De la régulation du pouvoir médiatique

par Matthieu BOLLEA
jeudi 5 avril 2007

Face à la médiatisation, toujours plus efficace, d’évènements qui vont alimenter le débat public et politique, il est urgent de repenser les mécanismes de contrôle qui assureront aux médias leur réelle légitimité à intervenir dans la sphère publique. Mais la relation du politique au médiatique est-elle aussi transparente qu’elle veut bien le laisser voir ?

Une campagne présidentielle comme celle à laquelle nous assistons est l’occasion d’une formidable observation des relations entre les sphères médiatique et politique.

Tout d’abord, force est de constater que les fondamentaux de cette relation sont toujours là, plus présents que jamais. Une preuve se situe dans l’essence même des medias : diffuser. Dans un monde de plus en plus perceptible par l’unique subjectivité de l’image, les acteurs importants sont autant ceux qui retiennent ou dispensent celles-ci que ceux qui en font l’objet. Ainsi le diffusé est aussi nécessaire au diffuseur que le diffuseur au diffusé. Ensuite, autre observation, la lente et méthodique fictionnalisation de la sphère politique. Une réalité qui gêne parfois les hommes politiques, car, en mettant en scène, la distance créée éloigne encore plus l’homme de politique de son électorat.

Mais qu’importe. Surtout maintenant. Les médias traditionnels ne vont pas bouder leur plaisir de couvrir la campagne présidentielle. La reine des reines du suffrage universel. On montre les candidats, on choisit les phrases à garder, les images à monter. Mais le fait de mettre en image de telles choses est un pouvoir ô combien aussi important que les pouvoirs réels obtenus par approbation du corps électoral au suffrage universel.

Il résulte de tout cela un formidable pouvoir, assis sur une visibilité quasi illimitée, puisque ce sont bel et bien les médias qui sont chargés, par l’acquisition d’une certaine légitimité, de s’assurer de la véracité des propos qui y sont montrés. Or, ce pouvoir n’est finalement que très peu régulé, en regard des enjeux à l’œuvre dans nos démocraties post-modernes. Et par quel pouvoir est-il régulé ? Par la sphère politique. Celle-là même qui est en situation d’interdépendance avec l’objet à réguler. En politique, pour exister, ne faut-il pas être « vu à la télé » ? Pour que les retombées d’une politique se fassent visibles jusqu’au fond du pays, ne faut-il pas, les présenter, à la télé, aux médias ?

Il y avait le fait social, il y aura maintenant le fait médiatique. Du Biafra aux charniers de Timisoara, en passant par une certaine idée médiatique de l’insécurité lors de la campagne présidentielle de 2002. En dehors de toute contextualisation et de toute analyse nécessaire pour comprendre les tenants et les aboutissants d’un évènement, les médias fonctionnent depuis longtemps à chaud. Jetant un fait divers dans la sphère publique, l’acharnement de médias traditionnels en place le polarisent à coups de « polémique ».

Ce sont les SDF du canal St-Martin, le patrimoine des candidats à la présidentielle, le budget de l’État, le financement d’un deuxième porte-avions. Le tout véhiculé sous le ton du présent, jamais d’un futur analysant le long terme des mesures prises ou annoncées. Le fait même de ne jamais laisser entrevoir au grand public les enjeux de mesures prises sous le feu des médias est une grave atteinte à la liberté de conscience du corps électoral. Liberté de choisir ses dirigeants, de critiquer les décisions prises. Liberté de savoir où le pays est mené par les hommes politiques élus selon les préceptes républicains et démocratiques.

Ainsi, en 2002 avons-nous vu un vieil homme couvrir nos écrans de son récit, de sa vie qui évita de justesse de se finir après que des jeunes gens l’aient battu et laissé pour mort. Epiphénomène médiatique qui eut pour résultat de recentrer fortement le soi-disant « débat public » sur le thème de l’insécurité. Il n’est pas inapproprié de penser que les incidents récents de la Gare du Nord à Paris sont à mettre dans la même catégorie d’épiphénomène médiatico-politique.

En dehors de tout respect pour les personnes lésées ce soir-là, il m’est permis de douter de l’importance d’un tel évènement en ce qu’il caractérise un sentiment profond d’insécurité. En dehors de Paris et sa proche banlieue, quel est le ressenti du Français de « province » face à de telles images, à de telles voix off sur de telles images ? Est-il normal de porter un jugement social, ou même politique, sur un évènement si bref, autant sorti de son contexte que faire se peut ? Peut-on apporter une réponse politique, courant sur le long terme, avec comme seuls outils ceux du présent, de faits captés dans l’instantanéité ?

On m’a un jour enseigné que les « mass media » ont comme vocation de diffuser un contenu audiovisuel au plus grand nombre de personnes, mais que la faille de ce système incroyable de communication réside dans le fait qu’il est impossible concrètement d’influer sur les contenus, en qualité de simple spectateur. Cela change peu à peu, il est vrai. Ce qui ne change pas au contraire, c’est l’incessante volonté des acteurs de la sphère médiatique de présenter la vie politique comme une fiction. Fiction avec ses protagonistes, ses règles narratives propres, ses coups de théâtre et son évolution dans le temps. On n’orchestre que trop facilement notre vie politique, ce qui a pour effet d’éloigner, de désenchanter l’électeur de la vie politique, et par là même de le désintéresser de l’avenir global de son pays.

Face à tout cela, le constat que l’ensemble des médias présents dans ce pays constitue bel et bien un quatrième pouvoir est réel. Si cela n’est pas dit explicitement, il en existe des preuves tacites. Mais, posons-nous la question un instant d’une telle situation. Les préceptes démocratiques et ensuite républicains ont assuré la séparation des trois pouvoirs que sont l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Mais quel organe de contrôle assure la séparation des ces pouvoirs politiques avec le tout nouveau venu : le pouvoir médiatique ?

A l’heure de l’avènement d’un cinquième pouvoir, celui dit de l’Internet, il est nécessaire, pour ne pas dire vital, de se pencher sérieusement sur le rôle des médias actuellement en place face à la sphère politique. S’il s’agit réellement d’un pouvoir qui s’exerce dans la sphère publique, et par extension dans la sphère politique, il est urgent de se pencher sur l’éventualité de le contrôler davantage. Car les risques de dérives sont tangibles, et surtout visibles en période électorale.

Pour ainsi dire, si un acteur socio-économique est capable, par sa légitimité, d’inférer le choix d’un ensemble d’électeurs, il est nécessaire de le contrôler par des moyens au moins aussi efficaces que les moyens mis en œuvre pour contrôler les pouvoirs démocratiques existants. S’il s’avère qu’un nouvel acteur politique est capable par sa seule parole de faire élire un candidat à la plus haute magistrature, en tant que citoyen, je veux avoir un contrôle sur lui. C’est une question d’équilibre, fragile mais nécessaire. Equilibre qui assure la pleine maturité de notre démocratie. Avant de préparer l’arrivée dans notre vie politique d’un potentiel cinquième pouvoir, il est donc vital d’entériner les droits et les devoirs du quatrième. A grand pouvoir, grand devoir, celui d’être impartial lorsqu’il s’agit d’être la passerelle entre le peuple et ses dirigeants.


Lire l'article complet, et les commentaires