Chine : charte éthique ou nouvelle censure ?

par citoyen
lundi 27 août 2007

Cette semaine, les hébergeurs de blogs en Chine, parmi lesquels Microsoft ou encore Yahoo !, ont été convoqués par les autorités du pays afin de signer une charte de bonne conduite. S’agit-il d’une démarche éthique ou d’une nouvelle démonstration de la censure chinoise ?

Aujourd’hui, j’ai commencé la lecture du livre de Jean Staune Notre existence a-t-elle un sens ?, éditions Presses de la Renaissance. Au bout du quatrième chapitre, j’ai fait une pause et me suis mis à rechercher une information sur Internet concernant le fameux paradoxe Einstein-Podlosky-Rosen dit paradoxe EPR (voir l’article sur Wikipédia). De fil en aiguille, j’ai navigué au gré des informations comme souvent et beaucoup d’internautes. Ainsi de la page de Wikipédia consacré à ce paradoxe, j’ai poussé vers la description de l’expérience d’Alain Aspect. J’ai voulu alors en savoir plus sur ce physicien français qui mit un terme à l’opposition d’Albert Einstein et de Niels Bohr. Rien que ça ! Je dois reconnaître que j’ignorais qui il fut avant d’en découvrir un peu plus sur le site du CNRS. De ce point de presse, j’ai certes retenu qu’il s’agissait d’un physicien de talent au point d’avoir reçu la médaille d’or du CNRS - décernée tous les ans, depuis sa création en 1954, et récompensant « une personnalité scientifique qui a contribué de manière exceptionnelle au dynamisme et au rayonnement de la recherche » - mais j’ai surtout voulu en savoir plus, poussé par ma curiosité, sur le développement de processeur quantique dont j’avais déjà ouï dire sous l’expression « ordinateur quantique » mais sans y prêter réellement attention. Parmi les nombreux liens proposés par Google, j’ai « naturellement » cliqué sur le premier lien proposé me dirigeant sur le site de Génération Nouvelles Technologies (GNT) et un article rédigé par Ange-Gabriel [ça ne s’invente pas !] le 18 janvier 2006. Après avoir lu l’article, je me suis dit que c’était intéressant mais que je commençais sérieusement à m’éloigner du sujet initial, et la question qui me taraudait depuis le début de ma recherche : pourquoi Jean Staune, alors qu’il consacre un chapitre de son livre au paradoxe EPR, ne parle aucunement d’Alain Aspect pourtant à l’origine de sa résolution ? Et puis avant de revenir en arrière dans le fil de mes recherches, j’ai cliqué sur la zone d’accueil de GNT. Curiosité ou flânerie... ? Certainement les deux. Mais l’essentiel est ailleurs...

J’ai alors compris pourquoi je surfais de page en page depuis un bon moment sans vouloir m’arrêter. J’étais en attente de l’information qui donnerait du sens à tout cela. Et là, je l’ai trouvée en première page : « Chine : une charte pour les hébergeurs de blogs  ». Plusieurs raisons, certainement, m’ont poussé à cliquer sur ce lien. Je vous citerai celles qui me semblent les plus pertinentes pour illustrer mon propos. Premièrement, en tant que bloggeur moi-même, mon œil a vite repéré ce mot « blog » comme faisant parti de mes centres d’intérêts. Et puis, ce mot associé à deux autres « charte » et « Chine » a éveillé mon attention au point de cliquer sur le lien en question. Et l’information est tombée :

« Cette semaine, les hébergeurs de blogs en Chine, parmi lesquels nous retrouvons Microsoft ou encore Yahoo !, ont été convoqués par les autorités afin de signer une charte de bonne conduite. »

Je suis alors parti vérifier l’information ailleurs, et j’ai eu confirmation. Cette charte que les autorités chinoises proposent aux bloggeurs de leur pays n’a rien à voir avec une charte éthique au sens où l’on pourrait le croire. Quoique dans la dialectique du Parti communiste chinois et des dirigeants, il doive bien s’agir d’éthique lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts de la Chine. Et c’est là toute la subtilité chinoise. Car comment les pays occidentaux pourraient reprocher à la Chine de « défendre ses intérêts » alors qu’ils font de même - toujours selon l’interprétation chinoise - en rejetant pour défaut de qualité des millions de jouets fabriqués sur son territoire ? Vous me direz que nous ne nous plaçons pas sur le même niveau dans les deux cas. Dans le premier, il s’agit d’une atteinte pure et simple à un droit fondamental - la liberté d’expression - tandis que dans l’autre il s’agit de la sécurité de millions d’enfants en raison de l’édiction de normes de sécurité. Et c’est bien là la force de la tactique des autorités chinoises. Elles ont bien compris que les pays occidentaux, avides de produits bon marché, placent néanmoins au-dessus de toute valeur la sécurité physique et sanitaire des consommateurs, surtout quand ceux-ci sont des enfants. Il faut dire que « ce branle-bas de combat pour assurer la sécurité des consommateurs est presque anecdotique, vu d’Afrique ». (En ce sens, voir article sur le site de AllAfrica.com.) Il est à craindre, en effet, que rien ne puisse faire renoncer les pays occidentaux à ce que représente la Chine en terme de développement économique.

Ainsi, lorsque l’on apprend que la chancelière allemande Angela Merkel a quitté l’Allemagne ce dimanche matin pour une tournée en Asie qui l’emmènera pour la deuxième fois en Chine et que selon des sources gouvernementales allemandes, « les thèmes difficiles ne seront pas mis entre parenthèses » incluant la liberté d’expression sur Internet et dans la presse, on se met à rêver d’un discours fort de la chancelière. Il semble bien que dans les longs entretiens prévus entre Mme Merkel et les dirigeants chinois - notamment le président Hu Jintao et le Premier Ministre Wen Jiabao - des cas particuliers de violations des droits de l’Homme pourraient être évoqués (source : 24 heures.ch). Mais ne soyons pas trop utopistes, les intérêts économiques primeront. Il suffit de lire le commentaire que le journal La Tribune fait suite à cette annonce pour comprendre : « Les deux portails Internet américains [Yahoo et MSN, ndlr] et d’autres hébergeurs de blogs ont signé cette semaine un pacte d’autodiscipline pour "protéger les intérêts de l’Etat chinois", par lequel ils sont "encouragés" à identifier les blogueurs, permettant aux autorités d’identifier les cyberdissidents... Deuxième marché pour Internet derrière les Etats-Unis, la Chine présente de fortes opportunités de croissance. D’ici à 2010, les recherches sur Internet pourraient générer 587 millions de dollars de recettes, selon le cabinet d’étude Analysys International, basé à Pékin. Des perspectives qui justifient quelques sacrifices. Pour pouvoir lancer sa version chinoise en janvier 2006, Google avait dû se livrer à une autocensure et établir une liste noire des sites "interdits" par le gouvernement, Yahoo a pour sa part permis l’arrestation d’un dissident condamné à 10 ans de prison. » (Source : latribune.fr)

Il ne faut pourtant pas oublier que le 13 juillet 2001, le Comité olympique international (CIO) attribuait l’organisation des Jeux olympiques d’été de 2008 à Pékin. Et que pour obtenir l’organisation des JO, les autorités chinoises avaient promis au CIO et à la communauté internationale des améliorations concrètes dans le domaine des droits de l’Homme. Or, un an avant la cérémonie d’ouverture, l’organisation rappelle que les médias et Internet sont toujours vus par le gouvernement chinois comme l’un des secteurs stratégiques à ne pas abandonner aux "forces hostiles" dénoncées par le président Hu Jintao. Le département de la Publicité, celui de la Sécurité publique et la cyberpolice, bastions des conservateurs, sont chargés de faire scrupuleusement appliquer la censure.

C’est pourquoi, il me semble juste de rappeler ici les neuf demandes de Reporters sans frontières avant les Jeux olympiques de Pékin :

« 1. Libération de tous les journalistes et les internautes emprisonnés en Chine pour avoir exercé leur droit à l’information.

2. Abolition définitive des articles restrictifs du Guide des correspondants étrangers qui limitent la liberté de mouvement et de travail des médias.

3. Dissolution du département de la Publicité (ex-département de la Propagande) qui contrôle quotidiennement le contenu de la presse chinoise.

4. Fin du brouillage des radios internationales.

5. Fin du blocage de milliers de sites Internet d’information hébergés à l’étranger.

6. Suspension des "11 commandements du Net" qui instituent la censure et encouragent l’autocensure des informations diffusées sur le web.

7. Abolition des listes de journalistes et militants des droits de l’Homme interdits de séjour en Chine.

8. Fin de l’interdiction imposée aux médias chinois d’utiliser sans autorisation officielle les images et les informations des agences de presse internationales.

9. Légalisation des associations indépendantes de journalistes et des organisations de défense des droits de l’Homme. » (Source : Reporters sans frontières)

Et de rappeler que He Weihua dont le blog contiendrait ainsi, selon RSF [étant incapable de lire le chinois, je suis bien obligé de croire RSF], des enquêtes approfondies sur la corruption en Chine, a été interné en hôpital psychiatrique. (Voir le site de He Weihua)

En août 2008, je regarderai certainement les JO à la télévision comme la plupart d’entre vous. Peut-être aurez-vous la chance d’être sur place ? Alors combien se souviendront le sens de ces quelques sacrifices ? Entre temps, les sociétés américaines et européennes auront continué à négocier moult contrats dont les bénéfices iront à qui vous pensez ...

D’ici là, Bernard Kouchner sera allé en Chine, à l’automne 2007 vient-il d’annoncer après une rencontre avec le secrétaire général de Reporters sans frontières. On aura alors l’occasion de vérifier et comprendre le sens des expressions "avoir l’intention", "il est possible qu’il intervienne", "le ministre a assuré le secrétaire général de notre soutien continu à l’action de Reporters sans frontières." N’est-ce là que de belles "intentions" destinées à rassurer une opinion qui craint que l’on ne soit pas assez "ferme" ou le ministre français demandera-t-il des gages ? Rappelons que Ségolène Royal n’avait pas exclu pendant la campagne présidentielle l’hypothèse de la non participation de la France aux Jeux olympiques de 2008. Le nouveau président de la République, Nicolas Sarkozy, aura-t-il autant de cran ? Tout dépend s’il a le sens du sacrifice...


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