France 2 : la tentation d’une autre télé réalité

par emmanuelR
lundi 22 mars 2010

Le Jeu de la mort, polémique docu-réalité prétendant dénoncer les travers de la télé réalité n’est-il pas le produit parfait de la fascination et du fantasme d’une chaîne publique à qui il est interdit de se comporter comme ses soeurs délurées du Privé ?

 Au regard du curriculum vitae de France 2 nous serions tentés de répondre par l’affirmative.

 Enquête :

 Un livre, La tentation d’une île, derrière les caméras de la télé réalité, publié en 2009 par Philippe Bartherotte, et étrangement passé sous silence par France 2 nous enseigne entre autre que :

 Un jour tenté par les sirènes de la télé réalité France 2 a signé des contrats avec Fremantle et Endemol, notamment dans le but de réaliser un docu-réalité prenant pour cible des chômeurs.

 Nom de code Le village. Concept : recruter des chômeurs en fin de droits, les déporter à Mazères-sur-Salat, petit village de haute Garonne en manque de main d’oeuvre, voir comment ils s’en sortent.

 Nous sommes allés à la rencontre du repenti de la télé réalité afin qu’il nous raconte cette expérience cathodique. 

Philippe Bartherotte, Le village, c’était quoi ?


Eh bien,

France 2 parlait d’un docu-réalité, mais les équipes de tournage étaient exclusivement constituées de professionnels de la télé réalité, avec en plus une assistante sociale pour apporter un peu de légitimité au projet. Concrètement on a fait un casting sauvage de chômeurs en fin de droits à la Soupe Populaire, certains d’entre eux étant à la rue, on leur a proposé une émission de télé : ils cédaient leur droit à l’image et en échange la télé leur retrouvait un boulot. Suivant cette logique, on leur a fait prendre le train (billet payé par la prod !), tout cela filmé par plusieurs équipes, on les a installé dans une grande maison où on avait mis en place au préalable un dispositif d’éclairage dans toutes les pièces pour que la misère soit plus télégénique. Des équipes se relayaient pour les filmer en continu (Sauf quand ils dormaient). Voilà on était en plein dans une télé réalité de type service publique, c’est-à-dire un docu-réalité. Le communiqué de presse de France 2 était un teaser du genre « parviendront-ils à s’en sortir ? ». Le tout a coûté une fortune au contribuable parce qu’ils ont tourné pendant des mois, avec plusieurs équipes, un bureau de prod sur place, etc.

C’était une superproduction comme le documentaire de Christophe Nick. Pour ma part j’ai démissionné après trois semaines. Je précise qu’à nous les équipes, on nous avait aussi vendu le truc comme un documentaire sauf qu’on s’est vite rendu compte qu’on était dans une télé réalité d’un nouveau genre et particulièrement trash. Pour vous donner une idée, on filmait les parties de cartes de nos chômeurs ou quand ils regardaient un match à la télé, et par contre on loupait leur premier rendez vous de travail. Je me retrouvais à torturer des gens sous les ordres d’une rédac chef impitoyable. Il fallait faire avouer à tel ou tel candidat qu’il ne recherchait pas activement du travail mais que c’était un loser, un assisté. Enfin j’étais moi même dans une expérience de Milgram et je ne suis pas allé au bout. A un certain moment j’ai refusé d’actionner le levier d’électrochoc même si c’était plutôt bien payé.


Et qu’est-il advenu de ce docu-réalité ?


Il a été monté. Ça aurait dû constituer quatre Prime Time de 90 minutes mais un ministre a vu le résultat et a dit pas question qu’on diffuse ça ! Des centaines de milliers d’euros évaporés. Il faut dire qu’entre temps France 2 avait été pris en flag par un journal Local qui avait découvert la supercherie et accusait à juste titre la chaîne de tourner « La star Academy du pauvre ». Ce journal s’appelle le Petit Journal et les articles de Jêrome Hotta sont toujours consultables en ligne. Si vous pouvez le mettre dans l’article c’est bien car on a besoin de gens comme ça.


Est-ce que vous avez entendu parler du projet caméléon ?

Oui, cette fois France 2 a signé avec Endemol un projet de télé réalité dont le concept était d’envoyer des français vivre dans des tribus primitives et parallèlement de voir comment des individus de tribus primitives s’en sortiraient si on les lâchait dans le monde dit « civilisé ». J’étais au brésil quand on m’a proposé ce tournage. Finalement je n’ai pas été recruté et le projet est mort en cours de tournage, la ligue des droits de l’homme s’y étant farouchement opposée. Evidemment pour nous les journalistes ce genre de projets était l’occasion de voyager et personne n’y trouvait rien à redire. Bref, encore une émission qui n’a jamais été diffusé et qui a pourtant été facturé par Endemol à France 2. Vous comprenez pourquoi je n’ai plus la télé ? Et pourquoi je ne paye plus ma redevance ?


Mais alors comment avez vous vu le jeu de la mort ?

C’est la TSR (Télévision suisse romande) qui me l’a fait passer, ils sont coproducteurs et ils m’ont invité à participer à un débat télévisé avec Christophe Nick et une partie de l’équipe. Les suisses ont moins la pression que nous, ils acceptent davantage les vrais débats. Quand mon livre sur la télé réalité est sorti ils m’ont invité aussitôt sur des plateaux pour en parler, tout comme les Belges. J’ai davantage parlé de mon livre en Belgique et en Suisse qu’en France…c’est drôle non ?


Qu’est ce que vous pensez de la programmation de France 2 ?

Je pense qu’elle ressemble davantage à celle de TF1 qu’à celle d’Arte. Jusqu’à maintenant la matrice était la même que pour les chaînes privées : faire un maximum d’audience pour récupérer un maximum d’annonceurs. Bien que la pub ait été en partie supprimée on est encore dans cette dynamique. France 2 est un grand groupe qui à l’inertie d’un paquebot. Mais je ne suis même pas sûr que la suppression de la pub à court terme va changer la logique de la programmation. Dans le documentaire de Christophe Nick les candidats n’ont rien à gagner et pourtant ils vont jusqu’au bout, je pense que les dirigeants de France 2 sont dans la même situation. Quand bien même ils n’auront plus rien à gagner ils continueront à faire du sensationnel sur France 2 et ils ne s’arrêteront que lorsque le paquebot percutera une banquise.


Philippe Bartherotte que pensez-vous du documentaire de Christophe Nick, Le jeu de la Mort diffusé sur France 2 ?


Ecoutez, quand j’ai publié mon livre l’année dernière, j’ai été invité par Canal + au Grand Journal, mais aussi au Petit Journal. Bref, partout où Canal + pouvait parler de mon livre ils en parlaient. Ils ont considéré que mon livre était un événement puisque c’était la première fois qu’un employé de la télé réalité racontait comment ça se passe derrière les caméras de la télé réalité. En revanche, France 2 a passé mon livre sous silence. Je n’ai pas été invité chez Ruquier. A peine France 5 dans son émission média a fait référence à mon livre en terme négatif, (contrairement à Canal +) remarquant que « gorge profonde » avait le sens du marketing. (En plus je n’avais rien à voir avec gorge profonde puisque je racontais ce que j’avais fait sans me cacher) Or qui d’autre aurait dû parler d’un livre événement dénonçant les dérives de la télé réalité si ce n’est France 2 la chaîne la plus regardée du service public ? Et bien, la vérité est qu’ils en auraient très certainement parlé, s’il n’y avait pas dedans un chapitre entier consacré aux télé réalités de France 2 et au Village notamment. Bref, tout ça pour dire que j’ai trouvé leur documentaire particulièrement hypocrite. En regardant ça je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’ils étaient eux aussi en train de faire souffrir leurs cobayes. Autrement dit en train de faire une autre télé réalité sous prétexte d’aider les gens à y voir plus clair. (Une télé réalité de Service Public) Le débat sur la soumission à l’autorité est extrêmement intéressant mais leurs conclusions sont totalement déconnectées de la réalité et particulièrement malhonnêtes. Si j’ai bien compris ils ont fait un casting, comme on fait pour l’île de la Tentation, pour finalement dénoncer des comportements. Mais le problème c’est bien ce casting, il n’est pas du tout représentatif. Il est orienté pour les besoins de la cause télévisuelle. (Comme celui de l’île de la tentation). L’idée était encore une fois de faire du sensationnel avec un teaser du genre « qu’auriez-vous fait à leur place ». Mais renseignements pris, la grande majorité des gens à qui l’on a proposé de tester une nouvelle émission a dit NON (80 % des gens pour être précis). Les cobayes qui étaient sur la plateau étaient donc un casting de gens super-obéissants…qui ont obéi à la télé parce qu’il lui font une entière confiance…C’est juste un abus de confiance filmé dont les réalisateurs, au premier rangs desquels la présentatrice, étaient les véritables tortionnaires. Je remarque que comme M6 dans ses docu-réalité, le service public a recours à des scientifiques pour donner une légitimité à ses expériences télévisuelle. Ça aussi c’est discutable…d’autant que le protocole de Milgram est aussi discutable…mais bon. Si vous me laissez parler on en a encore pour longtemps car finalement ce documentaire a le mérite, il faut le reconnaître, d’ouvrir des débats intéressants. Mais ça je ne suis pas sûr que c’était le but de France 2. Regardez ou ça nous mène : je suis en train de répondre à votre interview et de dire du mal de la chaîne.


Propos recueillis par Emmanuel Ruhle

Philippe Bartherotte, La tentation d’une île, derrière les caméras de la télé réalité. Editions Jacob Duvernet.


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