Agora Vox Populi ?
par didier
mercredi 22 février 2006
AgoraVox, le « journal citoyen » présente de louables intentions. Cependant, à y voir de plus près, on peut légitimement se demander s’il n’a pas les mêmes défauts que la presse généraliste, les qualités en moins.
LE CONSTAT
Dans un premier temps, il suffit de regarder l’article mis en valeur ces derniers jours pour constater qu’il relate un fait jugé inquiétant (le moustique réunionnais, l’état des prisons, les décharges publiques, la directive Bolkenstein, danger de l’aspartam...) et qu’il ne fait pas exception à la fameuse règle : "Une bonne nouvelle n’est pas une nouvelle".
De plus, les principaux dossiers du site collent de très près aux modes journalistiques : affaire "Outreau", affaire "caricatures", affaire "grippe aviaire"...- en proposant phléthore d’articles eux - mêmes submergés de commentaires parfois affligeants. Là aussi, le réflexe d’adhérence, seconde nature journalistique, se manifeste avec entrain. La profusion des rédacteurs - plus de 2000 - laisse rêveur, et l’ensemble ressemble à un forum d’expression personnelle - très en vogue - où tout un chacun pense avoir un avis original et intéressant à formuler, selon le grand mythe égalitaire.
Ainsi, on flatte les ego, on entretient l’illusion, on lustre la figure mythique de Narcisse. On place côte à côte, avec une pointe de démagogisme, Joël de Rosnay et un anonyme, ravi d’être en si flatteuse compagnie. D’ailleurs, nombre de rédacteurs attirent l’internaute sur leur site personnel, faisant ainsi preuve de leur nombrilisme et souvent, au vu du contenu de leur blog, de l’inanité de leur discours. En parcourant les sommaires quotidiens, on est frappé par l’absence de cohérence de l’ensemble. On saute du coq à l’âne - sans mauvais jeux de mots, du sérieux à l’humoristique, de l’important au frivole, du compétent à l’inepte. Nous obtenons logiquement un fourre-tout déstructuré, qui participe au caractère chaotique et inintelligible du monde qui nous entoure, compte tenu que chacun d’entre nous, plongé dans son égotisme aussi démesuré que vide, se situe nécessairement au centre.
Dans cette cacophonie moderne, où l’information est surabondante, dépressive, désabusée, fragmentaire, soumise aux modes et à la médiocrité, Agora Vox pourrait assurément faire entendre "une voix citoyenne" plus exigeante et pertinente.
QUELQUES PISTES
Il serait bénéfique de réduire le nombre de rédacteurs, et de leur demander d’écrire dans des domaines où leur champ de compétences est le plus affirmé. Les sélectionneurs doivent avoir un haut niveau d’exigence, car de leurs choix dépend l’intérêt d’Agora Vox. Autour d’une équipe de " rédacteurs " de qualité, toujours ouverte à de nouvelles plumes, Agora Vox gagnerait en intérêt, à condition ne pas avoir peur de refuser une grande quantité des articles qu’on peut lire actuellement sur le site.
Vous pourriez aussi proposer une hiérarchie des articles - l’aspartam article principal de une ? - selon des critères rigoureux, en rapport avec l’importance objective de l’événement et la pertinence du regard porté, ou l’épaisseur de l’argumentation. Car il est démagogique de simuler une pseudo- égalité idéologique qui ne tend qu’à niveler les valeurs individuelles, qu’à entretenir le dénigrement de l’intelligence et de la culture au profit d’une paupérisation intellectuelle de masse. Ne serait-il donc plus permis de demander une vigueur de l’esprit à nos concitoyens, sans passer pour un imbuvable élitiste ?
Le citoyen n’est en rien l’incarnation de la vertu, contrairement à son concept philosophique. Mais c’est un autre débat. Les rédacteurs sélectionnés pourraient aussi s’engager à écrire un certain nombre d’articles par semaine, ce qui permettrait de programmer à moyen terme le contenu du journal.
La périodicité d’Agora Vox devrait plutôt être heddomadaire, pour lui donner une structure plus affirmée et une plus grande lisibilité. "Cette permanence du changement ", pour paraphraser A. Finkielkraut, fragilise les individus, brise les répères, trouble les identités, et nous renforce dans notre propension à nous auto-centrer sur un moi de plus en plus friable. Moins de précipitation, mais davantage de maturation ne pourraient qu’améliorer le contenant et le contenu du site.
Votre politique éditoriale, pour offrir une information d’une autre nature - mais peut-être n’est-ce pas votre but - doit se fixer des objectifs clairs, soutenue par une volonté inflexible : sélectionner plus et mieux, renoncer aux modes, favoriser l’intelligible et le lien entre les évènements, hiérarchiser objectivement l’information, supplanter le nihilisme ambiant et l’addiction au sordide par une vue réaliste et équilibrée du monde. En somme, dessiner une approche intellectuelle qui s’apparenterait à une forme de résistance citoyenne au grand maelström médiatique.