Le docteur Romano et les hélicoptères

par Nicolas Cavaliere
mardi 24 mai 2022

Une narration de malades.

Et voilà que maintenant, on commence à me parler de la variole du singe. Avant ça, c’était l’Ukraine, qui avait la dure tâche de succéder au Covid. L’imagination des médias pour raconter des histoires éloignées du quotidien des gens est sans limite. Et dire que cet après-midi, je suis sorti acheter des tomates !

Le stade de la question de la confiance dans les médias est dépassé depuis longtemps. Celle qui se pose maintenant, c’est celle de leur compétence. Mais qu’est-ce qu’ils racontent ? Ce ne sont plus des nouvelles quotidiennes, c’est une scénarisation planifiée du pire chaque jour qui se déploie. Ils seraient bien meilleurs pour une série ou un film que pour transmettre des informations.

Le rapport avec le docteur Romano du titre ? Évident !

D’abord, un petit rappel. Le docteur Romano, c’était ce médecin cynique, sorte de House avant l’heure, mais unidimensionnel et juste méchant, qui pourrissait la vie de ses collègues à l’hôpital de Cook County dans la série « Urgences », série qui connut un grand succès et dura de 1994 à 2009 à la télévision. Sur les 331 épisodes de la série, le docteur Romano apparaît dans 107. Interprété par Paul McCrane, qui jouait déjà un voyou dans le « Robocop » d’origine, voyou achevant son périple trempé d’acide et fondant littéralement sur le pavé, le docteur Romano a connu d’énormes mésaventures avec les hélicoptères.

Dans le premier épisode de la saison neuf, les docteurs Romano, Kovac et Lewis évacuent l'hôpital en raison d'une épidémie de variole du singe. Alors qu'ils sont sur le toit pour charger un patient sur un hélicoptère en attente, le vent fait tomber la carte du brancard ; lorsque Romano se déplace pour la récupérer, le rotor de l'hélicoptère lui coupe le bras. Dans le huitième épisode de la saison dix, alors que c’est, encore et toujours, l’agitation à l’hôpital, un hélicoptère fait une mauvaise manœuvre sur le toit et va s’écraser directement au sol… sur le docteur Romano, qui trouve ainsi la mort dans cet horrible quoique grotesque accident. Moralité de tout ça, les hélicoptères sont plus dangereux que la variole du singe.

Entre ces deux épisodes, il est peu de dire que le docteur Romano n’a rien appris malgré la perte de son bras. Il a continué à semer la discorde, et à licencier les infirmières les plus anciennes du service des urgences.

À ce point-là du texte, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de surligner l’évidence. Je vais le faire quand même, parce que ça m’amuse de filer des métaphores.

Le docteur Romano, c’est l’État qui assèche les hôpitaux de leurs personnels malgré qu’il se soit déjà coupé le bras. L’histoire du docteur Romano, elle aurait pu être écrite par nos médias d’aujourd’hui, désireux de faire des exemples sur le bien et le mal, de dire « Buitoni pas bien » d’un côté et « bravo Pfizer » de l’autre. Comme le dit souvent Superman, l’avion est le moyen de transport le plus sûr du monde, mais il suffit de monter un accident en épingle pour déclencher une paranoïa collective. Pendant que le docteur Romano périt à cause d’un évènement hautement imprévisible et excessivement rare, les petites mains agissent en coulisses pour combattre les causes les plus fréquentes de décès – la pauvreté, le désespoir, le cancer.

C’est comme si chaque jour qui passait, il nous tombait des hélicoptères sur la tête. Ce qui était marrant, absurde et exceptionnel dans une série télévisée commence à devenir le procédé habituel lorsqu’on regarde une chaîne d’information en continu ou qu’on lit la presse. L’accumulation depuis deux ans est tellement éloignée du quotidien dans toute son inertie et sa beauté qu’il faut prendre également le parti d’en rire.

Se moquer continuellement des annonces toujours plus extravagantes est le seul moyen de lutter contre cette maladie terrifiante qui s’est emparée des organes de relais de l’information et plus globalement du corps d’État qui impose les lignes directrices de la communication, dignes d’une série Z à la Roger Corman. Elle est terrifiante car elle est hautement contagieuse et qu’elle s’installe durablement chez les gens qui l’attrapent. À cause d’elle, certains se font vacciner quatre fois par an contre le rhume et portent un masque à la plage en plein été. Et ces gens-là, en vrai, ils n’aiment pas qu’on se moque d’eux. Ils ont voté dernièrement pour nous le faire comprendre. Ils se sentent à l’évidence concernés par toutes ces histoires à dormir debout.

Profitons donc tant que le prix du pop-corn n’augmente pas trop, nous allons au-devant d’une parade extraordinaire. Le spectacle est gratuit, pour l’instant. La méchanceté se paiera. Pour satisfaire au sacrifice, dans la vraie vie, on commence toujours par les innocents. Ils s’en moquaient, ils ne savaient pas… Ils regardaient tomber la monnaie-hélicoptère...


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