Caroline Fourest vs Taddeï : une certaine idée de la démocratie

par N.Le Noble
vendredi 31 janvier 2014

Blaise Pascal nous avait prévenu : « l’homme n’est ni ange ni bête et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête  ». Cette maxime qui dénonce les travers de notre humanité fragile qui se veut moraliste s’appliquerait remarquablement à la journaliste ultra-médiatique et militante Caroline Fourest qui s’est derechef érigée en porte-parole de la morale publique et qui vient récemment, et comme à l’accoutumée, de faire une sortie mêlée de mauvaise foi et de fiel contre l’animateur Fréderic Taddéi et son émission hebdomadaire Ce soir (ou jamais !). Le vrai scandale dans cette affaire est le manque de réaction de tous ceux qui, démocrates et républicains, sont pour l’existence de débats de grande qualité à la télévision.

La participation de différents acteurs dans le débat public est en soi une lutte d’intérêts. A travers cette attaque sans nuance de Caroline Fourest, se décèle une intention de concourir à la culture actuelle et aux termes des débats intellectuels en déniant la valeur véritable de ses adversaires dont il serait bon, selon elle, de prévenir de leur nature diabolique avant de les faire confronter : en démocratie on ne tue pas, on diabolise à outrance. Sans s’embarrasser de la légitimité de leur présence, elle les réduit à de vulgaires extrémistes et complotistes, elle qui ne se gêne pas de soutenir aveuglément des mouvements comme les Femen (jusqu’à en écrire sa romance avec la leader)[1] ou les pro-ivg qui ne font guère dans le détail lorsqu’il s’agit de dépeindre l’adversaire en figure du nazi.

La question n’est-elle pas ici de savoir à quoi servent les intellectuels ? « Loin d’être des observateurs neutres, désintéressés et irresponsables, les intellectuels participent activement à la configuration des sociétés modernes » écrit le sociologue Luc Van Campenhoudt.[2] Garante autoproclamée des valeurs de la République, elle n’en est pas à sa première sortie pour réduire ses adversaires au silence, qu’ils s’appellent Ramadan[3], Boniface ou Tévanian. La qualité des grands intellectuels médiatiques est avant tout leur propension à nous apprendre, nous informer et à débattre avec les opposants les plus farouches quitte à se compromettre. En ce sens, Caroline Fourest n’est guère une intellectuelle si l’on entend par ce mot un esprit engagé à apporter sa propre analyse et défendant des valeurs utiles à l’intérêt public et non à son propre intérêt comme le ferait un militant.

Il faut donc admettre que Fourest est sérieuse quand elle parle en militante mais lorsqu’elle s’exprime en tant que journaliste, il est difficile de la suivre. Certes la conception du débat que porte Taddei semble plus démocratique que républicaine, plus anglo-saxonne que franco-française. En gros, plus libéral que ce qui nous est donné sur France télévision. L’indulgence suprême de Taddei peut nous insupporter, ses invités nous agacer, le générique et les effets de lumières de son émission nous irriter, toutefois le caractère démocratique et libéral de l’émission ne fait aucun doute : on est en démocratie ! Ce que la plupart des gens perdent en ne suivant pas le journal, en ne comprenant pas les politiques, ils le gagnent à suivre les idées qui se partagent toujours et s’opposent parfois dans cette émission.

Que signifie donc contextualiser pour un animateur qui ne possède qu’une heure et demie de temps et parfois une dizaine d’invités ? Est-ce prendre le temps d’informer que de rapporter que x a été condamner pour racisme, y pour recel de biens publics, que z a soutenu tel mouvement révolutionnaire à telle date, etc ? Non, c’est absurde. De la même manière personne ne demande à Fourest de nous présenter une longue fiche des procès et des mésaventures idéologiques de ses amis qu’ils s’appellent Mohamed Sifaoui, Ayan Hirsi Ali, Taslima Nasreen ou Inna Shevchenko. Fourest s’est manifestement préféré ; comme Patrick Cohen, et bien d’autres, elle a sa liste noire. De cette liste, à défaut de ne pas inviter les « parias publics », il faut propager un long rapport de police devant la plèbe. D’où la trentaine d’extrémistes qu’elle comptabilise. Par extrémistes, il faut entendre ses adversaires.

En quoi Nabe serait-il plus « extrémiste » qu’une femme qui soutien bec et ongles les Femen ou des journaux qui caricaturent politiquement l’islam ? En quoi Alain de Benoist est-il plus insultant qu’une femme qui dirait le plus sérieusement du monde dans une émission de grande écoute : «  on a besoin de la psychanalyse pour sauver certains névrosés qui tombent dans la religion »[4] ? En quoi Michel Collon est-il plus complotiste qu’une personne qui voit dans la révolte des banlieues de 2005 la main des islamistes pour prendre leur revanche sur l’occident[5] ou dans la contestation dont elle fait l’objet lors de ses meetings, la main des fans de Boniface, Dieudonné ou Ramadan[6] ? Ne pense-t-elle pas que sa légitimité peut aussi être remise en cause par ses outrances ?

Le fait qu’elle s’est, non sans contradiction, confortablement installé sur les fauteuils de cette émission jusqu’à ce qu’elle découvre ce qu’est réellement un vrai débat épuré des contraintes qui bien souvent lui sont favorables a probablement joué dans son amertume envers Taddei. Surement n’a-t-elle n’a pas apprécié d’être mise sérieusement en contradiction par Tariq Ramadan ou encore Tristan-Edern Vaquette dans l’émission en question, et ce, outrage royale, sans l’appui d’un animateur voué à sa cause. Car la chose est décrétée : quand Fourest parle, tout le monde consent. Bien mal leur en a pris, ceux qui ont souhaité la contredire. Experte en méthode de diabolisation, appuyé par les différents supports médiatiques, intellectuels et militants mêlés à ses causes idéologiques, impitoyable envers ceux qui lui feraient de l’ombre, elle a depuis longtemps compris les rouages du métier pour se faire entendre.

Nous sommes en France, un pays qui a une longue tradition du débat contradictoire. Sartre détestait les idées d’Aron mais ne lui répondait que chichement ; Camus laissait s’exprimer les écrivains d’extrême-droite à qu’il avait demandé la grâce et qui ne manquaient pas de l’attaquer par la suite ; Mauriac adorait lancer des piques contre Aragon et Sartre ; Foucault détestait la polémique ; Bernard Pivot voyait son émission être accusé de rabaisser et de rendre commerciale la culture avant de finalement devenir culte. Ainsi va le débat français de la contradiction. Sans liste noire, sans accusation de cerveaux malades.

Et après tout, comme Badiou, pourquoi détesterait-on avoir des ennemis ?



[1] Inna, éditions Grasset, 2014,

[2] http://www.lalibre.be/debats/opinions/le-mutuel-ressentiment-de-bourdieu-et-des-intellectuels-mediatiques-51b877b0e4b0de6db9a6dd01

[3] Elle avait déjà acquiescé à la décision de l’ULB de ne pas inviter Tariq Ramadan tout en reprochant à Laurent Ruquier de l’avoir invité à On est pas couché.

[4] http://www.dailymotion.com/video/xgbitw_fourest-onfray-nabe_news

[5] http://www.prochoix.org/cgi/blog/index.php/2005/02/02/579-islamism-a-challenge-for-europe

[6] http://www.huffingtonpost.fr/caroline-fourest/caroline-fourest-ulb_b_1267538.html

 


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