Alain Duhamel : « Je voterai François Bayrou »
par Jean-Michel Aphatie
vendredi 16 février 2007
J’ai regardé sur mon agenda. La première fois que j’ai rencontré Alain Duhamel, c’était le 16 juin 2003. Je connaissais son travail, bien sûr, sa réputation, mais je n’avais jamais eu l’occasion de parler avec lui, d’échanger des idées sur la politique, qui est notre champ de travail commun.Ce jour-là, nous avons pris un café, en début d’après-midi, à l’initiative de Noël Couëdel, qui dirigeait à l’époque la rédaction de RTL et qui me proposait de quitter France Inter, où je dirigeais le service politique, pour rejoindre la rue Bayard et prendre en charge la réalisation de l’interview quotidienne de 7h50.
J’ai un souvenir précis de ce moment. Alain Duhamel, qui ne devait pas avoir une idée très précise de mon travail et de mon parcours professionnel, s’est montré tout de suite cordial et bienveillant. Il n’avait pas à proprement parler le pouvoir de décider ouù non de mon embauche, mais il était clair que pour Noël Couëdel, avec qui j’avais travaillé quelques années auparavant au Parisien, un véto de sa part l’aurait dissuadé d’aller plus loin dans son projet.J’ai réalisé ma première interview sur RTL le 23 août 2003. Alain Duhamel était assis à sa place habituelle dans le studio A, juste à ma gauche. C’est une émotion particulière, pour un journaliste, de travailler sous le regard, et dans la proximité de quelqu’un qui a son passé, son expérience, sa réputation. Depuis ce premier jour, cela ne s’est jamais démenti ensuite, Alain Duhamel s’est montré cordial, sympathique, bon camarade en un mot. Sans sa bienveillance, j’aurais sans doute eu du mal, des difficultés, à m’installer dans ce rôle particulier et difficile d’interviewer sur une grande radio comme RTL. Par son attitude et sa présence amicale, il m’a aidé à franchir ce qui représente pour moi, dans ma vie professionnelle, une étape importante.Tout au long de ces mois de travail commun, j’ai appris à connaître Alain Duhamel.
D’abord, il travaille. Un homme comme lui pourrait se reposer sur un acquis incontestable. Ce n’est pas son cas. Beaucoup de lectures, de rencontres, de recherches nourrissent sa réflexion. Cela s’entend à l’antenne, se remarque aussi dans ses papiers. J’ai ensuite découvert sa liberté d’esprit. Il n’est pas un homme de chapelle. Il aime confronter les responsables à leurs contradictions, à leurs faiblesses. En ce sens, il est un réel journaliste. En plus, j’ai pu constater combien, matin après matin, son humour, une forme d’ironie délicate, sa capacité à alléger l’atmosphère, sont précieuses pour une équipe confrontée à l’âpreté de l’actualité. Fabriquer une radio exige beaucoup de ceux qui le font. Les femmes et les hommes qui font tourner la boutique matinale se lèvent tôt, deux heures du matin, une vraie galère. Ils doivent travailler vite, arbitrer en permanence entre les informations les plus diverses, hiérarchiser correctement l’ensemble et subir, c’est inévitable, les critiques parce qu’il y a toujours un détail qui cloche et que le professionnalisme, justement, c’est de faire en sorte que, détail après détail, le travail d’ensemble s’approche du meilleur, un but rarement atteint et toujours visé. Dans cette ambiance, tous les éléments qui apportent un intelligent recul sont précieux. Et c’est pour cela, entre autres choses, qu’Alain Duhamel est précieux pour RTL.
L’histoire maintenant, ou l’affaire, pour ceux qui aiment le drame.Faisons simple. Alain Duhamel apparaît sur une vidéo. Il dit : ’je voterai François Bayrou.’ Ceci n’est pas contestable. L’ayant dit, il lui est difficile de continuer à assumer l’éditorial sur RTL, en période électorale. Concrétisons la situation. Imaginons que le candidat centriste réussisse sa percée, enchaîne les bons coups, trouve le bon ton.
Parce que la vidéo existe, Alain Duhamel se trouverait en difficulté pour le dire et l’analyser ; le ferait-il que les auditeurs seraient nombreux, pour ne pas parler des corbeaux gris qui tournent autour des médias, à se plaindre d’une partialité qu’ils appuieraient sur la fameuse vidéo. A l’inverse, si le candidat de l’UMP ou la candidate du PS perdaient du terrain, le commentaire visant à établir ce constat serait également suspecté de favoriser, implicitement, le prétendant de l’UDF. Dans sa vraie vie professionnelle, Alain Duhamel est capable de distance et d’objectivité. Mais cet aveu public introduit le soupçon sur sa bonne foi. C’est parce qu’il en a eu tout de suite la claire conscience, qu’Alain Duhamel, en accord avec la direction de RTL, a souhaité se mettre en retrait de l’antenne. Il participera à des débats, durant la campagne, et son expertise sera précieuse, mais il n’incarnera plus la ligne éditoriale de RTL, car cela lui est devenu plus délicat.
La situation était professionnellement complexe et humainement délicate. Alain Duhamel l’a géré avec beaucoup d’intelligence et, je l’ai dit à l’antenne ce matin, d’élégance. Ce dernier adjectif ne vaut pas pour tout le monde. Dès hier soir, Jean-François Kahn s’est rué dans ce qu’il a jugé être une brèche. Lui qui, dans un éditorial paru à la mi-décembre dans Marianne, classait Alain Duhamel dans les journalistes sarkozystes, s’indignait tout à coup que son aveu public d’une sympathie pour François Bayrou lui vaille quelques difficultés. Sans prendre le temps de relever qu’il avait raconté n’importe quoi à ses lecteurs, il notait que, si on s’en prenait à lui, c’était justement parce qu’il se sentait proche du leader centriste. Et d’ajouter explicitement que s’il avait avoué une préférence pour l’UMP ou le PS, rien ne serait arrivé. Porter le journalisme à ce niveau de mauvaise foi, c’est mettre les deux pieds dans le monde, certes passionnant du roman, de l’invention, de l’imputation, de la fadaise, mais enfin quelque chose qui est assez éloigné des réalités, ce qui demeure quand même la base du métier que prétend faire Jean-François Kahn.
L’élégance n’est pas non plus une caractéristique qui étouffera Guy Birenbaum. C’est lui, collaborateur par ailleurs de On refait le monde sur RTL, qui a popularisé hier, sur son blog, la fameuse vidéo. Il serait crétin de lui en faire le reproche. La vidéo existe, personne n’en conteste l’authenticité, les mots qui font problème ont bien été prononcé. Donc, dire qu’elle existe est normal et même, puisqu’elle existe, utile et sain. Mais ce matin, Guy Birenbaum met en ligne, toujours sur son blog, un texte étrange. Il s’étonne de l’ampleur qu’a pris l’affaire et surtout, il s’indigne des conséquences pour Alain Duhamel de la diffusion de la vidéo. Évoquant son retrait de l’antenne, il écrit : ’Le sort réservé à Duhamel est une belle hypocrisie.’ Ainsi,
Guy Birenbaum est, ce matin, dans la situation de quelqu’un qui a allumé une mèche et qui s’étonne que le baril de poudre ait explosé. Il existe pas mal de mots dans le dictionnaire pour qualifier ce type d’attitude mais, franchement, il ne viendrait pas à l’esprit de grand monde de parler, à son propos, d’élégance.
Photo : RTL