Canal + : exit Karl Zéro, bonjour Laurence Ferrari

par Olivier Bonnet
vendredi 5 mai 2006

A partir de septembre, la politique sur Canal + sera traitée sans gaudriole à la mode Karl Zéro, et l’on nous promet une émission corrosive, avec la pugnace Laurence Ferrari aux manettes. Wait and see.

"Le vrai journal", c’est fini ! Libération l’avait déjà annoncé le 14 mars dernier, mais Canal + avait alors refusé de confirmer, et Karl Zéro avait pour sa part démenti, affirmant n’avoir été aucunement avisé de la fin programmée de son émission. Cette fois, son directeur général, Rodolphe Belmer, officialise la nouvelle dans l’édition de Libération de mercredi. Il prétend même avoir prévenu Karl Zéro dès juin dernier, à la fois oralement et par écrit : l’un des deux ment, Canal pourra toujours diffuser l’éventuel courrier en question pour prouver sa bonne foi.

Le son de cloche est en effet fort différent du côté de l’animateur, qui a raconté à son ami journaliste et éditeur Guy Birenbaum n’avoir été avisé que mardi soir - ce que ce dernier nous livre à son tour sur son blog -, juste à temps pour ne pas l’apprendre en lisant le quotidien le lendemain matin ! A la journaliste de Libé, Isabelle Roberts, qui lui fait observer que "Le vrai journal" réalisait de bonnes audiences, Belmer répond : Oui. Mais l’émission, qui atteint sa dixième année, a fait son temps. Je pense que le concept de mélange des genres entre information et gaudriole appartient au passé.

En ce moment, on constate une confusion dans l’image de la politique que perçoivent les téléspectateurs, notamment les plus jeunes. Et on ne souhaite pas apporter de l’eau au moulin de cette confusion. L’argument se tient. Et la chaîne n’entend donc pas remplacer Karl Zéro et son mélange des genres, mais substituer au "vrai journal" une émission politique sérieuse de bout en bout, sans gaudriole. Pour la présenter, Belmer annonce la venue de Laurence Ferrari. Durant la tranche horaire du dimanche midi, on retrouvera donc, dès septembre, sur Canal, l’ex-journaliste de TF1. Le transfert de l’été !

Pugnace et élégante en même temps

Voici comment le directeur général de Canal présente son futur programme : Une grande émission de débat, de décryptage et de coulisses de la campagne présidentielle. Il y aura des interviews en plateau, un invité politique par semaine pendant une quinzaine de minutes. Le reste du temps sera consacré à l’analyse du débat politique, avec des sujets, des chroniques, des reportages dans les coulisses. On veut une émission libre de ton, corrosive, qui montre toute la machinerie de la campagne. Comment on cherche à influencer l’opinion, à monter des événements... Et aussi décrypter le débat politique en analysant les prises de position, en faisant réagir différents experts. Concept alléchant, s’il va au bout de ses promesses. Pourquoi le choix de Laurence Ferrari ?

Belmer, dans sa réponse, lui met une sacrée pression : Elle incarne bien la ligne que nous voulons : moderne, sans compromis, professionnelle. J’aime bien sa façon d’être pugnace et élégante en même temps. Invité par Isabelle Roberts à préciser en quoi Ferrari serait pugnace, Belmer met en avant ses interviews politiques : Elle ne recule pas devant les questions qui gênent en général, elle a une liberté de ton qu’elle pourra exprimer chez nous. Allusion à son interview de Nicolas Sarkozy du 30 octobre 2005, qu’elle avait menée sans langue de bois, la concluant même d’un mémorable : "C’était Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur et candidat à la présidentielle 2007" ? Je pense à celle-là comme à d’autres, répond le DG de Canal. On se souvient aussi, il est vrai, d’une interview "pugnace" de Dominique Strauss-Kahn, quelques jours auparavant, auquel Laurence Ferrari avait fait observer qu’il était contre la privatisation d’EDF alors qu’il avait écrit le contraire dans son livre !

Deux accrocs déontologiques

Mais les mauvaises langues observeront que "flinguer" Sarkozy et DSK n’est pas incompatible avec le fait de rouler pour Villepin. Et Acrimed pointe le Sept à Huit du 5 juin 2005, l’émission d’information de Laurence Ferrari sur TF1 (co-présentée avec son mari Thomas Hugues), qui avait rediffusé un reportage à peine modifié, déjà passé à l’antenne en septembre 2004, véritable ode à la gloire du Premier ministre fraîchement nommé. Acrimed dénonce aussi le journal du 5 février 2005, dans lequel la rédaction de TF1, avec Ferrari en (ravissante) tête de gondole au lancement du sujet, s’était livrée à une véritable désinformation à propos de la loi Fillon.

Tout le monde peut commettre des erreurs, et pas question de condamner a priori l’honnêteté de la nouvelle tête d’affiche de la chaîne cryptée. Mais gare à ne pas trop pencher à droite : le parcours de Laurence Ferrari passe par Le Figaro magazine, puis par le service politique de L’Express, qui ne sont certes pas des brûlots gauchistes, de même que Europe 1, LCI et TF1 ne se signalent pas non plus particulièrement pour leurs sympathies à gauche... Ses prestations sur Canal seront par conséquent étudiées avec attention, histoire de vérifier que sa pugnacité s’exerce de façon égale, quels que soient sujet et interlocuteur.


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