AgoraVox : la Radio Londres numérique ?

par Paul Dalio
jeudi 1er juillet 2010

Les journalistes français doivent-ils avoir peur d’être « baillonnés » ? C’est ce que craignent désormais leurs confrères italiens. Le 29 juillet prochain les parlementaires de la péninsule valideront une loi qui interdira la retranscription des écoutes téléphoniques dans la presse. On l’appelle là-bas la legge bavaglio. La loi baillon.
 
D’ailleurs, aujourd’hui même, jeudi 1er juillet, est en train de se dérouler une grande manifestation co-organisée par AgoraVox contre cette loi.
 
Avec cette même loi, en France, il n’y aurait pas eu d’affaire Woerth. Voilà qui pourrait hélas inspirer le législateur français. Jean-François Copé y pense quand il déclare que les bandes de Médiapart sont illégales...
 
Mais la résistance s’organise. Et il va falloir désormais réfléchir à ces nouveaux concepts qui méritent d’être diffusés : "l’exil numérique" et "l’exil journalistique".
 
L’Islande prend les devants et souhaite s’inscrire comme le "paradis des journalistes" avec une législation optimale pour la protection des sources et des journalistes.
 
Le site AgoraVox s’inscrit quant à lui comme un nouveau Radio-Londres ! 
 
Renversement de tendance : les journalistes commencent à comprendre que leur salut viendra du numérique.

« Agoravox, la Radio-Londes de l’Italie ? ». Cette formule choc est le titre d’un article paru dans les Inrockuptibles le 18 juin, jour symbolique s’il en est. Le journaliste Marc Beaugé interviewait Francesco Piccinini, le responsable éditorial d’AgoraVox Italie, à propos de la loi baillon qui suscite, on le comprend, de grandes inquiétudes chez nos voisins. Piccinini y expliquait qu’AgoraVox.it ne ne tombe pas sous le coup de la loi italienne "baillon" puisque AgoraVox « est à l’origine une fondation belge » et que son serveur « est installé en France. » Il y aura « encore la possibilité d’exploiter les écoutes téléphoniques » et le site pourra « accueillir les infos que ne pourront plus publier les journaux. ».
 
La résistance en Italie s’organise menée entre autres par AgoraVox.it et un grand rassemblement est prévu aujourd’hui jeudi 1er juillet contre la loi Baillon. Plusieurs centaines de sites web italiens ont en effet adhéré à l’appel lancé par la fédération italienne de la presse contre cette loi. La retransmission du direct est diffusée partout sur Internet et notamment sur les sites web des médias partenaires comme AgoraVox Italie, La Repubblica, Rainews ou Il Corriere della Sera. Le direct a lieu de la Piazza Navona de Rome et pour AgoraVox interviendra le directeur du journal italien, Francesco Piccinini. Pendant cette longue émission (accessible en direct plus bas) seront diffusées également les enquêtes les plus importantes qui ont été récemment menées par les principaux médias online, blog, web tv et autres journaux citoyens comme AgoraVox. Participent à ce "marathon" live également des dizaines de journalistes, éditeurs ou magistrats.
 
 
De nombreux journalistes et citoyens vont s’exprimer tout au long de la soirée en direct :
 
 
Mais demain est incertain... notamment pour la France. D’autant plus que la proximité, pour ne pas dire la complicité, est grande entre Berlusconi et Sarkozy. Pour l’heure cette loi baillon n’est pas programmée en France. Alors pourquoi avoir peur ? 

Alors que l’affaire Woerth bat son plein et que les ministres et parlementaires UMP font front commun pour défendre le ministre du travail, une phrase prononcée par le chef de file des députés UMP à l’Assemblée nationale, Jean-François Copé, sonne étrangement aux oreilles.
 
Evoquant les fameux enregistrements réalisé par le majordome de Liliane Bettancourt il déclare (vers 1minute08) : « ...ces enregistrements, il faut bien rajouter à chaque fois qu’ils sont illicites, c’est un mot gentil pour dire illégaux....Tous les journalistes aujourd’hui travaillent sur des trucs qui sont illégaux... » :
 

Cette petite phrase glissée comme ça, l’air de rien, vient certainement de loin. C’est une manière de dire qu’en haut lieu on y réfléchit. Une sorte de signe avant-coureur.
 
Si une loi baillon existait en France quel serait le recours des journalistes français ? Comment, tout simplement, pourraient-ils travailler ?

Faut-il imaginer un "exil numérique" comme un "exil politique" de ses serveurs vers un pays plus clément (pour l’instant) ? Soixante dix ans après l’appel du 18 juin 1940 où Général de Gaulle appela les Français à résister à Vichy.
 
Ce que nous dit De Gaulle, c’est qu’aucun combat n’est perdu d’avance. En voici la preuve : "Dans la nuit du 15 juin dernier, le Parlement islandais, l’Alþingi, a voté à l’unanimité la résolution « Icelandic Modern Media Initiative » (IMMI) (littéralement Initiative Islandaise rela­tive aux médias modernes »).

Ce texte vise à faire du pays un « refuge » ou « paradis » pour le journalisme d’investigation, et plus généralement à renforcer « la protection des libertés d’expression et d’information » en Islande, et dans le monde.

L’objectif est de créer une « cadre légal exhaustif » qui garantisse une « protection renforcée » pour les sources, journalistes et publications, et sécurise les communications et données. Soutenue par dix-neuf parlementaires islandais, dont Birgitta Jonsdottir (parti Mouvement), mais aussi le site WikiLeaks et des organisations (Global Voices, la Quadrature du net, etc.), Smari McCarthy, responsable de l’IDFS et Eva Joly, l’initiative doit maintenant être transposée en loi" (source Owni).

L’Islande fournit le terrain idéal pour que le journaliste puisse faire son travail, mais aussi pour que n’importe quel citoyen puisse s’exprimer car la liberté d’expression, indispensable à la construction de la démocratie, est le même pour tous. La liberté d’information et d’expression est un droit. "L’exil journalistique" permet aussi à tous les journalistes qui se sentent brimés dans leur rédaction, qui sentent que leur contexte politico-économique de leur rédaction les pousse à l’auto-censure, d’aller s’exprimer sur les supports libres et indépendants comme AgoraVox pour envoyer et publier tout ce qui ne peut pas l’être ailleurs. Mais aussi tous les citoyens qui ont envie de dire les choses, de faire entendre leur voix, et qui n’ont nulle part où s’exprimer pour être entendu.

L’avenir pourrait être sombre. 

L’exil numérique et journalistique sera t-il la solution pour sauver le pluralisme de l’information ? Il ne s’agit pas de se lancer dans une lutte pour tout changer. Mais d’exploiter le potentiel d’Internet pour informer et mobiliser sur le terrain. C’est un message adressé à tous les citoyens libres. Etre citoyen ne signifie pas simplement cocher un bulletin de vote, mais rappeler ce qui est écrit dans l’article 1 de notre Constitution : « La souveraineté appartient au peuple ». Nous sommes souverains, ne l’oublions jamais.


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