Convergence des médias
par A.R. (Paris)
jeudi 10 mai 2007
Convergence des médias, mutation des modes de communication, distribution numérique et autres vidéos à la demande. Tels ont été les sujets récurrents du dernier MIP TV 2007 qui a clôturé ses portes le 20 avril à Cannes. Si ce marché réservé aux professionnels - l’équivalent pour la télévision de son grand frère le Marché du film du Festival de Cannes - , aurait de quoi rebuter la majorité des consommateurs béotiens que nous sommes, il n’en reste pas moins un rendez-vous médiatique incontournable. Kate Larkin, directrice des relations publiques chez Joost (la nouvelle société des fondateurs de Skype), résume parfaitement l’importance de cette édition : « La télévision, telle que nous la connaissons aujourd’hui et depuis une cinquante d’années, est condamnée à disparaître dans cinq ans au maximum ».
Disparaître, certes, mais pour mieux renaître de ses cendres puisque, à terme, non seulement la télévision passera par les tuyaux de l’Internet mais elle ne sera également plus consommée passivement comme elle l’est aujourd’hui. Les acteurs de cette télévision de demain ne seront plus CNN, El Globo ou TF1, pour ne citer qu’eux, mais Joost, Orange ou Babelgum, créé par le milliardaire italien de la toile, Silvio Scaglia, qui sont en train de révolutionner notre manière de consommer les contenus audiovisuels. « Nous ne regarderons que les programmes qui nous intéressent, au moment où nous le décidons. Nous pourrons partager des avis sur les programmes à distance avec nos amis et interagir directement sur le contenu des émissions » souligne Ivan Communod, fondateur de Vpod.tv. Youtube ou Google vidéos, sur lesquels les Américains ont passé autant de temps que sur la télévision selon une récente étude (1), sont les premiers battements d’ailes du sphinx. Près de 150.000 testeurs expérimentent actuellement la télévision sur Internet à travers Joost, la nouvelle société de Janus Friis et Niklas Zennström, lesquels ont déjà fait trembler l’industrie du disque avec Kazaa et fait perdre des milliards de dollars aux compagnies de télécom en mettant sur le marché Skype, un logiciel qui permet de téléphoner gratuitement via le net. Ainsi, ce sont 400.000 utilisateurs qui attendent d’utiliser Joost d’ici le mois de juillet et près d’un million de personnes Babelgum d’ici la fin de l’année. Selon ces deux nouveaux acteurs du marché, il faut s’attendre à ce que 50 millions d’ « Internetéléspectateurs » voient le jour dans le monde d’ici moins de trois ans.
D’un point de vue technique, Joost et Babelgum révolutionnent les moyens de transmissions en utilisant le peer to peer (méthode permettant l’échange de fichiers). A la différence des systèmes de transmission traditionnels - ondes hertziennes, satellite ou câble - qui demandent des moyens proportionnels au nombre de spectateurs, le P2P accroît sa qualité avec son nombre d’utilisateurs, chaque machine faisant partie intégrante du réseau. En résumé, plus il y aura de spectateurs, moins les financiers de Joost ou de Babelgum auront à injecter des fonds dans les infrastructures.
« Il n’y aura plus de grille de programmes statiques », précise Andrea Bargnani, de Babelgum, « mais un catalogue dans lequel nous pourrons piocher toutes les émissions, les films de notre choix, pour les regarder aux moments qui nous conviennent le mieux, les interrompre. Il y aura également la possibilité de se faire recommander des émissions coïncidant avec nos goûts, de faire partager à nos amis des programmes et aux autres nos propres productions réalisées dans notre garage. » Les magazines papiers que nous connaissons laisseront place à des catalogues de programmes variés classés par genres, auteurs ou durée. Nous autres téléspectateurs allons passer de l’ère végétale à l’ère animale : finis les légumes mous devant leurs petits écrans ; place à des poules qui picoreront au gré de leur humeur des programmes adaptés à leurs envies.
Une telle révolution technologique ne se réalise pas avec des gants. Ainsi, c’est jusque dans nos téléphones portables que va venir se nicher cette télévision de demain. Lentement et en profondeur, cette convergence des médias est en train de s’opérer en silence. L’exemple le plus récent a été donné par le directeur d’Orange, Didier Quillot, qui vient de démissionner pour prendre la direction du groupe Lagardère (président du directoire de Lagardère Active), passant ainsi d’un métier de télécommunications à celui des médias, deux secteurs anciennement très distincts qui s’avèrent aujourd’hui ne faire plus qu’un.
No business, no show. Cette télévision de demain va donc devoir trouver des financements. La programmation linéaire des émissions va faire exploser les formats classiques des spots de publicité. Joseph Jaffe (2) explique dans son livre Il y a une vie après le spot de 30’ (*) que les publicitaires « vont devoir réinventer de nouvelles formes de promotion adaptés à la télévision numérique et repenser le format publicitaire non seulement dans sa forme mais surtout dans sa vitalité en créant des campagnes de valeur. »
Dans le but de conserver leurs parts de marché dans ce juteux business, les grands groupes publicitaires vont ainsi créer des filières numériques spécifiques, comme Free Thinking, lancé par Publicis, qui se veut un laboratoire d’études sur le nouveau « consommateur 2.0 » et un outil d’aide à la décision via Internet. Rory Sutherland, vice-directeur du groupe Ogilvy, préconise pour sa part aux marques de « fournir un contexte au contenu plutôt que de se contenter d’essayer de toucher le plus large public possible et de s’intégrer dans des programmes destinés à certaines audiences à des emplacements et des moments spécifiques. »
Sans contexte donc, "no future".
L’immense avantage de cette télévision à la demande pour les publicitaires est de savoir précisément ce que nous consommons, quand et à quelle fréquence. Grâce aux spécificités d’Internet, les messages publicitaires pourront non seulement être adaptés à nos goûts, mais également être personnalisés. A travers des publicités cliquables, nous pourrons ainsi directement acheter et consommer à travers ces nouveaux outils marketing.
Inquiétant. Terrorisant même, diront certains. Qu’en sera-t-il alors de la protection de notre vie privée ? Si, en plus de nos cartes d’identités, notre identité numérique est suivie à la trace, c’est un little Big Brother qui sera caché dans chacun de nos ordinateurs.
Ce n’est pourtant pas l’avis de tout le monde. Certains acteurs de ces nouveaux médias restent en effet très enthousiastes, mettant en avant le fait que le spectateur pourra créer ses propres programmes et les faire partager à tous. Si Dailymotion ou Youtube permettaient déjà de publier instantanément depuis un téléphone portable des vidéos sur Internet, Eyeka ou Vpod.tv vont encore plus loin en donnant la possibilité de créer une télévision sur mesure. A travers de véritables plates-formes favorisant création artistique et liberté d’expression, chacun pourra en quelques clics créer sa propre chaîne de télévision et devenir un potentiel Etienne Mougeotte du PIF (Paysage Internet français). Avis aux amateurs.
(1) : C’est ce que révèle un rapport publié par le collectif d’éditeurs en ligne américains Online Publishers Association (OPA) et le cabinet d’études Frank N. Magid Associates. L’étude a été conduite auprès d’un panel de 1.235 personnes, âgées de 18 à 54 ans et représentatives de la population américaine
(2) Joseph Jaffe, auteur de référence dans le secteur des nouvelles technologies, son blog : http://www.jaffejuice.com/ ou le site de son livre : http://www.lifeafter30.com/