Culture de masse ou culture de classes

par GabriellePeyres
samedi 7 février 2015

Culture de masse ou culture de classes : la culture de masse induit forcément l’idée d’un brassage culturel. Mais définissons déjà ce que l’on entend par culture. Dans notre perspective de travail, nous opposerons nécessairement la culture de la nature à la culture humaine et sociale. La nécessité d’opposer ces deux qualités de notre propre réalité trouve son origine dans la nature même de notre société, à savoir le besoin d’établir une distanciation entre nous, les hommes, et notre monde naturel au sens pur du terme. Nous parlerons de ce que nous connaissons le mieux, de ce que nous avons toujours connu et vécu : la culture de masse dans laquelle nous sommes nés. Aussi complexe qu’il convient de l’avouer, cette culture de masse qui nous a vus naître doit être comprise dans sa pluralité la plus complète. Qui dit culture de masse, dit brassage culturel au cours duquel toute sorte de communauté a dû trouver sa place et absorbe continuellement autant qu’elle rayonne. Mais au temps de notre post modernité, nous dégageons une constante anthropologique : celle de la domination économico-socio-politique d’une majorité sur une minorité. La société post-industrielle réitère une forme de la domination d’une élite sur le reste de la population. Notre analyse de ce rapport s’inscrit dans le cadre d’une recherche sur les théories de l’égalité et de l’équité sociale en tenant considérablement compte des influences politico-médiatiques sur cette masse anonyme. Notre champ d’analyse se limite donc aux sociétés étatiques fondées sur une structure économique capitaliste, les sociétés dites primitives à économie collective en sont donc exclues. Suivant la tendance de notre post modernité, la culture de masse se constitue d’un corps complexe de normes, de mythes, d’images qui pénètrent l’humain dans son intimité onirique. Nous verrons que ce corps, de par sa complexité pluraliste oriente les instincts et les penchants des membres de la société. On ne peut parler de post modernité, ni de culture de masse sans incorporer au sein de notre discours les médias qui ont une emprise phénoménale sur les penchants que nous venons d’évoquer. Ils sont les outils et les mediums de cette dialectique propre à la culture de masse : la consommation, qu’elle soit idéologique ou matérielle. L’information culturelle est diffusée à l’ensemble de la société et ingurgitée de façon immédiate à l’intérieur même des ménages constituant la société. Cette diffusion massive d’une réalité globale vers des foyers de différentes réalités sociales nous interroge. Quand on sait que la culture de masse est intrinsèquement cosmopolite par vocation, et se veut planétaire par extension on peut facilement s’interroger sur la compatibilité entre ses finalités et les différentes réalités sociales que l’on continue d’observer. Alors où se trouve le point culturel commun dans cette pluralité de réalités ? Comment la culture de masse fonctionne-t-elle aussi efficacement ? Comment les médias contribuent-ils à pérenniser le fossé entre les classes sociales ? Au cours de notre réflexion nous nous arrêterons dans un premier temps sur le pouvoir d’injection publicitaire de la société sur la masse. Il s’agira de rappeler combien les médias sont nécessaires à la culture de masse et comment ils véhiculent efficacement sa dialectique. Cette première partie nous permettra d’analyser dans la partie suivante la consommation de ces messages culturels par les différentes classes sociales. 

 

I)Injection publicitaire en masse

a)Evolution des influences sur la consommation & Réceptivité maximale comme dialectique du monde médiatique

b)Dispositifs médiatiques comme vecteurs de consommation globale

c)Amplification des messages médiatiques avec la mode de l’information continue

II)Information générale, mais population diverse et variée

a)Les classes populaires face à une incitation à la consommation

b)Capacité d’injection de messages convergente & Capacité de consommation de produits divergente 

 

  1. Injection publicitaire en masse

A. Evolution des influences sur la consommation et Réceptivité maximale comme dialectique du monde médiatique

La révolution industrielle a profondément modifié la nature du travail : finie l’époque où les ouvriers travaillaient à leur rythme, place aux usines à très grands rendements. Cette nouvelle ère a été témoin d’une productivité sans précédent et de cadence de travail jamais atteinte mais également d’un autre changement majeur à savoir la perception que les gens avaient d’eux-mêmes et de leur place dans le monde. Car en amplifiant la productivité, la révolution industrielle a multiplié les biens disponibles. En effet, la fin du XIXème siècle les Etats-Unis ont connu un âge d’or mais qui a profité principalement aux classes supérieures ce qui a accentué les inégalités. Le premier à s’être intéressé au concept de consommation a été l’économiste et sociologue Thorstein Veblen (1857-1929). Il est l’auteur en 1899 de la Theory of the Leisure Class : la théorie de la classe de loisir qui analyse l’utilisation de manière grandissante des biens matériels pour afficher son statut social et créer une supériorité de classe. Il était opposé aux valeurs que son pays véhiculait, à savoir la prolifération, le gâchis, la superficialité et l’égoïsme. A travers son épistémologie, T. Veblen a souligné le fait que la consommation jouait un rôle majeur dans la formation de l’identité. Au XXème siècle, ceux qui désiraient faire partie de la société de consommation voyaient leur rêve se réaliser. Dans le même temps les biens quasi inaccessibles par le passé étaient disponibles à des prix plus raisonnables. De fait, les membres de la classe ouvrière se sont mis à imiter le comportement économique de ceux des classes supérieures, ils pouvaient enfin être propriétaires d’une maison et l’aménager de la même façon que leurs voisins. Le concept de rivalité avec son voisinage est né à cette époque : tous les individus voulaient ressembler aux membres de leur communauté, ils investissaient dans la même Chevrolet, le même téléviseur ou encore dans un lave-linge. Un comportement des plus légitimes en soi… suite à l’émergence de ce nouveau modèle, chacun souhaitait profiter de la modernité qui s’offrait à lui. Contrairement à aujourd’hui, ce modèle se basait sur le contact de visu, si les individus allaient en magasins acheter une Chevrolet ce n’était pas sous l’influence des publicitaires mais parce qu’ils voyaient celle de leurs voisins garée dans l’allée ; tout reposait sur le concept de comparaison sociale.

Même si ce mimétisme socio-culturel trouve encore son efficience dans la consommation quotidienne, celle-ci n’est plus déterminée par une comparaison directe entre les individus et leurs voisins mais par un déterminisme médiatique. En effet, dans une société où la proximité de voisinage n’est plus, et dans la mesure où la télévision, l’ordinateur ou le smartphone sont entre autres coupables de cette ignorance mutuelle, la motivation d’achat liée au contact de visu entre voisins n’est plus d’actualité. Le déterminisme publicitaire trouve son foyer au sein même de l’intimité des ménages, et ce peu importe leur catégorie socio-professionnelle car la publicité, nous le savons bien, est la même pour tous. Notre peau électronique caractérise en métaphore le prolongement de nos membres à travers les objets numériques qui meublent, environnent et rythment notre quotidien. On a particularisé l’appareil de sorte à ce que le téléphone par exemple soit devenu un totem contemporain, il est approprié à une personne en tant que son contenu reflète chaque trait propre au quotidien du propriétaire. Même son apparence peut incarner en quelque sorte l’esprit du propriétaire, c’est en partie sur cette logique que s’appuie le marketing d’Apple. L’objet numérique est si important pour l’homme contemporain que lorsque ce dernier le perd il éprouve un sentiment de panique extrême. Une étude judicieuse sur les IPhones[1] a démontré que la perte de l’objet déclenchait la même zone du cerveau que celle qui s’active lorsque l’on perd un proche. Cette nouvelle sensorialité révèle une nouvelle réalité que nous sommes forcés de reconnaître : « nous sommes nos technique »[2], en d’autres termes, nous possédons les appareils technologiques autant que nous en sommes possédés. C’est comme si l’on attribuait une âme à notre objet. Le téléphone et l’ordinateur sont non seulement des outils de communications mais aussi des sources de savoir inépuisables en tant qu’ils sont reliés à un réseau infiniment grand. Nos sociétés modernes ont adopté la « Webitude » qui consiste à être à la fois ici et ailleurs grâce à ces objets. De fait, l’ubiquité permet à l’adolescent d’être dans sa chambre et de naviguer entre Google, Facebook, YouTube, en même temps qu’il répond aux Snapchats de ses amis sur son téléphone, et reçoit une centaine de notifications informationnelles de toute sorte selon les applications installées sur ces différents mediums.

 


[1] Documentaire « Apple, la tyrannie du cool » Arte

[2] Fabio La Rocca, la Ville dans tous ses états CNRS Editions

 

B. Dispositifs médiatiques comme vecteurs de consommation globale

Avec l’avènement de la télévision à la fin des années 60, l’ORTF (Office Radiodiffusion Télévision Française) diffusait le Journal Télévisé à 20h, l’heure dédiée au dîner et à laquelle les enfants étaient déjà couchés suite à la diffusion de « Bonne nuit les petits » un peu plus tôt. Il y avait distanciation entre le monde des adultes d’une part et le monde des enfants d’autre part. A cette époque il faut savoir que la diffusion télévisuelle n’était pas continue, elle débutait à l’heure où le temps de travail prenait fin et les programmes se terminaient en fin de soirée, il n’y avait pas encore de « programme de nuit ». La télévision était publique et n’avait alors pas besoin d’autant de publicité qu’aujourd’hui. Les ondes fut libéralisées en 1 981 avec François Mitterrand, les chaînes télévisées se privatisent et font place à la concurrence, et par voie de conséquence également place à la publicité de masse et à la diffusion continue. Cependant, de 1980 à 2000 se déroulait la vie de famille autour du dîner. Le repas était alors alimenté des sujets d’actualités que chacun s’empressait de débattre. C’était le lieu et le moment appropriés pour en discuter, les enfants écoutaient l’interprétation que leurs parents se faisaient de ces nouveautés relatées par les journalistes, et allaient répéter en quelque sorte ce qu’ils avaient entendu la veille au lendemain à l’école. Les interactions se faisaient pragmatiquement, sensiblement, entre les uns et les autres et la réalité prenait sens dans les vécus de chacun. Très vite, le millénaire a vu défilé une multitude d’objets numériques plus avancés les uns que les autres, le smartphone (téléphone intelligent ou ordiphone) a permis le développement d’applications permettant une diffusion constante des informations, la télévision a elle ses propres chaînes dédiées à l’information continue, qu’elle soit politique, économique, ou même people… Ces mutations médiatiques ont eu un effet non négligeable sur le type d’échanges interactionnels. Les séries ou les publicités en font la démonstration parfaite en mettant en scène les jeunes absorbés par leur ordinateur, téléphone ou tablette alors que leur parents les interpellent pour dîner, ou encore en mettant en scène des parents ne sachant pas utiliser l’ordinateur et ceci posant l’enfant sur un piédestal technologique, le tout sur un ton humoristique. Mais très vite, même les générations qui ne sont pas nées avec cette technologie entre leurs mains, ont dû pour leur formation professionnelle apprendre à apprivoiser ces objets numériques. De fait, l’adoption de cet étalage médiatique fait partie prenante du quotidien intergénérationnel. On peut retrouver des profils Facebook, Twitter, ou Myspace des quatre dernières générations d’une même famille. La grande sœur née en 1988 ayant été la première à en faire partie dès 2006, la petite sœur par mimétisme s’y inscrit également, le père et la mère à la suite, par curiosité de ce qui capture autant leurs enfants tentent l’expérience, puis le cousin de la dernière génération pour qui avoir une page Facebook est une norme sociale. Nous parlons des réseaux sociaux mais ce ne sont pas les seuls diffuseurs d’information, évidemment d’innombrables applications sont installées sur les différents mediums. Pour rendre compte de ce que nous avançons, quelques exemples d’applications sur des appareils mobiles :

Internet étant omniprésent, plus seulement à l’intérieur des habitations mais également tout au long de notre journée, les informations, quelqu’elles soient ont affranchi l’humain de son indépendance face aux discours ambiants.

C. Amplification des messages médiatiques avec la mode de l’information continue.

Cette webitude a mené à l’ubimédia c’est-à-dire à une diffusion constante et perpétuelle d’informations, d’émotions, de chocs sensoriels à travers tout un ensemble de médiums abordables à n’importe quelle échelle, n’importe quand et n’importe où à condition qu’il y est du réseau. Toute cette progression vers une connexion toujours plus développée de la 3G à la 4G démontre correctement cette ambition de voiler la sphère mondiale d’un réseau global. Ces nouvelles perceptions sont sans aucun doute facteurs de nouvelles attitudes, de nouveaux liens sociaux, de nouvelles normes sociales et de nouvelles sensorialités. La gradation que nous sommes forcés d’employer dans notre propos est révélatrice également de la vitesse par laquelle s’accroît cette nouvelle réalité numérique. Ce qui est intriguant dans le numérique c’est qu’il en devient presque discret. En effet, la submersion dans le numérique est devenue normale dans le sens où l’on ne remarque plus l’effervescence des objets numériques dans notre environnement.
La naissance des médias est liée à celle de la métropole, et ensuite la mégalopole qui est le lieu propice à la société de consommation. Toutes les images diffusées dans nos villes sont toujours présentées sous un flux continu (Time Square), il s’agit là d’un véritable défilé des images qui accompagne le parcours existentiel. Cette luminosité conditionne le corps, le cerveau imprime de façon illimitée ces images et absorbe un amas de stimulus qui constituent de nouvelles formes de perception. Il y a 70 ans lorsque le premier téléphone portable est apparu, le propriétaire de cet appareil était considéré comme étant un marginal de la société, un privilégié mais aujourd’hui c’est l’inverse. Celui qui n’a pas de téléphone portable, ou même qui a un vieux téléphone portable est considéré comme étant un marginal, un « has been » de la société moderne. Ce totem contemporain qui a eu une influence considérable sur la morphologie de l’homme (la manière dont il modifie la marche lorsqu’il est tenu en main) a également modifié les mœurs. On ne peut imaginer qu’un objet puisse représenter la culture universelle et pourtant Jean Baudrillard dans son ouvrage sur La société de consommation symbolise parfaitement cette affirmation par l’intermédiaire du gadget, petit symbole à l’apparence ludique et inoffensif mais qui de fait devient tout dans notre vie quotidienne. Si Jean Baudrillard n’a pas connu notre ère d’hyper connectivité, il met le doigt sur notre dépendance à ces objets qui constituent un prolongement de nos membres. Cette connexion de l’humain à ses gadgets trouve son explication dans l’influence de la publicité. Cette forme de communication exponentielle fait de la naissance d’un produit un véritable événement et possède la force inouïe de ne pas mentir au consommateur. On ne peut reprocher aux publicitaires de nous informer des nouveautés que notre culture de masse nous fait attendre impatiemment. Car la publicité utilise les faiblesses de notre nature humaine, ainsi, même notre corps devient notre talon d’Achille, en témoignent les multiples publicités des crèmes, soins capillaires, hommes et femmes confondus. Ou encore notre temps libre que l’on investit au profit de cette idéologie du faire que nous inspire la société de consommation à laquelle on participe en allant boire un verre, en allant voir le dernier bloc Buster au cinéma. 

  1. Information générale, mais population diverse et variée

A. Les classes populaires face à une incitation à la consommation

Entendre la société de consommation comme une entité à part entière reviendrait à nier la diversité de sa culture. On a souvent lié la société de consommation à une masse anonyme qui éprouverait des sentiments et besoins similaires et qui trouverait en la culture de masse ses réponses. Cependant, nous savons que la culture de masse est intrinsèquement cosmopolite par vocation, puis planétaire par extension, ce qui implique là une large diversité culturelle qui prend effet à travers des flux migratoires importants. En effet, en France par exemple, l’agglomération parisienne regroupe selon la démographe Michèle Tribalat[1] 12 292 895 habitants dont 23.1% sont nés hors sol français. Ce flux migratoire est un facteur de diversité culturel très important car il pose la question de l’hétérogénéité de l’imaginaire collectif. Cela dit, sans même parler d'individu issu de l'immigration, on ne peut faire d'étude sur la société sans parler des classes sociales qui la composent et qui disposent d’une culture qui leur sont propres. Sans nécessairement suivre les schémas souvent considérés comme stéréotypés de Pierre Bourdieu, mais tout de même en prenant en compte le prédéterminisme qu'une classe sociale opère sur l'individu. Selon nous, il serait malhonnête de nier ce fait social, véritable constante anthropologique, à savoir le fait que la société se divise en stratifications économiques. Selon Louis Chauvel[2] on serait en mesure de distinguer quatre classes sociales, à savoir :

Etant donné notre problématique, nous nous pencherons davantage sur les classes populaires et sur son caractère flou, car si l'on s'intéresse aux dimensions subjectives, aux représentations et aux définitions que les individus ont d'eux-mêmes, il devient alors très difficile de classer de manière univoque des populations qui se situent à la frontière de la catégorie sociologique. Pour le politologue Henri Rey les classes populaires sont formées par les ouvriers, les employés qui en constituent les groupes les plus nombreux et comprennent aussi "les petits indépendants de l'agriculture, du commerce et de l'artisanat, malgré leur difficulté à s'imaginer une identité sociale autre que celle de membres des couches moyennes"[3]. Selon Olivier Schwartz[4], le concept de classes populaires connaît un large succès auprès des intellectuels pour deux raisons majeures. La première tient au fait qu'il souligne la permanence, l'imperméabilité de clivages sociaux et culturels entre les catégories les plus modestes et les classes "moyennes" ou "dominantes"[5]. De fait, le concept de classe n'est pas neutre, il sous-entend des oppositions et permet de mettre en exergue le fait que les classes sociales ne se définissent en majeure partie de manière antagonique, c'est-à-dire les unes par rapport aux autres. La seconde raison tient à la souplesse d'utilisation de ce concept qui lui permettrait de s'appliquer "à une grande variété de situations et de groupes sociaux". Philippe Alonzo et Cédric Hugrée prennent l'exemple suivant : jusque dans les années 1980, les enquêtes sociologiques avaient pour habitudes de définir la position sociale d'un ménage ou d'une famille par la situation professionnelle de l'homme (du mari et ou du père), que l'on appelait "chef de famille" car il était la principale source de revenu. Or, la démocratisation de l'emploi féminin dès les années 1960 rend l'emploi du concept de "classe ouvrière" problématique, voire impropre quand il s'agit de définir et de décrire des univers de vie mixtes, c'est-à-dire des configurations familiales dans lesquelles le fait d'être ouvrier ne concerne que la moitié des actifs du ménage.

Quels sont les groupes qui appartiennent aujourd'hui aux classes populaires et quels en sont les principes de catégorisation ? Afin de répondre à ces interrogations revenons sur le travail d'Olivier Schwartz qui fait référence en la matière, comme nous l'avons dit plus haut, cette notion de classes populaires est communément utilisée par les historiens et les sociologues pour insister sur l'imperméabilité de la division sociale et pour "insister sur l'importance des inégalités, des écarts, de la distance qui séparent les catégories modestes des autres groupes sociaux, ceux qui sont à la fois plus riches, mieux instruits, mieux reconnus et intégrés socialement." Nous affectionnons particulièrement cette proposition car elle combine quatre échelles pour définir les populations se situant dans une position modeste, et encore une fois par antagonisme aux populations constituant les classes supérieures :

  1. l'échelle de la richesse économique
  2. celle des savoirs
  3. celle de l'évaluation symbolique
  4. celle de l'intégration sociale
 

[1] Michèle Tribalat, démographe et chercheuse à l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED)

[2] Louis Chauvel Sociologue, professeur à l'université du Luxembourg, spécialisé dans l'analyse des structures sociales.

[3] Henri Rey "des classes populaires (presque) invisibles" La France invisible, Paris, La découverte 2006 p 547-556

[4] Olivier Schwartz, Professeur à l'Université Paris Descartes et membre du CERLIS (Centre de Recherche sur les Liens Sociaux)

[5] Olivier Schwartz, La notion de "classes populaires", Habilitation à diriger des recherches en sociologie, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 1997

 

Dans "Définir et circonscrire les classes populaires" Philippe Alonzo met le doigt sur la dimension pragmatique de cette théorisation des classes populaires. En effet, "ces définitions peuvent être considérées comme satisfaisantes d'un point de vue théorique, en revanche leur mise en œuvre empirique soulève bien des difficultés". Pour comprendre, prenons l'exemple de l'échelle de la richesse économique. Si on applique les définitions précédentes, les membres des classes populaires sont pauvres ou en tout cas moins riches que les autres. Or, dans une étude réalisée en 1908 par Goerg Simmel montre que la privation des ressources matérielles n'est pas le facteur déterminant pour qu'un individu appartienne la catégorie sociale des pauvres. Autrement dit, ce n'est pas la possession de biens matériels qui fonde la catégorisation sociale, mais le fait de nécessiter d'une assistance institutionnelle pour avoir accès à un confort similaire aux classes moyennes. Goerg Simmel construit ainsi une vision relationnelle et non individuelle de la pauvreté, selon laquelle "les pauvres, en tant que catégorie sociale, ne sont pas ceux qui souffrent de manque et de privation spécifiques, mais ceux qui reçoivent assistance ou devraient la recevoir selon les normes sociales". Du point de vue de la richesse économique, la notion de classes populaires englobe un ensemble hétérogène qui va des plus démunis jusqu'aux populations qui disposent d'une "assise économique suffisante pour échapper à la précarité et accéder à un bien-être matériel relatif".

 

B. Capacité d’injection de messages convergente & Capacité de consommation de produits divergente

Le bien-être auquel l’individu aspire est relatif à la société à laquelle il appartient. Celui ou celle qui baigne dans la société de masse aspire à un bien-être matériel à travers lequel il accédera au bonheur, au rose qu’on lui propose. Comme nous l’avons développé au sein de notre deuxième partie intitulée « Injection publicitaire en masse », la finalité de la société matérialiste trouve son salut dans les mass-médias. Comme le nom l’indique, les « mass médias », ces dispositifs sont de véritables vecteurs de transmission idéologique et sensible de par l’omniprésence dont ils sont dotés. Les mediums, c’est-à-dire les objets qui servent à véhiculer le message médiatique, sont à la portée de tous. En effet, La "publicité pour tous, et à tous" ; de nos jours à peu près tout le monde possède un téléphone, une tablette, un ordinateur ou une télévision, de ce fait tout le monde peut accéder à la publicité visuelle et auditive ou encore sensorielle. Les enseignes cosmétiques qui se revendiquent comme les détentrices du savoir esthétique envahissent un peu plus chaque jour notre parcours existentiel d’une multitude d’odeurs, de sons qui constituent des ambiances propices à l’acte d’achat. L'emmagasinement médiatique doit non pas être entendu uniquement comme une consommation de messages clairs et précis (les gens ne sont pas totalement dupes) mais aussi comme une absorption de messages en tant que produits culturels, même s’il s’agit de produits idéels. Le brassage culturel, et le type d’organisation sociale que la société de masse induit, fait que chaque jour, il est possible qu'un cadre et un ouvrier ingurgitent les mêmes informations. Cependant, même s’il y a possibilité que ces derniers visionnent les mêmes émissions de télévision, écoutent les mêmes programmes de radio ou encore investissent leur argent et leur temps au sein des mêmes lieux urbains, il n’est pas sans savoir que les pratiques culturelles varient selon les classes. Cela dit, nous remarquons tout de même une tendance : celle de s’exposer aux médias et à leurs contenus. C’est comme cela qu’il faut entendre « capacité d’injection de messages convergente ».

On pourrait croire que l’objectif de la société de consommation est de rendre tout produit accessible à chacune des classes sociales. Prenons l’exemple du « Discount » ou bien encore de la création de « sous-marques » comme Wiko et Huawei qui produisent le même objet, à savoir un smartphone, mais avec des capacités moins performantes. Ces firmes assurent un usage compétant mais ne connaissent pourtant pas un large succès. De fait, les communautés les moins riches ne font pas encore toutes un usage quotidien de ces formes d'aides. La force de persuasion des médias se trouve dans leur pouvoir évocateur, jamais nous n’entendrons dans une publicité BMW « Achetez-la car cela vous fera passer pour un businessman » mais bien dans jeu de symboles et de fantasmes en accord avec l’idéologie capitaliste. Robert Castel montre qu’il a fallu attendre l’avènement du capitalisme pour que les classes populaires quittent les marges extérieures de la société et constituent le premier échelon de la hiérarchie salariale, c’est-à-dire sociale… Un premier échelon qui reste peu enviable dans la mesure où il assigne les ouvriers à une place subordonnée dans la division du travail social et dans la société globale. A ce sujet, Simone Weil remarque que dans l’univers professionnel, les ouvriers subissent un véritable rapport social de subordination et de dépossession qui se prolonge au dehors du milieu de travail à cause d’une position sociale dévalorisée. En réponse à cela, ces classes populaires trouvent en les biens matériels une réhabilitation sociale et les médias l’on bien comprit. On remarque que dans un ménage appartenant aux classes populaires, c’est-à-dire à l’intérieur de leur habitat, là où se livre l’intimité, on a souvent affaire à quelques mobiliers plutôt modestes, des posters faisant office de tableau comme celui de New-York et ses taxis ou encore de Paris et sa Tour Eiffel (fidèles au complexe onirique véhiculé par la culture de masse) et au milieu du salon l’on trouve l’écran Plasma et pourquoi pas, devant l’entrée la BMW dont on parlait tout à l’heure. Il s’agit là d’objets à dimension sociale importante dans la mesure où la télévision est là où les invités passent, et la BMW passe là où les autres sont. Cependant, il semble évident que ces achats ont un coût considérable sur le train de vie de ces classes populaires. La force de persuasion des publicitaires est telle que certains individus préfèrent se payer une vie au-dessus de leurs moyens. Ceux-là tombent alors dans l’engrenage du crédit, de l'emprunt. T. Veblen énonce brillamment cette idée « Le désir de disposer d’un plus grand confort et de se mettre à l’abri du besoin, voilà un mobile qui se trouve à tous les stades du processus d’accumulation dans une société moderne ; toutefois, ce qu’on peut appeler à cet égard le niveau de suffisance est à son tour profondément affecté par les habitudes de rivalité pécuniaire. » La capacité de consommation diverge suivant les classes sociales, cela soulève le problème du mimétisme social réapproprié par la classe possédante à des fins lucratives, même si l’on reconnaît toute la dimension symbolique et l’ambition sociale des classes populaires. 

Concluons-en…

Que l’on soit homme ou femme, jeune ou vieux, riche ou pauvre, on ne peut échapper à la société de consommation car celle-ci utilise des trésors d’intelligence pour absorber les failles les plus profondes de notre être. Comment peut-on en être arrivé à un tel aveu d’impuissance face à ces codes et signes extérieurs ? La réponse se trouve en partie dans l’influence des mass médias notamment la publicité. Cette forme de communication exponentielle que nous avons tenté de présenter fait de la naissance d’un objet un véritable événement et possède la force de mystifier cette nouveauté « Toute chose produite est sacralisée par le fait même de l’être ». Cela dit, nous avons fait l’effort de prendre le recul nécessaire afin de nous poser réellement la question : sommes-nous si naïfs que cela ? Les produits détiennent-ils le monopole sur notre libre arbitre ? Nous avons conclu qu’il s’agissait davantage d’une manipulation par le biais d’images et de signes pour nous les rendre plus séduisants et transformer la part du produit en part de rêve. Consommer c’est selon nous, être en représentation : se faire valoir en tant qu’effectuer à travers nos appartenance matérielles une mise en abîme de nos valeurs. Finalement, ce ne sont plus les produits qui sont représentés, mais les valeurs qu’ils doivent communiquer. Bien que nous ne fassions qu’un travail sociologique, nous tenons à affirmer qu’il ne tient qu’à la population d’orienter ses achats vers des biens plus propres, plus éthiques et plus respectueux de l’environnement car nous sommes forcés de remarquer que la pression exercée sur les entreprises les pousse un peu plus chaque jour en avant dans la recherche et le développement de produits durables. Je vous invite à lire l'article "L'obsolescence programmée : symbole d'une société du gaspillage" http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-obsolescence-programmee-symbole-163197

 


Lire l'article complet, et les commentaires