Chirac cet inconnu...

par D. Artus
mardi 13 février 2007

Présent au cœur du monde politique depuis quarante ans (il fut secrétaire d’Etat de Georges Pompidou), président de la République depuis douze, après deux échecs, Jacques Chirac reste pour beaucoup de Français une énigme, voire une caricature. Pierre Péan, déjà biographe de François Mitterrand - ce n’est pas un hasard - publie un livre « L’Inconnu de l’Elysée » (Fayard), parsemé de révélations.

Les hommes politiques sont toujours caricaturés, c’est le job qui veut ça. Mais rarement un élu le fut autant que Jacques Chirac. Sa grande taille, sa mâchoire carrée, ses premières lunettes, carrées elles aussi, son allure toujours pressée et quelques déclarations à l’emporte-pièce contribuèrent à lui forger une image d’homme très à droite, de « facho » même pour certains. Or il se réclame de la culture radical-socialiste, comme sa Corrèze d’adoption. Mais politiquement, comme tous les grands fauves, notamment François Mitterrand, il s’affiche surtout comme un pragmatique qui se méfie des idéologies. Plus à l’écoute qu’on ne l’a dit, mais aussi beaucoup moins sensible.

Soutien historique de Mandela
Première révélation du livre de Péan dont on a découvert les « bonnes feuilles » dans Marianne, Jacques Chirac intéressé depuis toujours par l’Afrique, joua un rôle de soutien à l’ANC de Nelson Mandela dès les années soixante. Alors que la France officielle joua longtemps un double jeu... « J’ai été militant de l’ANC de Mandela depuis la fin des années 60, le début des années 70, confie-t-il à Pierre Péan. J’ai été approché par Hassan II, le roi du Maroc, pour aider au financement de l’ANC  ». Une période cruciale mais aussi très dure dans les relations avec le gouvernement d’Afrique du Sud.
Ensuite, même si on en a beaucoup parlé depuis le début des travaux du musée des Arts premiers du quai Branly (sans doute le futur « musée Jacques Chirac »), le président affiche un vrai goût pour les arts primitifs et les civilisations anciennes. Et il laissa souvent croire à son inculture : « Je me disais : au moins on me fout la paix, j’ai mon domaine personnel et ce n’est pas la peine que les journalistes, pour des raisons politiques, viennent mettre leurs grands pieds dans mon jardin privé ». Dans les années 80, on le caricatura comme ne lisant pas un livre, au contraire de son adversaire fin lettré, Mitterrand.

Sa fille anorexique
Jacques Chirac sut protéger ce jardin secret pendant plus de trente ans, laissant dire, alors qu’il se rendait au Japon ou en Chine pour découvrir des trésors de civilisations anciennes. Il évoque aussi le sort de sa fille Laurence, victime d’anorexie mentale à quinze ans et porte cette responsabilité depuis. S’attaque enfin à la politique de décolonisation de l’Afrique : « Après leur avoir volé leur culture, on leur a volé leurs ressources, leurs matières premières en se servant de leur main-d’oeuvre locale, dénonce Jacques Chirac. On leur a tout piqué et on a répété qu’ils n’étaient bons à rien. Maintenant c’est la dernière étape : on leur pique leurs intelligences en leur distribuant des bourses, et on persiste à dire de ceux qui restent : "Ces nègres ne sont décidément bons à rien." » Il oublie juste de reconnaître une responsabilité certaine, le RPR s’étant beaucoup financé grâce à ses réseaux africains, ceux de Jacques Foccart repris par la suite par Charles Pasqua... Un oubli sans doute dans la biographie de Pierre Péan, pourtant lui-même grand spécialiste de l’Afrique.

Et Chirac confie enfin son admiration pour François Mitterrand qui l’aura autant marqué que son premier mentor, Georges Pompidou. A noter que ces trois présidents auront adopté la célèbre maxime (de Maurice Barrès je crois) : « La culture c’est ce qui reste quand on a tout oublié ». Entre le centre Beaubourg Georges Pompidou qui fête ses trente ans, la Grande Bibliothèque François Mitterrand et le musée des Arts premiers, dans quelques décennies on se souviendra d’eux en grande partie grâce à ces lieux de culture et de mémoire. D.A.


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