Annoncer les résultats de l’élection avant 20 heures : Lettre ouverte à Jean-Marc Morandini

par Eric-nicolier
mardi 17 avril 2007

Cher Jean-Marc, cher confrère,

Vous avez lancé sur votre blog, une proposition curieuse consistant à publier avant tout le monde, dès dix-huit heures, les estimations du premier tour de l’élection présidentielle.

Proposition curieuse en effet.

Dans un premier temps, vous rappelez que vous faites partie des rares privilégiés qui, en France, connaîtront ces chiffres quelques heures avant l’immense majorité des Français.

Il est vrai qu’à partir de dix-sept heures, les états-majors des partis politiques et des candidats, les cabinets des préfets, les salles de rédaction bruissent d’indications souvent fiables sur les estimations lâchées aux alentours de vingt heures.

Seriez-vous devenu une sorte de chevalier blanc, à même de briser l’insoutenable fracture entre l’élite qui saurait et le menu peuple laissé volontairement dans l’ignorance ?

Redevenons sérieux, car rarement une élection présidentielle n’aura autant rameuté de sirènes populistes.

On ne savait déjà où donner de la tête. Entre une Ségolène Royal et ses jurys populaires, un François Bayrou et la thématique ressassée des médias dominés par le grand capital qui mentent au peuple et un Nicolas Sarkosy et ses incursions sécuritaires, ne pensez-vous pas que le populisme a suffisamment donné de la voix ?

Je suis toujours peiné qu’un journaliste, de surcroît disposant d’une assise populaire réelle, aille vers tant de facilité.

Oui, il est toujours aisé de s’engouffrer à prétendre défendre le peuple en prétextant que ses droits sont bafoués.

Votre appel à violer la loi peut choquer. Visiblement agacé que l’on vous reproche cette position, vous prévenez aujourd’hui même sur votre blog : « Plutôt que de polémiquer pendant des heures sur le thème "Morandini a-t-il le droit ou pas ?" réfléchissons à trouver des solutions ».

Admettons ! Cela dit, la question de savoir si quelqu’un a le droit ou non de violer une loi n’est pas aussi ridicule que vous le prétendez. Est-ce au citoyen de prétendre démontrer l’inanité d’une loi en la violant lui-même ?

Visiblement sur la question nous n’avons pas tout à fait la même position.

Mais là n’est pas la question. Plus encore, on sera choqué par l’ignorance qui se cache derrière votre proposition.

Je ne vous apprendrai pas, du moins je l’espère, que si les sondages sont interdits de publication avant vingt heures, les soirs du premier et du second tour, c’est uniquement par respect pour les électeurs eux-mêmes.

Vous n’y pouvez rien, mais un nombre important d’électeurs se rend aux urnes entre dix-huit heures et vingt heures. Il est tout de même surprenant, et irresponsable, que vous ne posiez pas la seule question qui vaille.

N’influencerait-on pas le vote d’un électeur si cet électeur connaîssait avant d’aller voter les estimations du vote auquel il participe ?

Dit autrement, les électeurs de 2002, qui se sont déplacés entre dix-huit heures et vingt heures, auraient-ils voté de la même manière s’ils avaient su que Jean-Marie le Pen était qualifié pour le second tour ?

Les électeurs du second tour de l’élection présidentielle de 1974 auraient-ils voté de la même manière entre dix-huit et vingt heures, si à deux heures de la fermeture du bureau de vote on leur avait annoncé que Valéry Giscard d’Estaing n’allait l’emporter sur François Mitterrand que de seulement 400 000 voix ?

Vous savez bien que dévoiler cette information avant l’heure aurait un effet pervers préjudiciable au bon fonctionnement du vote et de la démocratie elle-même.

Sur votre blog, vous demandez à ce que la loi électorale change pour s’adapter aux changements technologiques. Cet argument est ridicule. Il reviendrait aujourd’hui à demander à porter la vitesse sur les routes à 140 km/h au motif que les véhicules vont largement au-delà et sont plus sûrs qu’il y a vingt ans.

Si la loi électorale est parfois aussi stricte, il y a des raisons précises qui fondent cette rigueur. Ces règles, ne vous déplaise, ne sont ni désuètes ni stupides. Elles permettent tout simplement de baliser une élection avec les garanties les plus fiables qui soient.

Cette interdiction de publier les sondages avant vingt heures fait partie de ces garanties.

Cher Jean-Marc, cher confrère, revenez sur votre décision.

Ne jouez pas, de surcroît, à celui qui aide à allumer le feu pour ensuite crier qu’il faut trouver une solution à l’incendie. Au motif de l’exigence déontologique que tout journaliste se devrait de respecter, cette simple raison devrait vous suffire à renoncer.

Sincères salutations.

Eric Nicolier


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