Dette médiatique : triple C pour une émission de France Info

par Nicolas Gora
lundi 28 novembre 2011

France info a diffusé à plusieurs reprises le 19 novembre 2011 une émission de 5 minutes intitulée « Austérité et triple A : la crise de la dette expliquée aux enfants » que vous pouvez réécouter ici

Au menu : qui prête autant d'argent aux Etats ? Comment peuvent-ils emprunter plus qu'ils ne pourront jamais rembourser ? Que signifie le "AAA" auquel Nicolas Sarkozy semble si attaché ? La France est-elle menacée par sa dette ?

Traitée sous forme de questions/réponses entre la chef du service économique et social de France Info et des enfants entre 10 et 13 ans, les réponses voulues accessibles au plus grand nombre laissent parfois pantois. Voici donc l'intégralité de la-dite émission qui dure 5 minutes, à vous de juger !

Q : Qui est assez riche pour prêter autant d'argent ?

R : Alors ce n'est pas une seule personne qui a suffisamment d'argent pour prêter mais ce sont plusieurs personnes, c'est les banques d'abord qui prêtent beaucoup d'argent et puis ce sont ce que l'on appelle les investisseurs, alors ça peut être une entreprise ou un groupe de personnes qui ont beaucoup d'argent, qui veulent le placer pour que ça leur rapporte. Donc ils prêtent et en échange de prêter ils demandent qu'on leur en rende un petit peu plus.

 

Q : pourquoi les pays n'ont pas assez d'argent ? Est-ce que c'est vrai qu'ils en ont dépensé trop ?

R : la plupart des pays ont dépensé plus que ce qu'ils avaient, donc petit à petit ils ont été obligés de s'endetter, d'emprunter de l'argent pour pouvoir continuer à faire fonctionner leur Etat. D'où vient l'argent des pays, en général ça vient de l'impôt qu'ils prélèvent et puis leurs dépenses c'est pour faire fonctionner les écoles, c'est pour construire des routes, pour faire des hôpitaux. Et par exemple en France ça fait une trentaine d'années qu'on est obligé de s'endetter année après année pour que la France fonctionne.

 

Q : Si le chef de l'Italie et le chef de la Grèce ont démissionné, qui va rembourser ?

R : Alors c'est pas le chef de l'Italie ou le chef de la Grèce qui rembourse c'est tous les habitants du pays qui remboursent. Comment ? D'abord en faisant des économies, par exemple en Grèce on a décidé de réduire le salaire des fonctionnaires, alors le salaire des pompiers, le salaire des policiers, le salaire des enseignants. On a décidé aussi de donner un petit peu moins d'argent aux retraités, de réduire leur pension de retraite, et puis on peut aussi essayer de récupérer plus d'argent. Comment ? Tout simplement en augmentant les impôts, même en créant certains impôts.

Exemple type de message mélangeant du vrai, du faux et du vague :

Q : Est-ce qu'ils ont démissionné parce que c'était de leur faute ?

R : C'est pas de leur faute si le pays est endetté. Il y a une dette. En revanche ce qui leur a été reproché c'est de ne pas avoir pris toutes les mesures pour faire les économies nécessaires pour que la dette baisse.

 

Q : Est-ce qu'il y a des pays qui ne peuvent pas rendre si ils ont emprunté trop d'argent ?

R : Quand un pays emprunte de l'argent on lui prête 100, et on lui dit comme je fais l'effort de vous prêter vous allez me rendre 110, un petit peu plus pour que ça rapporte de l'argent à celui qui a prêté. Quand on fait pas confiance en la capacité d'un pays à rembourser, on lui demande de rembourser beaucoup, pas 110 mais 120, 130, 140. Et plus ce chiffre augmente et moins le pays arrive à rembourser et ça devient absolument impossible de rembourser la dette, c'est ce qui est arrivé à la Grèce.

 

Q : Qui peut forcer un pays à rembourser l'argent ?

R : D'autres pays peuvent forcer à rembourser, c'est par exemple ce qui est arrive dans la zone euro. La France et l'Allemagne font pression sur la Grèce et sur l'Italie en disant il faut absolument que vous remboursiez. Il y a aussi le FMI, le fonds monétaire international, qui est une institution qui regroupe 187 pays et qui peut prêter de l'argent aux autres. Le fonds monétaire international peut aussi faire pression pour que le pays rembourse. Ce qui peut se passer dans les cas extrêmes, et on en est loin, si un pays ne rembourse pas du tout, plus personne ne lui fait confiance, plus personne ne veut plus lui prêter et plus personne ne veut faire de commerce avec lui, plus personne ne veut lui vendre des choses ou lui acheter des choses. Le pays se trouve isolé donc il n'a pas intérêt à ne pas rembourser.

 

Q : Si personne ne peut rembourser, pourquoi on annule pas la dette ?

R : On l'a déjà fait pour la Grèce. Les banques qui prêtent à la Grèce ont accepté de renoncer à une partie du remboursement. On ne peut pas tout annuler d'abord parce-que ceux qui ont prêté ont envie de récupérer leur argent et ont besoin de récupérer leur argent.

 

Q : Qui est le plus endetté après la Grèce et l'Italie ?

R : Le pays le plus endetté au monde est le Japon. La dette du Japon c'est 230% de la richesse du Japon. C'est beaucoup plus que la Grèce par exemple qui est endettée à hauteur de 150% de sa richesse, l'Italie c'est 120%. Pourquoi on ne parle pas d'un problème de dette au Japon et bien tout simplement parce que la dette au Japon est détenue par les Japonais. Ce sont les Japonais qui prêtent à l'Etat japonais et donc les Japonais font confiance à leur Etat pour rembourser et ça ne crée pas de soucis.

 

Q : Est-ce que le président de la France a des soucis avec la dette ?

R : Il fait tout pour la réduire. On a une dette assez élevée, c'est presque 1700 milliards d'euro, c'est beaucoup, plus de 85 % de notre richesse, et le président de la France prend des mesures pour réduire cette dette. Alors par exemple, tu en as peut-être entendu parler, augmenter certains impôts, par exemple quand on ira au restaurant on paiera une taxe un petit peu plus importante. On a décidé de demander aux gens de travailler plus longtemps pour qu'il y ait moins de pensions de retraite à verser, et tout ça c'est fait parce-que la France a peur de perdre ce que l'on appelle son triple A qui lui permet d'emprunter pas cher.

 

Q : Est-ce que le triple A c'est comme une note en classe, 20/20 ?

R : Alors c'est exactement comme un 20/20. D'abord parce que c'est la meilleure note qu'on puisse avoir et puis c'est comme un 20/20 car comme quand on a un bon bulletin scolaire on peut prétendre aller dans de bonnes écoles et bien avec une bonne note financière, avec un triple A, on peut demander à ce que l'on nous prête de l'argent pas cher, moins la note est bonne et plus on va nous prêter cher.

- « quand on a un bon bulletin scolaire on peut prétendre aller dans de bonnes écoles » partiellement vrai. Il faut aussi de bonnes relations et un bon chéquier !

 

Q : C'est qui la personne qui donne les notes, ça doit être le pape non ?

R : Alors ce n'est pas le pape, évidemment, mais en tout cas ce sont des agences de notation à qui on a pu reprocher d'avoir beaucoup beaucoup d'influence. Elles sont 3 ces agences de notation, elles s'appelent Standard and Poors, Moody's et Fitch. Alors dans ces agences de notation il y a des experts qui regardent les comptes d'un pays, comment un pays dépense son argent, les efforts qu'il fait pour pas dépenser trop, si son économie est en bonne santé. En fonction de tout ça ces experts mettent une note.

 

Q : Comment ça se fait que nous ayons la meilleure note ?

R : On a la meilleure note car nous faisons partie des pays les plus riches du monde. On est le 5ème pays le plus riche du monde donc ça justifie que l'on ait une bonne note mais c'est pas gagné parce-que les Etats-Unis c'est le pays le plus riche du monde et bien les Etats-Unis cet été il y a une agence de notation, Standard and Poors, qui a décidé de retirer le triple A, de retirer la meilleure note non pas parce-que le pays n'était pas assez riche mais parce-que Standard and Poors estimait que ceux qui dirigeaient le pays peut-être n'allaient pas prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire la dette.


Finalement la technique utilisée par la journaliste est ancienne et efficace : mélanger le vrai, le parti pris et le vague tout en donnant une apparente solidité au discours. En seconde lecture c'est une pierre à l'édifice de la pensée unique plus qu'un moyen de développer l'esprit critique des (jeunes) citoyens. Aucun exposé des alternatives possibles, aucune présentation en terme de choix ou de responsabilité. Tristes médias.

Allez, c'est décidé, je donne la note triple C !


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