Comment les médias ont fait le jeu du FN

par Laurent Herblay
mercredi 28 mai 2014

Dimanche, le parti de la famille Le Pen a fait un très bon score, devançant largement le PS et l’UMP. Outre des circonstances politiques totalement exceptionnelles (crise longue et forte, majorité et opposition profondément discréditées), le succès du Front National s’explique aussi largement par la façon dont les médias ont rendu compte de la campagne.

Hold up sur l’opposition à l’UE
 
Ce qui est impressionnant depuis l’élection présidentielle, c’est la façon dont Marine Le Pen et ses troupes ont réalisé un véritable hold up sur l’opposition à l’Union Européenne construite par le PS et l’UMP. Parti à l’automne 2011 avec des sondages qui le donnaient à peine à 20% du score de Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon avait réussi à fortement remonter pour atteindre 11,1% des voix contre 17,9%, comblant plus de la moitié de l’écart de l’automne. Mais dimanche, le Front de Gauche, dont le score était proche de celui du FN en 2009, n’a réalisé qu’une petite fraction du score de son score. Et les autres alter-européens ont eu du mal à émerger dans une campagne électorale courte à laquelle beaucoup de médias n’ont pas donné toute la place qu’elle mérite, même si Debout la République s’en sort bien en multipliant par plus de deux son score de l’élection présidentielle grâce à un formidable travail de terrain.
 
Marine Le Pen a bénéficié d’un double phénomène médiatique. Le premier, c’était la dramatisation des sondages et de la position du FN par de nombreux journalistes : cela réduisait l’enjeu de l’élection au seul score du FN. Et comme beaucoup de français sont mécontents de l’UE, du PS et de l’UMP, cela revenait à les pousser à voter pour ce parti, qui devenait le principal symbole de l’opposition aux politiques menées ces dernières décennies. Deuxième phénomène : combien de fois des journalistes, en débattant de la sortie de l’euro avec des intellectuels ou des hommes politiques d’autres formations, rappellent qu’il s’agit de la position du FN, pour la discréditer ? Ceci est abusif puisque des dizaines d’économistes, dont 9 « prix Nobel d’économie » critiquent la monnaie unique européenne. Et ce n’est pas le FN qui a théorisé cette question, que Marine Le Pen maîtrise mal et qui a été développée par d’autres bien avant elle et sa famille politique. Si cela semble pouvoir, pour l’instant, contenir la proportion de la population hostile à la monnaie unique, en revanche, cela peut pousser ceux qui le sont à soutenir le FN.
 
Une impasse médiatique à dépasser

En outre, la brièveté de la campagne, voulue par le PS, et sans doute l’UMP, était sans aucun doute un avantage pour le FN, le parti d’opposition le mieux installé, et un inconvénient majeur pour les partis moins importants, qui ont manqué de temps, notamment médiatique, pour pouvoir émerger. Une campagne plus longue avec de nombreux débats aurait sans doute permis de bousculer l’ordre établi en 2012. La brièveté de la campagne était donc du pain béni pour le FN sachant que l’image du PS et de l’UMP s’est dégradée depuis la précédente élection présidentielle. En revanche, elle a sans doute pénalisé les relativement nouvelles voix que sont Debout la République ou Nouvelle Donne.

La focalisation du débat autour du FN n’est pas forcément mal intentionnée. D’abord, il faut bien reconnaître la réalité électorale, et avec les résultats de 2012 et 2014, ce parti, quelles que soient ses limites, mérite malheureusement un traitement médiatique important. Ensuite, je persiste à croire que la grande majorité des journalistes est sincère dans sa couverture de notre vie politique et ne cherche qu’à rendre compte de la manière la plus juste possible de ce qui se passe dans notre pays. Et, paradoxalement, leur hostilité naturelle à l’égard de ce parti sert doublement le FN. D’abord parce qu’ils rendent compte de sa progression avec une emphase proportionnelle à leur rejet. Ensuite, parce que le rejet viscéral que le FN suscite auprès de l’immense majorité des commentateurs peut également pousser certains électeurs à le soutenir par esprit de contradiction par rapport à des médias dont l’image n’est pas toujours très bonne.
 
Mais il y a sans doute également un calcul machiavélique d’une partie du PS et de l’UMP qui pourraient bien préférer affronter le FN en 2017, pensant alors que la victoire sera facile. Dès les régionales, les déclarations de Jean-Marc Ayrault semblaient indiquer que le PS préférait affronter le parti de la famille Le Pen. Lundi, Manuel Valls était sur la même ligne. Et du côté de l’UMP, il y a le pari d’une réédition de 2002, avec une élimination du PS au premier tour et une victoire facile face au FN au second. Bref, on peut se demander si les deux grands partis ne sont pas finalement heureux de la montée de Marine Le Pen, qui pourrait leur offrir une victoire facile en 2017 si elle éliminait leur premier rival. Après tout, les détails des sondages indiquent que le FN ne convainc pas vraiment les français. Sa réussite actuelle pourrait bien être du même tonneau que celle de François Hollande en 2012 : un choix faute de mieux.
 
Malgré tout, et devant le caractère exceptionnel des circonstances, je crois que ce qui fait le FN fait que son plafond de verre a davantage été relevé que cassé. Néanmoins, à force de jouer avec le feu, il faut quand même reconnaître que l’hypothèse qu’il parvienne au pouvoir semble malheureusement un peu moins fantaisiste qu’en 2012, à moins de donner la parole à des alternatives républicaines au PS et à l’UMP.

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