Bayrou sur TF1 : un oral mitigé
par Phileas
mardi 27 février 2007
Bayrou ne m’a pas convaincu ce soir sur la forme comme sur le fond.
Sur la forme : François Berléand, fervent supporter, dit en parlant de lui qu’il a le charisme d’une moule ! Il exagère. Pourtant ce soir, force est de constater qu’il était un peu raide, professoral, parabolique à souhait et assez long à formuler des réponses : la concision n’est pas son fort. Et malgré ses convictions sur l’avenir de la France qui devrait, selon lui, se faire en marge de la politique politicienne et de la dichotomie droite-gauche, sa façon de parler nous rappelait ses anciennes fréquentations aux cabinets ministériels de l’Etat RPR (comme l’appelaient les dirigeants socialistes de l’époque). Sa visite à TF1 face à cent Français s’est faite dans une posture très élyséenne : Les petites formules du genre « Comme nous sommes entre nous, ne le dites à personne.. » à propos de Robien,... « Vous êtes de Caluire, cher Monsieur, il y a un excellent vin à Caluire ». Ou bien encore « Je vais vous raconter une petite anecdote qui m’est arrivée lorsque j’ai rencontré Machin » pour étayer un point de vue :du pur jus « 5e République ». Une forme qui m’a fortement agacé et m’a empêché d’adhérer naturellement à son discours. Cette invite amicale à aller vers l’autre ressemble beaucoup aux serrages de mains du Salon de l’agriculture mais en aucun cas au rapport direct qu’attendent les Français de leurs futurs dirigeants dans cette forme revendiquée de rupture, à la mode en ce moment. Une raison possible à cela : l’homme misant sur ses capacités intellectuelles qu’il croit supérieures à celles des autres candidats, a privilégié le fond sur la forme.
Sur le fond : à trop vouloir tirer la couverture sur sa gauche, François Bayrou pourrait bien le payer dans les prochains sondages. Ses arguments de campagne ont de plus en plus de mal à se démarquer de la proposition ségoleniste. Au détour d’un commentaire, d’une prise de position, d’une explication de texte, soudain apparaissait l’ombre séduisante de Ségolène Royal passée juste avant lui sur le plateau de la chaîne privée et l’étrange nostalgie de ne pas l’entendre s’exprimer à sa place. C’est un sentiment assez dangereux, car il pourrait bien devenir la passerelle d’une droite modérée, effrayée par le discours sarkozyste, qu’il décomplexerait de voter à gauche. Ainsi les quatre à six points récupérésdans les sondages sur la candidate pourraient à nouveau revenir au bercail socialiste.
Sa déformation de prof lui joue des tours. Chaque idée est construite sur un schéma rédactionnel très scolaire (Introduction, thèse, antithèse, synthèse) qui lui fait perdre un temps précieux. Durant la première heure d’émission, Ségolène Royal avait répondu a beaucoup plus de questions que lui. On sentait de l’ennui sur le plateau jusqu’au moment où les « petits candidats » ont réveillé la salle.
Enfin TF1 est prise à son propre piège. L’émission est une caisse de résonance de toutes les frustrations sociales des Français qui ringardise le discours libéral de Sarkozy et place le discours sécuritaire bien loin des préoccupations sur l’éducation par exemple. Les petits candidats, tous de gauche ce soir-là ont enfoncé le clou. On applaudit à tout rompre les réponses musclées de la candidate de Lutte ouvrière. On découvre une Voynet très réactive, maîtrisant bien ses dossiers et offrant des réponses satisfaisantes à toutes les questions posées. Seul Bové reste sur la touche. Il manque d’assurance, est lourdaud et traîne une démarche de syndicaliste qui le rend peu crédible dans une stature de présidentiable. Ce soir-là, lui aussi est défavorisé par son sexe.
Car je persiste et signe : le désir de voir une femme accéder au plus haut sommet du pouvoir dans ce pays, n’ayant pas abouti, il faudra que ce fantasme s’assouvisse coûte que coûte (comme est le propre de tout fantasme). Ce qui amènera probablement Ségolène Royal à remporter les élections.
Ce ne sont pas les gens politiquement engagés qui font les élections, ce sont les indécis. Ceux qui, apolitiques mais respectueux de remplir leur devoir d’électeur le jour d’un vote, font et défont les majorités. Ceux-là fonctionnent sur des stimuli qui varient tout le temps, très souvent au gré de l’amplificateur médiatique.
Dorénavant, ils n’auront de cessede vouloir porter au pouvoir celle qui, plus par son sexe que par ses idées, aura le génie d’incarner quelque chose de l’ordre d’une appétence profonde et violente comparable à ce qui nous anima le soir du 10 mai 1981 lorsque apparut le crâne de F. Mitterrand sur l’écran de nos téléviseurs (pour ceux d’entre nous, déjà vivants à cette époque).