De Carolis remporte l’ultra banco
par LM
lundi 29 mai 2006
Comme le dirait la voix du peuple : ça devait arriver. L’animateur (habillé de) noir Thierry Ardisson s’est laissé piéger par l’amateur de belles pierres (jaunes ?) Patrick de Carolis. Ou comment « casser » Laurent Baffie lui-même.
C’est plus excitant que le Mercato des footeux : cette année, la télévision vend à tout va, transfère, achète, déplace. Après Karl Zéro jeté par Canal, après Ferrari achetée par Canal, Castaldi piqué par TF1 à M6, puis viré manu militari par M6 qui ne l’a même pas laissé finir la Nouvelle Star ( !!), après Thomas Hugues, mari de Ferrari qui ne sait pas trop où aller, et qui officiellement « discute encore avec TF1 », voici deux grandes stars de cette télé dite « réalité » qui vont larguer les amarres : Fogiel quitte France 3, et Ardisson démissionne de France 2. C’est le service public qu’on déménage !
Notons tout de suite que ces deux spectaculaires évasions ont des motifs très différents : Fogiel, le petit teigneux d’On ne peut pas plaire à tout le monde paie ses mauvaises audiences tandis qu’Ardisson lui, paie ses trop nombreuses casquettes.
Selon la nouvelle règle édictée par le très chiraquien président de France Télévision, Patrick de Carolis, Ardisson ne pouvait pas être à la fois présentateur et producteur de Tout le monde en parle et présentateur et producteur de 93 faubourg saint-Honoré sur Paris Première. Pour de Carolis, les présentateurs doivent satisfaire à une « règle d’exclusivité » qui les lie au service public. Ils peuvent arrondir leurs fins de mois sur des chaînes privées, sur le câble ou le satellite, mais pas sur des chaînes dites « hertziennes ». Or, depuis l’avènement de la très chiraquienne TNT, de Carolis estime que Paris Première fait désormais partie des chaînes dites hertziennes.
Le problème, c’est qu’Ardisson a déjà signé un contrat pour la saison à venir avec Paris Première, et a donc demandé à de Carolis de suspendre l’application de sa règle d’exclusivité jusqu’en juin 2007, date à laquelle il s’est engagé à ne se consacrer qu’à France 2 et à Tout le monde en parle. (Autrement dit, à rentrer dans le rang.)
Mais de Carolis ne veut rien entendre, et maintient l’obligation d’Ardisson à clarifier sa position dans le mois. Ardisson démissionne, et justifie son geste dans une lettre publiée dimanche sur le site Internet de Libération.
« Cher Patrick, je t’ai téléphoné un dimanche matin, il y a 15 jours, et je t’ai laissé un message. Je te proposais de nous rencontrer pour discuter une sorte de "paix des braves" destinée à sauver l’avenir de Tout le monde en parle. Tu ne m’as pas rappelé. Le week-end dernier à Cannes, je n’ai pas pu te voir non plus, même à la soirée France Télévisions. Je n’étais pas invité. Alors, j’ai décidé de t’écrire. »
On sent déjà le drame qui pointe le bout de son nez. On devine d’emblée dans le « cher Patrick » que l’animateur en a gros sur la patate. Puis, il expose les faits, comment on en est arrivé là :
« J’ai bien reçu vendredi dernier la lettre recommandée de France 2 dans laquelle le directeur général, Philippe Baudillon, m’annonce officiellement que tu considères désormais Paris Première comme une chaîne "généraliste hertzienne" au même titre que TF1, M6 ou Canal +. Mon contrat avec France 2 m’interdisant de travailler sur d’autres chaînes "généralistes hertziennes", ton appréciation te conduira donc dans les jours qui viennent à ne pas le renouveler, bref, à supprimer Tout le monde en parle.
Tout à fait Thierry. L’homme en noir avait bien senti le vent venir, et les évènements allaient lui montrer qu’il n’avait pas tort.
Dans la suite de sa lettre, l’animateur rappelle que son contrat lui permettait de travailler sur des chaînes thématiques du câble et du satellite.
Or, peut-on considérer Paris Première autrement aujourd’hui, juste parce que cette chaîne est accessible par la TNT ?
Non, Paris Première reste une chaîne thématique du câble et du satellite. De Carolis ne fait qu’interpréter à sa guise les textes. Et Ardisson va même plus loin, il explique assez précisément comment il s’est fait piéger par de Carolis et Philippe Baudillon, le directeur général de France 2 :
« Le problème dans toute cette histoire, c’est que l’exclusivité totale des animateurs du service public ne figurait pas dans ton audition devant le CSA lors de ton élection à la présidence. Le problème, c’est que ni toi ni France 2 ne m’avez averti oralement ou par écrit de ce que tu considérais désormais Paris Première comme une chaîne "généraliste hertzienne". Le problème, c’est que France 2 ne m’en avait pas plus averti lors de la signature du dernier contrat alors que Paris Première était déjà une chaîne de la TNT. Comment imaginer que France 2 n’ait rien dit pendant plus d’un an, si je violais chaque semaine mon contrat ? Le problème, c’est surtout qu’avant de résigner mon contrat avec Paris Première, j’en ai averti Philippe Baudillon, le directeur général de France 2, qui ne m’a pas dit de ne pas le faire. Bref, le problème, c’est que tu changes la règle au milieu du match. »
Effectivement, Thierry, là on peut penser, si tu permets que je te tutoie, que tu t’es fais un peu avoir. Si j’étais moi-même à ta place, avec tes grosses fiches en main, je te ferais une interview : « Comment je me suis fait avoir par Patrick de Carolis ».
A ta décharge, il est vrai que ce n’était pas très évident de le voir venir, l’ancien présentateur de Des racines et des ailes, avec son air de premier de la classe qui a toujours une pièce jaune à donner à Bernadette. Il avait l’air de rien, comme ça, le nouveau chef, mais finalement, il en abat du travail, il en élague des chênes, et pas que des pourris, pas que du bois mort. De l’audience, du vivant, parce que, dans ta lettre, mon cher Thierry, tu écris bien que « c’est un miracle que tu fusilles », en t’adressant à ce cher Patrick que t’oses tutoyer comme tu tutoies Joey Starr ! Comme tu y vas, quand même, après, faut pas t’étonner ! Un miracle !
Il s’étonne un peu, quand même, le producteur de On a tout essayé de Ruquier. (Qui reste, lui, chez Carolis & Drucker, il a accepté de réduire son portefeuille, le sympathique Laurent.)
On sent Ardisson vexé, la veste toute retournée, et nul Baffie à l’horizon pour lui sauver la mise sur ce coup-là.
Alors quoi, un procès ?
Que nenni : « Il n’y aura pas de procès de ma part. Le seul procès dans cette affaire sera celui que te feront les téléspectateurs le premier samedi de septembre, à 23 heures 15. »
Pas de procès, à la place, un peu de mélodrame, pour noircir de tristesse le tableau :
« Rassure-toi, Patrick, mes origines sociales (sic) m’ont fait côtoyer des travailleurs au chômage, et je ne vais pas faire le coup du nouveau pauvre. Je ne vais pas aller me plaindre de mon sort dans tous les médias du pays. »
Pour le coup, déjà, la lettre interceptée par Libé, on fait plus discret !
« Je vais aller chercher du travail ailleurs. Sur mon CV, il y a la liste des émissions que j’ai produites et/ou animées pour France 2 : Lunettes noires pour nuits blanches, Double jeu, Frou Frou, Tout le monde en parle, On a tout essayé... Tout le mal que je te souhaite, c’est que mon remplaçant en fasse autant pour la chaîne. »
Puis, l’animateur insolent s’en va en souhaitant bonne chance, on devine à travers les lignes ce trémolo qu’il sait mettre quand il veut souligner l’émotion censée régner sur certains de ses plateaux. La grande gueule, il maîtrise, la grande gueule qui souffre, aussi.
Bien sûr, on ne va pas pleurer cette bête à audience-là, malin comme un pou, astucieux comme Garcimore, qui rebondira et saura le faire savoir, mais on pourra quand même du coin de l’œil un brin regretter ces soirées où l’on voyait Maurice Druon défendre Papon, Joey Starr taper dans la main de son pote Francis Lalanne, ou Evelyne Thomas pleurer sa mère aux côtés d’un Jack Lang très mal à l’aise de ne pas dire du mal de Ségolène Royal. L’inverse de la cuisine moderne : une cuisine sans finesse, mais qui nourrit son homme.
Qui nourrissait, jusqu’à samedi dernier.
On ne passera plus au blind test.