Blogueurs québécois sous surveillance

par Michel Monette
jeudi 8 mars 2007

Le Net prend une importance grandissante lors des campagnes électorales. Le Québec qui ira aux urnes le 26 mars prochain n’échappe pas à cette réalité. Plusieurs sites Web de médias consacrent des sections spéciales à la couverture des élections. Plusieurs blogueurs discutent des enjeux électoraux, non sans se demander s’ils ne seront pas rappelés à l’ordre. La loi électorale du Québec, votée il y a trente ans, est à l’origine de cette crainte.

La loi électorale du Québec prévoit un contrôle strict des dépenses électorales, c’est-à-dire du "coût de tout bien ou service utilisé pendant une période électorale pour favoriser ou défavoriser directement ou indirectement l’élection d’un candidat ou celle des candidats d’un parti". Une dépense électorale doit être autorisée par l’agent officiel du candidat ou du parti qui la fait.

Toutefois, un électeur ou un groupe d’électeurs peuvent effectuer des dépenses de publicité pour faire connaître une opinion sur un sujet d’intérêt public ou pour prôner l’abstention ou l’annulation du vote. La loi précise que ces "intervenants particuliers" ne doivent ni favoriser, ni défavoriser un candidat ou un parti dans leurs dépenses de publicité.

Qu’advient-il si un électeur diffuse son opinion sur le Web ? Avec la facilité de diffusion qu’offrent les blogs, le poscasting, le vodcasting et les sites où sont accessibles des vidéos maison, la question est rapidement venue hanter le directeur général des élections (DGE) du Québec.

Celui-ci a fait savoir par voie de communiqué, le 22 février dernier , qu’il a l’obligation d’examiner le coût de tout ce qui peut être assimilé à une dépense publicitaire, afin d’assurer le respect de la loi, lorsqu’une plainte est déposée.

Le DGE aurait préféré ne pas avoir à intervenir et il a d’ailleurs déclaré qu’il ne voulait pas se livrer à une chasse aux sorcières. Bien mal pour lui cependant, des plaintes ont été déposées, ce qui l’a amené à exiger le retrait de vidéos diffusées sur YouTube.

Les vidéos incriminantes étaient l’oeuvre de deux citoyens critiquant la performance du gouvernement sortant, le duo « Les Alarmistes » qui se sont pliés à la demande du DGE, non sans faire connaître leur désaccord.

La loi électorale du Québec est formelle : nul ne peut émettre une opinion qui pourrait influencer le vote dans un sens ou dans l’autre s’il y a un coût encouru. La même loi exclut cependant « la publication, dans un journal ou autre périodique, d’articles, d’éditoriaux, de nouvelles, d’entrevues, de chroniques ou de lettres de lecteurs, à la condition que cette publication soit faite sans paiement... et qu’il ne s’agisse pas d’un journal ou autre périodique institué aux fins ou en vue de l’élection... », ainsi que « la diffusion par un poste de radio ou de télévision d’une émission d’affaires publiques, de nouvelles ou de commentaires, à la condition que cette émission soit faite sans paiement... »

Qu’en est-il des blogueurs, des podcasteurs, des vodcasteurs ? Qu’en est-il du journalisme citoyen sur le Web ? Qu’en serait-il de courtes présentations interactives distribuées par la technique virale consistant à joindre quelques amis qui à leur tour en joignent quelques autres, jusqu’à finir par faire des milliers d’envois de proche en proche ?

Tous peuvent désormais émettre leur opinion sur un support qui rejoint facilement une grande quantité d’électeurs. Les coûts de production sont faibles, ceux liés à la diffusion sont pour ainsi dire nuls.

Lorsque le législateur a voulu contrôler les dépenses électorales, à une époque où le Net était à peine né, c’était pour éviter les abus. Encore aujourd’hui, un parti politique ou un groupe d’intérêts possédant des fonds considérables et aucune limite de dépense disposerait d’un net avantage.

Mais il y a une différence énorme entre de puissants groupes d’intérêts et de jeunes créateurs mettant en ligne leurs vidéos satiriques.

Le DGE du Québec peut difficilement s’abriter derrière la loi et prétendre qu’il n’a fait que son devoir en forçant le retrait de quelques vidéos amateures du site YouTube. L’article 490 de la loi l’autorise en effet à adapter toute disposition de la loi qui ne concorde pas avec les exigences de la situation, comme le rappelle sur son site Christian Charron.

Parce qu’il n’a pas voulu utiliser ce pouvoir discrétionnaire, le DGE aura réussi à brimer le droit de parole. Quel beau croque-en-jambe à la démocratie !


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