Docteur Qui ?

par Mmarvinbear
mardi 20 février 2018

 Ce qui fait la réputation d’une chaîne de télé, ce sont ses programmes. Ce qui fait la qualité d’un programme, c’est sa popularité dans le temps tout en ne faisant pas appel aux stratagèmes évidents que sont la distribution d’argent, la polémique facile et les femmes nues à l’écran. Autant dire que ce genre de programme ne court pas les rues mais quand la chaîne en trouve un, elle ne le laisse pas s’étioler et s’affadir facilement.

En 1963, la BBC savait-elle qu’elle venait de mettre à l’antenne un des programmes les plus populaires de Grande-Bretagne mais aussi désormais le plus ancien toujours à l’antenne malgré une pause de plus de 15 ans ?

Sans doute pas. Il faut dire que sa programmation passa inaperçue en raison de l’assassinat de Kennedy aux USA. mais dès le lendemain, un étrange homme âgé commençait à envoyer dans l’espace et le temps trois générations de téléspectateurs qui accompagnent toujours cet étrange Docteur qui ne soigne par les maladies mais les situations. Très rapidement, le son rauque et caractéristique ainsi que le symbole constitué par la Blue Box pourtant en voie de disparition à cette époque dans les rues de Londres va rassembler les familles entre 1963 et 1989, puis de nouveau à partir de 2005, faisant de Doctor Who la série de science-fiction la plus ancienne toujours diffusée.

Conçue à l’origine comme une série d’aventures au fond didactique, Doctor Who va rapidement abandonner son caractère éducatif pour laisser la place à de la pure fiction tout en gardant un fond historique parfois. Le début en est simple : deux enseignants surprennent une de leurs élèves à entrer dans une Police Box. Ne la voyant pas ressortir, ils entrent à leur tour et se retrouvent dans une pièce plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur. Son occupant, le Docteur, les surprend et fait décoller son engin, enlevant les intrus pour qu’ils ne révèlent pas son existence. Le TARDIS atterrit à la Préhistoire ou l’ aventure commence.

Présenté et départ comme étant un savant excentrique, ce qu’ il est un peu tout de même, le Docteur révèle peu à peu sa vraie nature : il est un Timelord. Issu d’une race dont les membres peuvent vivre des siècles, il s’est établi dans le Londres des années 60 pour faire plaisir à sa petite-fille qui apprécie l’époque. Au fin des épisodes et des aventures, le Docteur va peu à peu s’ouvrir aux autres même s’il restera sarcastique et cassant envers ses amis si le moment s’en fait sentir.

Diffusée le samedi soir et donc propice aux rassemblements familiaux, la série connait un succès immédiat par son mélange d’aventure, d’humour anglais et d’étrange, les créatures plus ou moins hostiles commençant rapidement à peupler l’écran. Partagée par plusieurs générations, la série imprime sa marque et devient un rendez-vous traditionnel de la BBC, évoluant rapidement pour coller aux nouvelles techniques de diffusion ( la couleur apparait à la 7è saison ) et aux effets spéciaux de plus en plus sophistiqués pour la télévision de l’époque.

La mythologie de la série s’enrichit rapidement en antagonistes qui vont marquer la culture anglaise : les Daleks deviennent rapidement les ennemis favoris du Docteur, suivis de peu par les Cybermen. Dans sa reprise en 2005, les scénaristes n’oublient pas de les faire revenir même si le retour des Daleks fut plus compliqué que prévu car son créateur Terry Nation en avait gardé les droits d’exploitation et ses ayant-droits ont fait jouer le tiroir-caisse pour permettre à la BBC de faire revenir les ennemis préférés des anglais.

 

Sel ou Poivre ?

 

Dans les années 60 par exemple, les parlementaires agrémentaient parfois leurs discours en tribune d’ un « Exterminate » bien senti et compréhensible par tous. Leur aspect farfelu ( les compagnons modernes du Docteur les comparant souvent à une grosse salière ) est contrebalancé par leur cruauté et leur dangerosité sans borne, ce qui rend cette espèce très facilement identifiable. D’ailleurs, le Docteur admet que les Daleks sont la seule race qu’il craint réellement. 

La BBC est toutefois rapidement confrontée à un gros problème : William Hartnell, qui incarne le rôle titre, a un foutu caractère ( il a quitté le plateau une fois et la BBC a dû employer des trésors de diplomatie pour le faire revenir ) mais surtout, c’ est déjà un homme âgé quand la série commence et son remplacement devient inévitable en raison de la détérioration rapide de son état de santé. La BBC n’a aucune envie de mettre fin à la série et Hartnell, conscient de sa fin de carrière proche, suggère Patrick Thoughton pour le remplacer. 

La BBC est d’accord car Thoughton est un acteur très bien connu et coté à cette époque. Mais son allure physique ne colle absolument pas avec celui de Hartnell. Invités à se pencher sur la question, les scénaristes profitent de son caractère non-humain pour inventer la Régénération, astuce subtile qui va permettre de prolonger la série sur des décennies et se protéger de tout risque encouru par un acteur trop exigeant le cas échéant.

Le principe est simple : quand le Docteur est mortellement touché ou quand son corps est trop âgé, il se régénère, un acteur laissant la place au suivant. Le processus lui laisse sa mémoire et son expérience passée, mais son corps, son physique et sa personnalité changent complètement.

Ce processus fait l’admiration de certains de ses amis mais le Dixième Docteur ( incarné par David Tennant ) révèle que ce processus est en réalité une mort déguisée car il vit de l’intérieur la disparition de chacune de ses personnalités avant l’émergence de la nouvelle. Son « Je ne veux pas mourir » final au moment de l’arrivée de sa 11è incarnation est sans doute sa réplique la plus émouvante.

La Régénération est rapidement devenue un sommet de la série et quand elle intervient, les scénaristes y consacrent les meilleurs effets spéciaux de l’époque. C’est même une récompense suprême pour l’acteur qui tous en tirent un grand moment d’émotion car cela acte leur départ de la série.

C’est aussi une bonne occasion de punir les mauvais éléments : après deux ans seulement à tenir le rôle, Colin Baker est mis à la porte de la série en raison de son trop mauvais caractère. Pour bien marquer sa colère contre l’acteur, la BBC ne le fait pas venir pour tourner sa scène de régénération : c’est son successeur, Sylvester McCoy, grimé sous les effets spéciaux de l’époque, qui joue la totalité de la séquence ! McCoy est le dernier Docteur de la première période car après 3 ans, la série est mise en pause en 1989.

La BBC justifie la décision par la baisse d’audience et son envie de changer sa programmation, laissant toutefois la porte ouverte à un retour rapide de la série.

Ce retour, les fans en rêvent près de 10 ans avant de le voir devenir réalité sous la forme d’un téléfilm tourné pour tester le marché. La BBC veut une coproduction pour limiter les couts et la FOX engage des fonds pour une diffusion américaine potentielle. McCoy revient le temps pour lui de mourir d’une rafale de mitrailleuse dans le ventre et de laisser la place à Paul McGann. Le malheureux rejoint la liste des acteurs ayant eu la carrière doctoresque la plus courte car si le téléfilm est un succès au Royaume-Uni, il fait un bide aux USA. Exit la FOX et la série retourne sur les étagères. McGann, pas rancunier, reviendra dans un court-métrage ultérieur destiné au Net pour y mourir et laisser la place à John Hurt qui va lui aussi incarner le Docteur le temps d’un seul épisode.

En 2003, la BBC publie, en tant que régie publique, la liste des émissions prévue pour la saison à venir. A ce moment là, personne ne fait vraiment attention à la mention d’une nouvelle série de Science-Fiction nommée Torchwood. Ce n’est que lorsque les fans les plus aguerris se rendent compte que le titre est l’anagramme de Doctor Who que la fan-sphère frémit comme une ruche excitée. La BBC confirme alors le retour du programme pour 2005 avec une nouvelle qui ravit le public : la série ne sera pas un reboot, mais la suite de la série mise en pause en 89 et du téléfilm de 1996, ce qui va en faire la série la plus ancienne diffusée à l’écran. La BBC annonce Christopher Eccleston comme Docteur et précise que le ton sera plus sérieux et plus crédible. En outre, le format change : terminés, les épisodes de 30 minutes formant des arcs narratifs de 4 ou 6 parties. Place à 13 épisodes annuels de 45 minutes, plus un épisode de Noel. Pour limiter les frais, la BBC s’est associée à son ancienne branche galloise devenue autonome, ce qui explique le nombre d’épisodes se passant à Cardiff… 

L’arrivée de Billie Piper en tant que compagne du Docteur fait un peu frémir le public car la jeune femme est alors connue uniquement comme une pop-star pour ados. Son incarnation de Rose Tyler convainc dès les premiers épisodes et c’est une déchirure pour le public que de la voir disparaitre dès la fin de la deuxième saison, enfermée à jamais dans un monde parallèle ou le Docteur ne peut plus aller.

Parce que ce n’ est pas une sinécure que d’accompagner le Docteur dans ses voyages ! Le Timelord a tendance à se mêler de ce qui ne le regarde pas et son sens aigu de la justice ne l’aide pas à rester sagement à l’abri, ce qui provoque sa mort en moyenne toutes les 3 saisons.

Dès le départ, il était nécessaire au Docteur d’avoir un compagnon de voyage afin de lui donner la réplique. En règle générale, les compagnons sont mêlés de façon accidentelle à un événement nécessitant l’intervention du Docteur. Les présentations faites et le problème réglé, le compagnon part en sa compagnie pour un certain temps avant de revenir chez lui mener ou vie normale. En théorie.

Dans la pratique, leur sort est parfois funeste et le happy end de plus en plus rare : à la griserie du départ succède souvent la prise de conscience de cette vérité élémentaire : le Docteur est dangereux pour son entourage malgré sa bonne volonté. 

Ainsi, depuis 2005, Rose est perdue dans un univers parallèle, Martha a quitté le TARDIS pour s’occuper de ses parents torturés pendant un an par un ennemi du Docteur, Donna a vu sa mémoire effacée pour lui sauver la vie. Amy et son époux Rory se retrouvent exilés à jamais au XIXè siècle et Clara est morte pour avoir fait un marché dont elle pensait se sortir facilement.

C’est un grand contraste avec la série classique ou le départ du compagnon se faisait en général avec forces embrassades et sourires, quand Sarah Jane prenait juste sa valise pour quitter le Tardis ou quand Tegan reprend le cours de sa vie en embarquant dans un avion au sortir du TARDIS pour y prendre son service.

Le premier compagnon du Docteur à connaître une fin tragique est le jeune et arrogant Adric, jeune génie pédant au possible dont le rôle est supprimé par la production car son interprète énerve tout le monde sur le plateau avec son arrogance sans limite. Depuis, chaque compagnon qui embarque n’est pas certain de revenir en un seul morceau et le public frémit en plus pour le nouveau quand un péril insurmontable le menace.

 

Comment ça, je vais mourir ? Mais je suis un gentil !

 

Ce rôle parfois ingrat est nécessaire en premier lieu pour donner la réplique au Docteur. Mais il permet aussi à ce dernier d’évoluer et d’enrichir son expérience au contact de personnes venues de divers milieux sociaux : Rose Tyler est ainsi une jeune vendeuse dans un grand magasin dans la grande tradition populaire ouvrière anglaise. Martha, qui lui succède, est en dernière année de médecine et Donna, qui a 40 ans, est secrétaire par intérim. Amy travaillait comme bisou-gramme avant de devenir écrivain au XIXè siècle. Avant sa mort, Clara était elle enseignante dans un collège populaire.

Outre les progrès techniques liés aux effets spéciaux, la reprise de la série a aussi été l’occasion de bien prendre note des évolutions de la société : le Docteur est enfin autorisé à tomber amoureux à l’écran, même si son histoire avec Rose se termine tragiquement. L’ homosexualité est pleinement évoquée aussi : Jack Harkness, un voyou voyageur temporel, est fier de se dire bisexuel et de draguer ouvertement le Docteur qui lui fait bien attention à verrouiller la porte de sa chambre… En visite au XVIIè siècle, Martha et le Docteur rencontrent ainsi un William Shakespeare qui fait autant de l’oeil à l’une comme à l’autre. Madame Vastra, une Silurienne qui s’est établie dans le Londres Victorien, fait passer sa femme Jennie pour sa domestique, ce qui attire parfois de cette dernière quelques remarques acerbes sur le partage des tâches ménagères.

 

 

Enfin, la série originelle a montré son inventivité avec l’invention de la machine la plus étrange et pratique qui soit pour voyager : le TARDIS.

Quittant son monde natal à bord d’un tel engin qu’il a volé à ses pairs car il s’y ennuyait, le Docteur n’a de cesse de tenter de le piloter correctement, ce en quoi il réussit rarement : il a jeté le mode d’emploi dans un supernova car il « n’était pas d’accord avec ce qui y était écrit ». Cela explique les errances de la cabine qui atterrit parfois très loin du lieu et du moment souhaité. River Song, l’aventurière que le Docteur a fini par épouser, critique la façon de piloter de son mari qui laisse délibérément le frein à main, ce qui produit le son caractéristique du TARDIS en mouvement. Le Docteur réplique qu’il préfère cela à la façon « ennuyeuse » de tout le monde.

Le TARDIS est né de la volonté de trouver un moyen pratique de se déplacer et de pouvoir dissimuler l’engin aux yeux de peuples plus primitifs. La cabine se présente dans son état natif comme un cylindre gris. Equipé d’un circuit de camouflage, il peut se transformer à volonté pour se fondre complètement dans le paysage désiré.

La BBC redoute alors une envolée des couts et demande aux scénaristes de trouver le moyen de limiter les aspects possibles de l’engin : sa forme est donc bloquée sur celle d’une cabine de police londonienne au prétexte d’une défaillance définitive du circuit de camouflage. Le Docteur ayant volé l’engin, il ne peut pas le faire réparer. 

La cabine restera donc sous cette forme, n’évoluant que très légèrement au fil du temps selon les reconstructions du décor : le camouflage est dévolu à une onde sonore qui provoque le désintérêt du public aux alentours de la cabine. Il faut ainsi la chercher délibérément pour la voir. L’aspect visuel très réussi joue beaucoup dans l’identification iconique de l’ensemble.

A cause de sa volonté d’avoir un personnage passe-partout, la question des proches du Docteur a été longtemps laissée en jachère. On apprendra au fil du temps qu’il est fils unique, qu’il a eu lui-même deux fils mais qu’ils sont morts depuis longtemps. C’est une question douloureuse pour le Docteur car il évite soigneusement le sujet. Il a une petite-fille qu’il a laissé dans le Londres des années 60 et un clone féminin de sa dixième incarnation a été construite sans son consentement. La croyant morte, il ne la cherche pas. 

Enfin, le Docteur est marié à l’aventurière River Song mais leur relation est compliquée : tous les deux voyagent dans le temps et quand ils se croisent, ce n’est jamais dans l’ordre chronologique de leurs existences. Ainsi, la première fois que le Docteur rencontre River est le jour de la mort de cette dernière et quand River croise le Docteur pour la première fois, pour le Docteur ils sont déjà mariés. Les deux époux tiennent donc chacun un journal qu’ils comparent afin de savoir ou ils en sont dans leurs propres existences en évitant de se renseigner sur leurs futurs respectifs. Vous suivez ?

Les anglais suivent facilement en tout cas depuis plus de 700 épisodes, ce qui fait de Doctor Who la série la plus longue, sans compter ses spin-off comme Torchwood ( 4 saisons ), les aventures de Sarah Jane ( 4 saisons interrompues par la mort de l’actrice principale, victime d’un cancer ) et the Class qui vient de rejoindre l’antenne. Très populaire dans le monde anglo-saxon, la série est plus difficile d’accès en France ou elle est diffusée pour la première fois sur TF1 dans les années 80. La diffusion intermittente n’aide pas le public à adhérer au concept et il faut attendre France 4 pour avoir une programmation plus régulière. Outre les DVD disponibles, on peut aussi suivre la série sur Netflix.

Le futur de la série est quand à lui sous de bons auspices. Jodie Whitaker vient de prendre la suite pour incarner la première itération féminine du Docteur et sa première scène ou le TARDIS l’éjecte en plein ciel avant de disparaitre donne le ton de la saison à venir !

 

Bon, y sont ou, les machos que je m'en occupe ?


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