Destruction du domaine public ?

par daminatator
mercredi 8 mars 2006

Alors que l’Assemblée nationale va revoir, dans les jours qui viennent, son projet de loi pour protéger les droits d’auteur dans les échanges de fichiers sur Internet, il est bon de revenir sur un débat en partie faussé.

Quelqu’un qui échange un fichier de musique est considéré, dans le débat actuel, comme un pirate parce qu’il obtient un phonogramme sans en rémunérer l’auteur. Or de nombreuses oeuvres ne sont plus protégées par un droit d’auteur : pour être exact, l’intégralité de la production musicale enregistrée avant le 7 mars 1956 n’est plus protégée par le droit d’auteur, et tombe de ce fait dans le domaine public.

En effet, d’après l’article 4 de la Convention pour la protection des producteurs de phonogrammes contre la reproduction non autorisée de leurs phonogrammes du 29 octobre 1971 ( voir sur le site de l’OMPI l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle : http://www.wipo.intwww.wipo.int/treaties/fr/ip/phonograms/trtdocs_wo023.html#P54_4540 ) : la durée de protection accordée sur un phonogramme ne peut être inférieure à 20 ans et est laissée au libre-arbitre des législations nationales des Etats signataires de la convention. En France, dans l’Union européenne et aux États-Unis jusqu’à une période récente, cette durée de protection est de 50 ans.

Qui dit domaine public devrait vouloir dire téléchargement libre et légal. Oui mais voilà, les grandes majors du disque, apeurées par l’idée que les premiers grand succès commerciaux de l’histoire de la musique, qui font toujours autant recette, tels que les morceaux du king Elvis ou des Beatles, tombent très prochainement dans le domaine public, ont lancé une grande offensive.

Aux États-Unis, et sous la pression des lobbies, la période soumise au droit d’auteur a été étendue de 50 à 99 ans !

Et maintenant les majors font pression pour qu’une mesure similaire soit adoptée au Parlement européen. (voir article : Bad news for old rock stars dans The Economist du 6 janvier 2005 http://economist.com/displaystory.cfmdisplaystory.cfm?story_id=E1_PVQGDTQPVQGDTQ ).

Si l’on accepte le principe que tout auteur, tout compositeur a le droit de toucher un revenu sur sa création afin qu’il puisse vivre, si l’on accepte le principe que ce revenu soit proportionnel au succès commercial de ses oeuvres (N.B. ces principes sont loin d’être évidents et mériteraient également d’être remis en cause), en revanche, on peut se demander pourquoi ces droits d’auteur ont une durée de vie de 50 ans ? 50 ans, 99 ans, cela n’a pas de sens, un droit d’auteur existant pour assurer un revenu aux auteurs, il serait logique que la durée de vie de ces droits coïncide avec la durée de vie de l’artiste...

En effet, il n’y a aucune raison que les deux rejetons de Claude François, qui ont déjà hérité de la fortune créée par leur père, touchent des droits d’auteur pour des chansons qu’ils n’ont ni écrites ni chantées...

Qui continue à toucher la retraite de ses parents après leur mort et après avoir perçu leur héritage ?

Cette logique n’est bonne que pour les fabricants de disques qui, sous couvert de protéger le droit des auteurs (morts !), protègent en fait leur exclusivité sur l’édition de leurs CD. Mais les CD, c’est fini. Il faut s’y faire. Si les sabotiers d’antan avaient eu les moyens financiers et l’organisation des majors du disque, il y a fort à parier que nous porterions toujours des sabots.

Il est impératif que les droits d’auteur rétribuent le travail de l’auteur, ni plus, ni moins. Et si l’auteur meurt, alors ses oeuvres doivent passer dans le domaine public et être téléchargeables gratuitement. Si l’auteur vit plus de 50 ans après la création de son oeuvre, tant mieux pour lui, il doit pouvoir continuer à profiter des droits de sa création.

Il faut absolument revoir ce droit d’auteur, et déterminer que les droits d’auteur n’existent que durant la durée de vie de l’auteur.

A la veille du nouveau débat parlementaire, il est important de rappeler nos droits :

- je dois pouvoir, légalement, télécharger gratuitement l’intégralité des enregistrements de George Gershwin (mort en 1937), de Django Reinhart (décédé en 1953) la quasi-totalité des enregistrements de Billy Holiday et Boris Vian (tous deux décédés en 1959) ainsi que ceux d’Edith Piaf (premier enregistrement en 1936, décède en 1963), je dois pouvoir télécharger et échanger librement et gratuitement : That’s all right Mama et Love me tender de Elvis Presley, Le gorille et La mauvaise réputation de Georges Brassens (enregistrés en 1956 ou avant), etc.

Attention : licence globale ou protection maximale des fichiers ne doivent pas remettre dans le système marchand ce qui en est sorti. La nouvelle loi, quelle qu’elle soit, ne doit pas nous faire payer ce qui est désormais gratuit. En mettant tout dans le même panier, comme on le fait actuellement dans le débat public, la confusion profite aux majors du disque, qui pourront ainsi vendre des produits qui ne leur appartiennent plus.


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