Denis Robert à la merci d’un courant violent
par LM
vendredi 24 novembre 2006
Sale temps pour le journalisme d’investigation : un comité de soutien à Denis Robert vient de se créer, pour tenter de permettre au journaliste découvreur de Clearstream de rester la tête hors de l’eau.
Depuis qu’il a croisé la route de Clearstream, la pieuvre du Luxembourg, Denis Robert navigue un peu vingt mille lieues sous les mers. Ou plutôt vingt mille lieues sous les tribunaux. Assailli de plaintes, procédures, procès en diffamation, qui n’ont dans l’immédiat nullement enrichi Clearstream, il se retrouve aujourd’hui dans une situation économique, donc personnelle, assez compliquée. La justice a ses frais, que l’innocence ignore, dont la relaxe ne dispense pas. Clearstream n’a jusque-là empoché que... trois euros, mais Denis Robert, lui, ses éditeurs (Les Arènes, Julliard) font face à une ardoise qui avoisine six millions d’euros. Rien de moins. Alors, conscients du danger qu’encourt leur confrère ou ami journaliste, une poignée d’irréductibles de la vérité, persuadés que l’entreprise de Robert est juste et essentielle, qu’il ne s’agit en aucun cas d’une lutte contre des « moulins à vent », mais bien d’un combat pour une vérité capitale et cruciale, une poignée donc de vrais compagnons du journaliste ont créé un blog (http://lesoutien.blogspot.com/) et demandent à ceux qui le souhaitent d’apporter leur obole à la lutte du petit Robert contre les gros de la finance. Dix euros, ou plus, ou moins, pour que l’ancien journaliste de Libération se sente un peu moins seul, un peu moins « victime », un peu plus entouré et surtout compris. Entendu.
Parce qu’à lire les derniers billets de Robert, ici sur AgoraVox, ou là dans Les Inrockuptibles, ou bien sûr sur son blog (http://www.ladominationdumonde.blogspot.com/) certains pourraient se laisser aller à penser qu’il agace un peu, celui-là, à répéter sans cesse les mêmes accusations, à enfoncer chaque fois ses mêmes clous, à marteler ses preuves, comme un journaliste obsédé par son enquête. Les journalistes obsédés par leur enquête, il en a connu, Denis Robert, lui qui a appris le métier sur le tas de la Vologne, du côté de chez Grégory. Il sait combien l’entêtement aveugle, combien l’obsession peut faire dévier de sa route initiale et propulser dans le n’importe quoi, le délire ou l’affabulation. Il le sait trop bien, ce qui évidemment ne l’exonère pas de sombrer à son tour, un jour, dans ces dérives. Mais ce n’est pas le cas, là. Et ceux qui qualifient Robert d’obsédé le font pour la ligne suivante, mettre en doute son travail, l’importance de ses révélations, ou tout simplement la nécessité de continuer ainsi, mois après mois, années après années (cinq ans déjà) à tenter de percer son foutu mystère et de faire tomber les dominos du Grand Duché.
Le Monde a qualifié un jour Denis Robert d’inventeur de Clearstream. C’est évidemment une vanne, pas une coquille, mais une attaque directe : l’inventeur crée de toute pièce son invention, il met à jour ce qui n’existait pas. Le découvreur, lui, se contente de soulever le voile, de pousser la pierre, ou le rocher qui occultait la grotte. Denis Robert a découvert le mensonge Clearstream, il ne l’a pas inventé. Mais Le Monde n’en est pas à son coup d’essai, et au temps où Plenel (qui heureusement vient de se voir refuser Libé) y sévissait, le journal avait été le fer de lance des détracteurs de Robert, en biaisant son enquête, en la diminuant, en insinuant qu’elle était pétrie de mensonges. Mais tout cela a été écrit, et dit, et raconté par Robert dans ses différents livres.
Depuis la seconde affaire Clearstream (on devrait dire la deuxième, parce que rien ne nous dit qu’il n’y en aura pas une autre derrière) Denis Robert se trouve pris dans d’autres mâchoires, aussi puissantes, du moins aussi fourbes que celles de la haute finance : celles des politiques, et pas n’importe lesquels : Villepin, Sarkozy, Alliot-Marie se trouve mêlés à ce scandale dans le scandale, qui mélange cuisine de renseignement et ripaille électorale, alcôves ministérielles et apprentis barbouzes. Dans cette tourmente des faux listings, Denis Robert s’est trouvé, récemment, sous la menace d’une mise en examen, qui, à ce jour, n’est toujours pas effective. Depuis, Michel Alliot-Marie, juste avant de se faire engueuler par Sarkozy, a passé une dizaine d’heures chez le juge, mais n’a « pas vu passer le temps », assure-t-elle.
Robert, lui, trouve le temps un peu long. Il ne fait plus grand-chose d’autre que de trouver le temps long. Le temps des poursuites, des procédures, engagées contre lui-même, contre ses éditeurs, qui lui ont toujours fait confiance, qui l’ont toujours soutenu. Mais certains pensent que La domination du Monde était de trop, que Clearstream l’enquête était de trop. Certains, comme Karl Laske et Laurent Valdiguié estiment (dans Machinations chez Denoël) que Denis Robert est un des rouages de l’affaire, et qu’il « joue un rôle » dans cette entreprise dite de déstabilisation. Mieux même : en quatrième de couverture, les auteurs écrivent que le scandale Clearstream « n’existe pas ». Que la société luxembourgeoise n’est pas une gigantesque lessiveuse d’argent sale. Que tout cela c’est du vent. Une baudruche, qu’ils entreprennent de dégonfler.
A ce rythme-là, et fort du silence assez assourdissant de la plupart des journaux français (à l’exception notable du Nouvel observateur qui relaie les informations, ou des Inrockuptibles, qui publient les textes de Robert), et de l’ensemble de la classe politique (Montebourg, un temps dans le camp des laveurs d’argent sale, a depuis cédé à l’opportunisme de ceux qui ont plus d’une veste à retourner), à ce rythme-là, donc, dans l’esprit des gens va s’installer l’idée que ce journaliste un peu fatigué sous les yeux, au timbre placide mais déterminé, est au mieux un emmerdeur, au pire un mythomane. On n’en est pas là, mais on n’en est pas loin. Au point qu’on pourrait presque se laisser aller à conseiller à Denis Robert de lâcher l’affaire, d’écrire d’autres romans, un peu noirs, avec des « clés », pour faire plaisir à PPDA, de gagner de l’argent ainsi et de ne plus jamais évoquer l’affaire Clearstream, dont la majorité des électeurs, de Ségolène Royal comme de Nicolas Sarkozy, se moquent éperdument.
Mais le loup est ainsi fait qu’une fois que vous l’avez trouvé, vous ne pouvez plus renoncer à le tuer, ni lui tourner le dos. Sinon c’est lui qui vous dévore. Denis Robert ne peut plus faire machine arrière. Ceux qui le harcèlent, l’assignent et qui déposent plainte contre lui ne le lâcheront plus. Il ne faut pas se faire d’illusion : s’ils ont la moindre chance de le ruiner, ils le feront. Sans état d’âme. Sans coup de feu.
Il y a plusieurs manières de flinguer un journaliste.