Affaire TER Nice-Lyon : Orange mécanique, ou mécanique électorale

par Laurent
vendredi 6 janvier 2006

Lors du premier jour de cette année encore jeune, des incidents ont éclaté à bord du TER Nice-Lyon. Je suis certain qu’aucun de vous n’a pu échapper à cette information, qui a été reprise sur toutes les radios et dans tous les journaux. Alors pourquoi revenir sur cette information déjà épuisée par le traitement qu’elle a subi ? Justement pour discuter de ce traitement. Voici comment j’ai, pour ma part, eu vent de ce fait divers :

1ère étape - L’annonce

Mardi 3 janvier, je crois, au journal de 18h de France-Inter, les faits étaient rapportés de la façon suivante (je cite de mémoire, pardon, s’il y a quelques imprécisions) :

Nous serions revenus au temps du Far west, à en croire le présentateur du journal qui parle même « d’attaque de la diligence ». Le train aurait été arrêté en gare des Arcs pendant près d’une heure et demie, durée pendant laquelle deux bandes de quinze personnes auraient mis à sac le train, détroussant les voyageurs et commettant même des violences sexuelles sur une jeune fille de vingt ans.

La description que j’ai entendue ce mardi[1] avait de quoi ficher la trouille, on était en plein « Règlement de comptes à OK Corral » dans un TER. Moi qui ne suis déjà pas fan du train, voilà de quoi me dissuader de prendre un train régional pour un bon moment. Les images évoquées par les journalistes étaient claires pour tous ceux qui, comme moi, ont vu un certain nombre de films de cow-boys dans leur jeunesse (et même après, il n’y a pas de honte), et nous renvoyaient effectivement à une situation de non droit et de violence extrême.

Les titres des journaux, jeudi 5 janvier, sont également éloquents : « Train de l’enfer : c’est la police qui déraille », titre France Soir, « Le train de la honte », pour La Dépêche du Midi, Libération : « Train Nice-Lyon : questions sur un « far west » ». Libération qui, à sa décharge, commence à poser la question de la véritable ampleur de ce fait divers.

2e étape - On commence à corriger le tir

Et effectivement, dès mercredi, le ton a déjà changé sur France-Inter, on entend maintenant parler de quelque chose qui ressemble plus à un énorme chahut de fêtards du réveillon rentrant chez eux qu’à une attaque de diligence. Selon les mots mêmes du procureur de Draguignan (cité dans le journal de 19h de France-Inter) nous sommes plutôt en face « d’un climat de grande insécurité [...] pas d’un phénomène de bande montée dans le train pour rançonner, [mais plutôt en face de] gens très excités après le réveillon ».

On a également droit à des témoignages de passagers qui, finalement, donnent une image plus proche de la deuxième version. Résultat, « l’attaque de la diligence » aurait donné lieu au vol de deux portefeuilles et de deux téléphones portables (butin après tout assez maigre, pour une bande de plus de trente personnes mettant à sac un train pendant une heure et demie), et à l’agression sexuelle d’une jeune fille de vingt ans par plusieurs personnes, mais qui semble être très loin d’un viol. Pendant le trajet, ces mêmes personnes auraient également commis de nombreuses dégradations dans le train.

Information ou dramatisation ?

Alors, certes, ce qui s’est passé dans le train Nice-Lyon n’est pas normal. Effectivement, il semble bien qu’une quarantaine de personnes passablement éméchées aient eu un comportement inadmissible et inqualifiable, injuriant et terrorisant les passagers. Mais on est tout de même loin de Orange mécanique, contrairement à ce que certains médias ont pu dire. Pour ceux qui ne connaissent pas le film de Stanley Kubrick, je rappelle qu’il mettait en scène une ultra-violence conduisant à des meurtres des plus sordides. De même, les attaques de diligences des westerns, bien qu’édulcorées par la machine hollywoodienne, étaient-elles également extrêmement violentes et meurtrières.

Autrement dit, malgré toute la gravité des faits qui ont eu lieu, on est, en réalité, très loin de la description qui en a été faite par les médias mardi dernier. Alors pourquoi une telle surenchère, pourquoi une telle loupe mise sur un fait divers somme toute assez banal, bien que scandaleux ? Les personnes agressées vont même être reçues par le ministre de l’Intérieur. Décidément, si comme résolution de nouvel an il a décidé de recevoir toutes les personnes qui se sont fait voler un portefeuille ou un portable, c’est sûr qu’il va être occupé en 2006, notre bon Nicolas.

Vœux pieux pour 2006

C’est bizarre, mais j’ai l’impression qu’on est en train de recommencer une bonne vieille campagne sur l’insécurité, et nos chers médias qui, après la campagne présidentielle de 2002, avaient fait un mea culpa sur le traitement trop sécuritaire de l’information (qui avait indéniablement bénéficié à l’UMP et au Front national), sont repartis à fond de train, sans se poser plus de questions.

Seulement cette fois, la course est lancée plus d’un an à l’avance, je ne sais pas ce qu’ils vont nous sortir pour pouvoir faire « monter la sauce », mais il faut s’attendre à tout. Osons espérer que tous les médias ne tomberont pas dans le jeu sarkozyste, et que certains sauront rester sereins au milieu de la tourmente, mais rien n’est gagné. Puissent des environnements alternatifs, comme Agoravox, permettre de modérer quelque peu la campagne qui s’annonce ; il est clair qu’il faudra être vigilants et actifs dans la dénonciation des excès, pour essayer de contrebalancer l’acharnement médiatique en vue.

[1] L’information est apparue dans les rédactions dans l’après-midi du mardi, car elle n’était pas traitée lors du 13/14 de France Inter ce jour-là. On était donc à plus de 48h des faits.


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