la redevance à la papa, peut-être même à la papi. Il était nécessaire de la réformer. L’Allemagne et le Royaume-Uni l’ont fait il y a plus de dix ans, en instaurant soit une taxe universelle, soit une redevance sur les nouveaux supports tels que les tablettes ou les téléphones. (…) Quel que soit le domaine concerné, la suppression d’un impôt suppose néanmoins des délais et des solutions alternatives. Il faut trouver des ressources pérennes, dynamiques et prévisibles (…) pour compenser cette suppression. ».

Évidemment, cette suppression inquiète la gauche, le personnel de l’audiovisuel public (plusieurs syndicats avaient appelé à la grève il y a quelques semaines) et aussi ceux qui restent attachés à l’indépendance de l’audiovisuel public (tels que Rachida Dati dans un tweet pour s’opposer au gouvernement). Mais je trouve que l’indépendance ou la pérennité du financement n’étaient pas forcément plus assurées par la redevance que par le mécanisme qui vient d’être voté.

D’une part, parce que cela n’a pas empêché une rallonge de l’État de 600 millions d’euros à France Télévisions, en compensation des pertes sèches dues à l’interdiction de la publicité dans certains créneaux horaires, et ces 600 millions d’euros proviennent du budget général de l’État (cela représente 15% des recettes de la redevances). D’autre part, cette redevance est reconfirmée à chaque loi de finances et rien n’empêche une majorité une année de la supprimer (comme cette année). Après tout, on pourrait toujours dire, avec cette logique, que la pérennité des salaires des enseignants, des militaires, etc. ne serait pas assurée parce que leur financement provient du budget général de l’État.

C’est en gros ce qu’a répondu la Ministre de la Culture Rima Abdul-Malak le 20 juillet 2022 à la question de la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly sur le sujet : « Avec la fin de la redevance, nous supprimons le prélèvement qui pèse actuellement sur 23 millions de Français et non le financement de l’audiovisuel public, encore moins son indépendance. (…) La redevance est "à bout de souffle". En effet, elle s’adosse à une taxe d’habitation qui va disparaître, ainsi qu’à la possession d’un poste de télévision, alors que de plus en plus de Français regardent la télévision sur d’autres écrans. Qui plus est, vous le savez, cette redevance ne suffit pas à elle seule, puisque, chaque année, l’État ajoute environ 600 millions d’euros pour couvrir le budget de l’audiovisuel public. Le lien direct à la dotation de l’État a par conséquent toujours existé. ». Et la ministre a donné plusieurs garanties sur le financement : « la compensation à l’euro près, le versement de l’intégralité des ressources en début d’année pour éviter une régulation en cours d’exercice, une visibilité pluriannuelle accrue du financement ».


Le député centriste Charles de Courson, grand spécialiste des finances publiques, a voté contre cette suppression en raison du mécanisme qui sert à la remplacer, une part de la TVA : « L’article 1er est l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire : supprimer un impôt sans crier gare, dans le cadre d’une loi de finances rectificative. On nous explique que cette suppression est rendue nécessaire par celle de la taxe d’habitation, mais c’est nier le problème de fond : l’audiovisuel public et son indépendance comme élément de régulation de la démocratie. Il faut bien entendu réformer la contribution à l’audiovisuel public, car le système ne peut plus continuer en l’état. Cet impôt se délite du fait des évolutions technologiques qui ont modifié l’usage de la télévision. Tout le monde en convient. Mais il fallait un grand débat et un texte spécifique sur l’audiovisuel public. ».

Charles de Courson aurait trouvé plus juste de prendre une part de la CSG plutôt que de la TVA payée par tous, mais il reste convaincu que l’indépendance de l’audiovisuel public serait mieux garanti avec un impôt affecté : « J’appelle votre attention sur le fait que, dans le cas d’un impôt affecté, le Parlement peut décider d’une augmentation ou d’une baisse, alors que, dans le cas d’une dotation budgétaire, il ne peut décider que d’une baisse, en vertu de l’article 40 de la Constitution. ». Ce qui signifie qu’un impôt affecté donne plus de pouvoir aux parlementaires.

Comme les lois de programmation, l’indépendance et la pérennité du financement de l’audiovisuel public ne font pas débat dans l’hémicycle. C’est juste leur mise en application qui font débat et probablement que le mécanisme sera rectifié voire modifié dans la loi de finances pour 2023. Pour l’heure, les contribuables ont gagné, 138 euros pour l’année. C’est sans doute peu mais en ces temps d’inflation, c’est toujours mieux que rien.

Il reste qu’une grande réforme de l’audiovisuel public est dans les tiroirs depuis plusieurs années. Un rapport du Sénat a proposé une méthode, pas forcément la meilleure mais devenue parole d’Évangile, et d’autres acteurs majeurs de l’audiovisuel public sont prêts à entrer activement dans le débat public au risque d’y laisser des plumes. J’essaierai d’y revenir plus précisément dans les prochains temps.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 juillet 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
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