Emma West : en prison après une crise de nerfs « raciste » et une traque sur internet

par Catherine Segurane
samedi 3 décembre 2011

"Qu'est-ce qu'est devenu ce pays ?... Plein de Noirs, plein de p... de Polonais !" Une jeune femme pète les plombs dans le tram Croydon-Wimbledon, dans la banlieue de Londres. Ses imprécations durent plus de deux minutes et sont filmées. La vidéo, intitulée My tram experience, fait un buzz d'enfer.

A la demande de la police, et avec l'aide d'une vedette des médias, tout l'internet "antiraciste" traque la jeune femme, la trouve, donne son nom et le diffuse. Elle est arrêtée et emprisonnée pour trouble à l'ordre public avec circonstance aggravante de racisme. D'après l'International Business Times, le média qui a poussé l'enquête le plus loin à ce jour à notre connaissance, elle a deux enfants et est soignée depuis plusieurs années pour dépression.

Un autre buzz prend forme en sens inverse, prenant la défense de la jeune femme, qui n'a rien commis de plus grave que de péter les plombs, et qui n'a, en particulier, ni menacé ni appelé à la violence, et qui est aujourdh'ui en prison, pour sa propre sécurité selon la police. Elle a reçu des menaces de mort.

Le succès de la traque d'Emma West fait sortir d'autres vidéos analogues, et la police lance un appel à la dénonciation.

On n'a pas fini d'entendre parler de l'affaire Emma West.

Tout commence par une vidéo postée le 27 novembre et visionnée plus de 7 millions de fois, si j'en crois le compteur à droite de l'écran au jour où je rédige :

On y voit une jeune femme, un enfant sur les genoux, manifestement en pleine crise de nerfs, qui se lance dans une tirade d'imprécations contre la présence en Angleterre de trop de noirs et de Polonais.

Qu'est-ce qui l'a mise dans cet état ? Y a-t-il eu provocation ? On l'ignore, l'auteur de la vidéo n'ayant pas filmé le début de la scène, dont nous ne connaissons donc que la partie à charge pour la jeune femme.

La vidéo fait le buzz et fédère tout l'internet "anti-raciste", jusqu'en France, et même jusque sur la chaîne émiratie Al Arabiya.

La crise de nerfs devient le grand scandale du du moment. Il faut démasquer la "misérable raciste" (racist wretch). La police demande de l'aide à cette fin. Le journal Métro la relaie : "If you can help identify the lady in the My tram experience video, please get in touch : ow.ly/7HbqG". Le message est tweeté et re-tweeté. En particulier par Piers Morgan, animateur de CNN, qui demande au million et demie d'abonnés de son réseau social de la "montrer du doigt".

A la suite d'une traque géante, digne des Chasses du Comte Zaroff, le gibier est capturé : la jeune femme s'appelle Emma West, elle est interpellée le 28 novembre et placée en garde à vue, puis en détention préventive. Elle a reçu des menaces de mort. Elle sera jugée le 6 décembre.

La police britannique est toujours à la recherche de témoins de la scène, afin de tenter d'expliquer ce qui a amené à Emma West à agir de la sorte.

Pour des commentaires retrouvant un peu de bon sens, il faut lire, dans le Guardian (journal de gauche), un article de Sunny Hundall intitulé "My tram experience is schocking - but should it be cause of arrest ?". L'auteur écrit :

"And let's be honest, the woman was just sitting there with a child on her lap. She offended people but posed no threat and didn't harm anyone (the person behind her had to be calmed down or it could have turned a lot uglier). It isn't the same as a group of drunken blokes swearing in a train carriage and to criminalise simply being offensive or swearing in public would have half of Britain in jail."

(Traduction : Soyons honnète : cette jeune femme était simplement assise avec un enfant sur les genoux. Elle a commis une infraction, mais elle n'a ni menacé ni fait de mal à personne (la personne derrière elle a dû être calmée, sinon il y aurait eu plus de vilain). Ce n'est pas la même chose qu'un groupe de types soûls dans un wagon. S'il fallait traiter comme des criminels tous ceux qui parlent mal ou qui jurent en public, la moitié de la Grande-Bretagne serait sous les verrous.)

Il cite des cas bien plus graves. Restant dans le registre du racime "anti-étrangers", il mentionne cette vidéo où des voyous se sont filmés eux mêmes tabassant un Pakistanais, sans provoquer de traque (celle-ci aurait sans doute été plus dangereuse que celle visant une jeune mère de famille dépressive des quartiers ouvriers de Londres). Etant de gauche, il ne cite pas d'exemples de racisme "à l'envers" impuni, mais d'autres ne se gêneront pas pour le faire, et ils mentionnent l'exemple de ces islamistes qui ont manifesté avec comme slogan "British soldiers burn in hell", sans s'attirer d'ennuis analogues à ceux d'Emma West. On pourrait également citer tous les cas de coups et blessures, viols et meurtres qui n'ont pas donné lieu à la même mobilisation dans la recherche du coupable.

Plusieurs pages prenant la défense d'Emma West sont apparues sur Facebook, pas toujours en termes mesurés ( "Emma West fan page" ; "Emma West was right - The UK's Joan of Arc).

Le buzz a donné des idées à d'autres, et plusieurs autres vidéos comparables sont apparues sur le net. La police des transports a en particulier lancé un appel pour identifier une femme qui a été filmée il y a deux ans disant  : "Vous êtes dans mon pays, parlez ma langue". La police invite les témoins à lui dénoncer de tels incidents :

"Anti-social behaviour like this is completely unacceptable and we would urge anyone who is the victim of such behaviour, or who witnesses it, to call police.

"It is important that incidents are reported either as they take place or, if that isn't possible, as soon as possible afterwards as this allows us to respond and investigate quickly."


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