« Ces fromages qu’on assassine » : France 3 censure le documentaire contre Lactalis
par Olivier Bonnet
mercredi 9 janvier 2008
En diffusant le 26 décembre dernier Ces fromages qu’on assassine !, France 3 peut sembler avoir défié l’un de ses gros annonceurs, le géant Lactalis (numéro deux mondial de l’industrie laitière, 9 milliards d’euros de chiffre d’affaires prévu en 2007), malmené par ce documentaire. Est dénoncée en effet la stratégie des grands groupes agroalimentaires qui uniformisent en l’aseptisant le goût des fromages, par une fabrication industrielle bannissant de plus en plus le lait cru, sous de fallacieux prétextes sanitaires.
Ce que le programme présenté expose sans langue de bois : "Il s’agit en effet d’une véritable mise à mort. D’un côté, les firmes mondialisées qui, sous de fausses raisons sanitaires, veulent tuer les fromages au lait cru au profit des fromages standardisés, microfiltrés, pasteurisés, aromatisés... De l’autre, les petits producteurs de fromages authentiques. Ils représentent moins de 10% du marché. Un combat difficile : plus de cinquante fromages français ont disparu ces dix dernières années", écrit en effet le site de France 3 dans sa page de présentation du documentaire. Sans langue de bois, mais en consentant tout de même à biper le nom de Lactalis, ce qui est déjà inacceptable : au nom de quoi le téléspectateur ne peut-il pas savoir que c’est de ce groupe que l’on parle ? Cette concession n’a pourtant pas suffi à apaiser la fureur de l’industriel. Il faut convenir que, même sans que son nom ne soit audible, le propriétaire des marques Président, Bridel, Lepetit, Lanquetot, Société, Galbani (leader italien de la mozzarella), Chaussée aux Moines, Salakis, Rouy, Le Roitelet ou Lou Perac est aisément reconnaissable.
Ses dirigeants ne s’y sont donc pas trompés. "Vous allez entendre parler de moi !", s’est ainsi emporté le chargé de communication de Lactalis à la sortie de la projection de presse, comme le rapportait ce matin Benoît Collombat, grand reporter à France Inter, dans le journal de 8h.
Un pas en avant, un pas en arrière...
Précisons que la diffusion du documentaire ne pouvait plus être annulée, elle, la projection de presse ayant rassemblé plus de 200 personnes ! Coup de théâtre pourtant le 15 décembre : La Guerre du camembert est bien programmée sur France 3. L’information du Point était-elle donc erronée ? Pas du tout, répond Aurélie Windels, qui a mené l’enquête pour Arrêt sur Images : "L’info était exacte quand elle est parue, comme le confirme à @si (Arrêt sur Images, Ndr) une source proche du dossier : ’Bien sûr que l’émission a été déprogrammée ! Mais c’est France 3 et sa régie publicitaire, qui ont paniqué et ont pris cette décision seuls. Quand Patrice Duhamel (directeur général de France Télévisions, Ndr) a été mis au courant, il a immédiatement exigé qu’elle soit reprogrammée. Il craignait davantage la polémique, que la pression de Lactalis.’"
Allons bon. Reste que l’essentiel est que l’émission a bien été diffusée, qui dévoilait le fait que Lactalis intrigue discrètement pour supprimer l’exigence de la fabrication au lait cru pour l’obtention de l’Appellation d’origine contrôlée. Et un deuxième coup fut donc porté à Lactalis le 26 décembre par Ces fromages qu’on assassine ! Sauf que Périco Légasse, le journaliste gastronomique de Marianne qui fait office de guide tout au long du documentaire, s’insurgeait ce matin sur France Inter que des coupes avaient été opérées dans le programme, sans qu’il en ait été prévenu !
... c’est le tango de France 3 !
Un fromage au lait cru tient en effet 10 jours, au lieu d’un mois pour un pasteurisé. Contactée au sujet de ces coupes sauvages par Benoît Collombat pour France Inter, l’unité documentaire de France 3 "se réfugie derrière les recommandations de son service juridique, qui souhaitait à tout prix éviter un référé". Dans la mesure où les phrases supprimées n’étaient pas diffamatoires, la raison avancée est évidemment fausse. Conclusion perfide de Collombat : "Lactalis pèse 25 millions d’euros annuels en publicités pour le groupe France Télévisions." Ajoutons que, d’après Miscellanees.net - blog prolixe pub, marketing & conso, high tech, innovations, outre cette histoire de lait cru, "Lactalis n’aurait pas supporté que le doc montre comment deux personnes... et des robots se chargent du ’moulage à la louche’ de 250 000 camemberts par jour".
Que peut le consommateur face à de tels agissements... ? Et concernant enfin France 3, notons que si la chaîne aime les fromages, elle les préfère... à la coupe !