Chez Arlette, cantine de la bonne soupe UMPiste

par Olivier Bonnet
lundi 18 janvier 2010

Après le boycott de l’émission de France 2 sur l’identité nationale. Peillon a raison au moins sur un point : Chabot, démission !

 Pour se forger une opinion à propos du boycott par l’eurodéputé socialiste Vincent Peillon de l’émission A vous de juger, commençons par lire plus d’une phrase, tant ce résumé est forcément réducteur, des explications publiées sur son blog : "Parce que tout mon engagement politique et citoyen est fondé d’abord sur les valeurs de la République, de la raison et de l’antifascisme, j’ai décidé de ne pas participer au débat d’indignité nationale organisé ce soir sur France 2 et d’attirer solennellement l’attention de mes compatriotes sur les graves dérives que subit notre démocratie. Depuis plusieurs semaines, l’ensemble de l’opposition démocratique mais aussi de nombreuses personnalités de la droite républicaine, à commencer par trois anciens Premiers ministres, Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin, ont dénoncé les conditions dans lesquelles le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, Eric Besson, a lancé un débat sur l’identité nationale. Ce débat a provoqué et provoque encore des dérapages xénophobes, racistes, islamophobes qui font honte à la France, dressent les français les uns contre les autres et remettent le Front National et ses thèses de haine au coeur de notre vie politique. De nombreuses études d’opinion ont aussi montré que dans leur majorité les Françaises et les Français, qui ont beaucoup d’autres sujets de préoccupation, l’emploi, le logement, le pouvoir d’achat, l’éducation, ne s’intéressent pas à ce débat. Malgré cela, la direction de France 2 et Arlette Chabot n’ont pas trouvé mieux, en cette rentrée 2010, que de consacrer la seule émission politique de début de soirée à Eric Besson et de le faire dialoguer avec Marine Le Pen, prenant ainsi en otage le service public et les personnels qui y travaillent. (...) Que monsieur Besson, madame Le Pen et madame Chabot restent entre eux et que chacun mesure ainsi ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays et la façon dont certains veulent, à travers les médias, dévoyer le débat démocratique et nous entraîner sur une pente de haine et de division où nous refusons d’aller. (...) C’est pourquoi je demande la démission de madame Arlette Chabot et des dirigeants de France 2 qui ont autorisé cette opération." Gros morceau !

Vincent Peillon fait l’objet de très vives attaques pour son "coup d’éclat médiatique", comme l’ont baptisé les confrères, ce qu’il revendique du reste très clairement sur Rue89 : "j’avais pris ma décision depuis plusieurs jours. C’était préparé avec quelques-uns. Je voulais qu’il y ait un incident. Il fallait que ça fasse un peu scandale. Je ne voulais pas qu’ils se rabattent sur un autre socialiste". Jusque-là, nous approuvons toujours l’eurodéputé. Faire scandale pour mieux faire éclater le vrai scandale : la façon dont l’émission était prévue. Nous émettons de très vives réserves par contre sur l’argument du passage en dernière partie d’émission. Sa rédactrice en chef paraît bien convaincante en donnant sa parole d’honneur que Peillon lui-même a choisi ce créneau, pour mieux rebondir sur le premier débat entre la Le Pen et le ministre. Avancer la circonstance aggravante de l’horaire semble dans ce cas particulièrement malhonnête, ce qui ne grandit pas le socialiste. Pour le reste, que lui reproche-t-on au juste ?

Glissons rapidement, pour en dénoncer la tartufferie, sur la réaction de l’abrutioyeur de service, l’inénarrable© Frédéric Lefebvre, porte-parole UMPiste cité par Le Monde : "La fuite de M. Peillon le jour même où le PS a déposé sa proposition de loi sur le droit de vote des étrangers en dit long sur sa difficulté à assumer publiquement devant des millions de Francais la manipulation qu’il a montée pour séduire l’extrême gauche et exciter l’extrême droite". Les amateurs de psychanalyse décèleront un cas parfait de transfert : c’est bien la droite qui ressent "la difficulté à assumer publiquement devant des millions de Français la manipulation qu’[elle] a montée pour séduire l’extrême [droite] et exciter l’extrême [gauche]", avec son débat sur l’identité nationale. Celui-ci s’avère même un tel échec que, dans ces circonstances, le récent sondage montrant l’opinion désormais favorable au droit de vote des étrangers, à 55%, apparaît comme un véritable camouflet pour l’UMP. Qui se trouve dès lors dans l’embarras devant la proposition de loi socialiste, en pleine campagne électorale qu’elle eût souhaité cantonnée aux thèmes des dangers de l’immigration, de l’insécurité et de la fiscalité locale, en faisant passer les régions de gauche pour dépensières alors qu’elle les prive de ressources ! Tartuffe aussi Xavier Bertrand, le Secrétaire général de l’UMP serrant de façon grotesque ses petits poings pour écumer : "C’est un exemple type de lâcheté politique et de manipulation politico-médiatique. (...) Comment faire parler de soi quand on n’a pas le courage d’aller débattre ? Comment faire parler de soi quand on n’a pas d’idées à opposer à Eric Besson ?" (cité par L’Obs.com). Mais quelles idées aurait donc Eric Besson, pour résoudre un problème qui n’en est pas un, le seul qui lui importe étant de racoler les voix d’extrême droite ? Faut-il vraiment du courage pour s’opposer fermement à la pauvreté idéologique de la rafle et du drapeau ? Peillon, brillant orateur et puissant intellectuel, aurait-il vraiment peur de débattre ? Soutenir cela est faire preuve d’une mauvaise foi patente. Le problème n’est évidemment pas une soi-disant lâcheté mais le refus et la dénonciation de la conception par France 2, complice objective du gouvernement, de son émission. Daniel Schneidermann le pointe magistralement pour @rrêt sur images : "Quel qu’ait été l’ordre des prises de paroles et des préséances, cette émission était de toutes manières conçue comme valorisante pour Besson, portraituré seul en préambule (ma biographie, ma famille, mon antiracisme viscéral, mon enfance au Maroc, mes blessures intimes, mes plaies ouvertes, etc.), avant d’affronter successivement les deux serre-livres de gauche et d’extrême-droite (n’ayant pas droit, eux, à leur quart d’heure de moi-moi-moi, et réduits au statut de contradicteurs, donc de faire-valoir). De ce dispositif, Besson devait sortir dans la position du réaliste mais humain. Même détaillé aimablement aux participants au téléphone, ce dispositif en lui-même était un piège (sans parler du principe de consacrer une émission entière au fumigène de Besson)." France 2 prête ainsi la main au fin du fin de la stratégie électoraliste sarkozyste : tout en multipliant les appels du pied à l’extrême droite, se refaire à bon compte une virginité humaniste à l’aide du repoussoir FN. Voilà le vrai scandale que le boycott de Peillon met en pleine lumière : Chabot se met clairement au service de la propagande du pouvoir et, si manipulation il y a, elle réside dans le principe même de son émission !

Ce n’est pas la première fois que la directrice de la rédaction de la chaîne de service public se compromet ainsi. Extrait d’un billet de juin 2007 : "Rappelons à tous ceux qui paient la redevance que cette chaîne appartient au service public. Et qu’il s’agit de la même qui a vu sa directrice de l’information, Arlette Chabot, offrir trois heures de direct à Nicolas Sarkozy la veille du décompte du temps de parole par le CSA pour la campagne présidentielle ! Une Arlette Chabot qu’on a vu également à l’antenne faire la bise à Jean-François Copé, qui traite les militants de gauche de cloportes. Toujours la même Arlette Chabot qui n’a pipé mot lorsque, alors qu’elle interviewait Nicolas Sarkozy, le futur président a pour la première fois parlé de "ministère de l’immigration et de l’identité nationale". Toute la gauche - et, au-delà, tous les antiracistes - se sont-ils alors indignés ? Tous les journaux ont-ils le lendemain fait leurs gros titres sur cette annonce ? Le rapporteur spécial de l’ONU contre le racisme et la xénophobie, Doudou Diène, a-t-il récemment estimé que cette initiative constituait l’expression de la "banalisation du racisme", dénonçant "la lecture ethnique et raciale des questions politiques, économiques et sociales et le traitement idéologique et politique de l’immigration comme un enjeu sécuritaire et comme une menace à l’identité nationale" ? Exact, mais alors même que le siphonneur des voix du Front national lâchait cette bombe, il n’a pas fallu compter sur la Chabot pour poser la moindre question, pourtant évidente, ne serait-ce que sur un plan journalistique : l’immigration devait-elle être considérée comme menaçant forcément l’identité nationale, et comment la création d’un ministère pouvait-il censément lutter contre ledit supposé péril ? Personne n’a, à notre connaissance, souligné ô combien Chabot avait gravement failli ce jour-là à sa mission." Ajoutons que c’est toujours la même qui fut prise en flagrant délit de silencieuse complaisance face au mensonge de Sarkozy, durant la campagne présidentielle, concernant le problèmes des récidivistes (lire Insécurité : encore une manipulation de Sarkozy).

Il nous revient une anecdote de septembre dernier racontée par Le Point : "Un peu comme un tsunami, une colère de Nicolas Sarkozy contre Arlette Chabot est survenue, mercredi, dans les coulisses de l’interview présidentielle , d’après plusieurs témoins présents à New York. La directrice de l’information de France 2 a subi de la part du chef de l’État une "humiliation d’un quart d’heure". L’altercation a eu lieu après l’interview alors que toute la délégation française et Bernard Kouchner entouraient le Président. (...) Arlette Chabot (...) a ce trait d’humour : "Ça ferait un beau débat sur France 2." Le chef de l’État n’apprécie guère... Manifestement "à cran", Nicolas Sarkozy part aussitôt en flèche. Il se plaint de l’absence... de "vraies émissions politiques" sur le service public, regrettant feue L’Heure de vérité de François-Henri de Virieu." Voilà ainsi comment la fidélité dans l’à-plat-ventrisme d’Arlette Chabot est récompensée. A méditer : qui s’abaisse à se comporter en valet ne récolte que le mépris, y compris de son seigneur. En se couchant à ses pieds, elle l’invite à la piétiner, à multiplier les exigences irascibles, les humiliations. Tel est le lourd prix pour qui perd son honneur de journaliste. Peillon a raison au moins sur un point : pour l’ensemble de son oeuvre, Chabot, démission !

 

L’illustration représentant l’hexagone tricolore est empruntée à e médialibre.

L’identité nationale sur plumedepresse  :

Le débat piège-à-cons

Décès de Claude Lévi-Strauss : dans la gueule de ton identité nationale !

Débat sur l’identité nationale : Marianne2 contre plumedepresse

Le débat piège-à-cons a fait deux belles prises


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