Arręt de l’image
par Clad
vendredi 22 juin 2007
Une fois n’est pas coutume, je vais défendre un journaliste.
Ce journaliste n’est pas parfait. En plus d’accumuler certains travers propres aux journalistes (notamment une hypertrophie céphalique), il fait aussi partie de cette classe intellectualiste parisienne qui insupporte beaucoup. Mais au moins on peut reconnaître à celui-ci un peu de professionnalisme, d’opiniâtreté, voire, soyons fous, de courage. On peut même aller jusqu’à parler d’honnêteté intellectuelle (si, si, je parle bien d’un journaliste), d’une certaine constance... Il est dommage que ce modèle-là soit l’exception et non la norme, mais enfin, réjouissons-nous de son existence au lieu de médire.
Ce journaliste, c’est Daniel Schneidermann, un nom que j’avais l’habitude de voir écrit en bas des articles d’un "imMonde torchon au service du capital". Ses compétences ayant été remarquées en haut lieu, il en a été récompensé comme il se doit, c’est-à-dire qu’il a été remercié. Mais M. Dermann a une autre corde à son arc : il présentait l’émission Arrêt sur images, une émission pas forcément passionnante, mais pas non plus dénuée d’un certain intérêt (une émission à son image en sorte), en tout cas une des rares bonnes émissions traînant encore sur la télévision publique.
Arrêt sur images tirait son intérêt de son analyse de la télévision, donc des médias, par la télévision. Vu de l’intérieur, avec la participation de ceux qui font la télévision. Sans limites apparentes, D. Schneidermann et son équipe se faisaient un point d’honneur à aller au fond des choses, là où ça dérange. L’émission est très vite boycottée par les "journalistes" de TF1 et de certains journaux, mais s’attire surtout l’antipathie de la classe politique, en déconstruisant méticuleusement les processus d’imagerie déployés par les différents candidats. Et bien que ce fût sur Segolène Royal qu’ils ont eu la main la plus lourde durant la campagne présidentielle, ils n’ont pas non plus été indulgents avec le petit (tout petit) Nicolas.
Visiblement, cette irrévérence n’a pas été sans conséquence, puisqu’après plusieurs semaines d’incertitude (délai assez inhabituel, généralement les décisions concernant la reconduite ou non d’une émission est signifiée à peu près un mois avant la dernière de l’année), décision a été signifiée (le lendemain du second tour des législatives, alors que la décision avait vraisemblablement été prise depuis un moment) de stopper définitivement Arrêt sur images. Motif ? "l’émission est un peu usée par le temps". Bon, il est vrai que le concept n’avait pas beaucoup bougé ces dernières années (à part une interaction forum/émission rarement vue), mais ça n’était pas faute de demande d’autorisation auprès de la direction de faire un peu évoluer ça de la part de l’équipe d’Arrêt sur images. Et puis "l’émission est un peu usée par le temps", il faut généralement lire "manque d’audimat" non ? En 12 ans d’existence, Arrêt sur images a culminé à 7.6 points d’audience, cette année, l’audimat était de 6.7, ce qui reste un très bon score, et d’autant plus si on prend en compte l’arrivée de la TNT qui a fait chuter l’audimat de toutes les chaînes hertziennes, sans exception. Bref, pas de véritable motifs.
Alors voilà, à force de crier au loup pour un pauvre journal qui autocensure une information d’une importance toute relative (d’autant que la loi permet explicitement la censure d’Etat pour toute information nuisant à la vie privée de hauts fonctionnaires. Et c’est une loi justifiée.), censure d’ailleurs terriblement efficace (en abrégé c’est la classe... euh, pardon), toute la France semble désormais au courant de cette histoire de non-votante, alors que qui l’aurait su sans cette simili censure ? A force également de crier au loup pour une vidéo "censurée" de N. Sarkozy saoul (tellement censurée qu’elle est passée dans toutes les émissions de divertissement françaises, sans parler d’Internet...), lorsqu’une véritable censure, une un peu discrète, une un peu voulue, arrive, il n’y a plus personne.
La question que je me suis posé, c’est "que peut-on faire ?". Pas grand-chose en vérité, je ne vois pas ce qui pourrait pousser le gouvernement ou la télévision publique à reprogrammer cette émission. On peut raisonnablement espérer son retour sur Internet sous une autre forme, sous un autre nom... Mais avec une autre audience. Ce que je pense au final, c’est que ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de le savoir. Et de le faire savoir.
NDLR : Pour un autre point de vue, voir également cet autre article.