DADVSI Code : l’arbre qui cache la forêt des traités OMPI en gestation

par Philippe Astor
vendredi 17 mars 2006

Puisque d’aucuns invoquent presque systématiquement les engagements de la France au niveau international pour faire passer la pilule du DADVSI Code, et qu’il vaut mieux nous réveiller avant d’être contraints d’abdiquer d’autres libertés - en vertu des futurs engagements internationaux que notre pays s’apprête à prendre, sans que nous ayons été véritablement sensibilisés, éclairés ou consultés sur les enjeux qu’ils recouvrent -, autant se préoccuper dès maintenant du prochain traité de l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle) déjà en gestation.

Il s’agit du traité des « casters » (broadcasteurs, webcasteurs et cablocasteurs), qui vise à étendre les droits des diffuseurs aux dépens des droits d’usage, ces derniers faisant décidément figure de dindons de la farce chaque fois qu’une réforme des droits de propriété intellectuelle à l’ère du numérique est envisagée au niveau mondial.

A plus d’un titre, ce traité en cours de négociation à l’OMPI soulève les mêmes questions que le projet de loi DADVSI, qui sera voté le 21 mars prochain. D’abord, parce qu’il concerne lui aussi les droits d’auteur et les droits voisins, cette fois-ci en matière de radio et télédiffusion numérique, mais également en matière de webcasting et de simulcasting, si l’OMPI suit les propositions des Etats-Unis et de l’Union européenne qui vont dans le sens d’un tel élargissement. Ensuite, parce qu’il est également question, dans ces domaines, d’introduire une protection juridique des mesures techniques de protection : en un mot comme en cent, de généraliser les DRM sur les postes de radio et les magnétoscopes numériques, ainsi que dans tous les logiciels multimédias.

Le rouleau compresseur des traités internationaux

Comme le fait remarquer Philippe Aigrain dans un article sur le sujet publié sur le site Débatpublic.net, « l’expérience passée, notamment celle du traité OMPI de 1996 sur les phonogrammes, montre que si de tels textes ne sont pas arrêtés ou amendés pour le bien public au stade de la négociation à l’OMPI, ils se transforment en rouleaux compresseurs dévastateurs, à travers une séquence de transpositions européennes puis nationales, chacune pire que la précédente ».

Dans une proposition faite en novembre dernier au SCCR (Standing Committee on Copyright and Related Rights) de l’OMPI, le Brésil rappelle que, dans sa déclaration de principe, le Sommet mondial de la société de l’information a réaffirmé l’accès au savoir et à l’information comme objectifs prioritaires de la communauté internationale, et constate que certaines dispositions de ce nouveau traité vont à l’encontre de ces objectifs. Il réclame notamment que soit supprimé son article 16, qui statue sur les mesures techniques de protection. Cet article précise notamment que les pays signataires « devront fournir les protections légales adéquates et des mesures législatives efficaces contre le contournement des mesures techniques de protection utilisées par les diffuseurs ». Un refrain bien connu, désormais, pour ne pas dire une litote, dont il faut s’attendre qu’on nous la resserve à toutes les sauces.

C’est d’ailleurs ce que font les Etats-Unis et l’Union européenne, les premiers en cherchant à élargir les bénéficiaires de ce traité aux webcasters. Derrière cette proposition, on retrouve notamment le puissant lobby de la DiMA (Digital Media Association), qui regroupe des géants de la nouvelle économie comme AOL, Microsoft, RealNetworks ou Yahoo. L’objectif est bien sûr d’assurer la même protection aux webcasts qu’aux autres signaux numériques émis sur le câble ou sur les ondes hertziennes, c’est-à-dire encore une fois d’ouvrir la voie à une généralisation des DRM (mesures techniques de protection) sur ce nouveau média comme sur les autres. L’Europe, quant à elle, se soucie d’associer à ce blanc-seing les simulcasteurs (radios hertziennes qui diffusent simultanément leurs émissions sur Internet).

Un domaine public qui se réduit comme une peau de chagrin

Un autre aspect inquiétant de ce traité, qui n’est d’ailleurs pas du goût des industries du contenu, c’est qu’il accorde de nouveaux droits aux diffuseurs sur leur signal, d’une durée de cinquante ans et quel que soit son contenu, même s’il s’agit d’œuvres ou de matériaux sous copyright diffusés sans autorisation. Le plus grave, c’est qu’en vertu du Traité de Rome
- dont la France est signataire, au contraire des Etats-Unis -, ces nouveaux droits de propriété intellectuelle accordés aux diffuseurs, sans contrepartie en matière de financement de la création, s’élargiront de fait aux émissions constituées d’œuvres ou de matériaux puisés dans le domaine public, pour une période de vingt ans que certains cherchent, à l’occasion de la négociation du nouveau traité, à étendre à cinquante ans.

En clair, on assiste à une tentative, de la part d’un groupe de puissants acteurs économiques privés, de s’arroger des droits de propriété intellectuelle sur un patrimoine universel appartenant à tous. « C’est un scandale », considère James Boyle, professeur de droit à la Duke Law Scholl, membre du bureau des Creative Commons et co-fondateur du Centre d’études sur le domaine public, dans une tribune au vitriol publiée par le Financial Times. Et de conclure : « But at WIPO, this is business as usual [Mais à l’OMPI, ce sont les affaires courantes]. »

Interpellés sur les enjeux de ce traité par une multitude d’ONG, de chercheurs universitaires et d’acteurs économiques, les négociateurs américains et européens ont refusé toute forme de consultation, probablement dans la crainte que plus les gens seront informés de son contenu, moins ils lui seront favorables.


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