France Soir : Olivier Rey veut emballer le poisson

par LM
lundi 24 avril 2006

Les journalistes de France Soir devront racoler large pour écrire leurs papiers : on leur demande de l’alcool, des putes et des larmes pour redresser les ventes. Le tout avec un effectif très string.

Olivier Rey est un journaliste visionnaire. Rédacteur en chef de But, il n’hésitait pas en une, à annoncer des transferts aussi spectaculaires qu’imaginaires. Ainsi a-t-on pu voir sans les voir Batistuta ou Trezeguet à l’OM, en gros caractères, sans réserve, avec la certitude de celui qui a bien tendu l’oreille au bar du coin. Avant But, Olivier Rey sévissait à Stade 2, indécrottable vivier de journalistes brillants et compétents, encore aujourd’hui.

Aujourd’hui, Olivier Rey a décidé de s’occuper du cas France Soir. Avec les mêmes méthodes : des rumeurs, voire des ragots, érigés en vérités absolues, incontestables et irréfutables. Et si on se trompe, ce n’est pas grave, on recommence. Ce qu’il appelle du journalisme.

Extrait : « On ne va pas couvrir un match de foot pour raconter que Juninho a marqué un coup franc. Moi, ce qui m’intéresse, c’est de savoir dans quelles boîtes de Lyon les joueurs sont sortis, après le match, et si Juninho s’est tapé une pute. » Voilà qui est clair. En guise de déontologie, au moins, les bases sont posées. Et nul besoin, pour cela, de conserver un effectif « pléthorique », pas besoin de 112 salariés pour aller observer les coucheries d’un joueur de foot, effectivement. Une trentaine suffiront. Les pages culture ? On flingue. La politique ? On rase. Ou on en parle...différemment. C’est le mot préféré de Rey, ça, « différemment. » Entendez, tabloïdement. Parce que son modèle est là, solidement implanté dans son projet de refonte du journal : imiter les tabloïds anglais, genre le Sun, qui publie cette semaine la photo des fesses d’Angela Merkel en vacances. Passionnant. Journalistiquement passionnant.

L’adjoint d’Olivier Rey, monsieur Brunois, demande, lui, aux journalistes en colère de se montrer réalistes : « Nous n’avons pas les moyens d’envoyer un journaliste suivre le concert des Rolling Stones au Stade de France. Dans un premier temps, les dépêches suffiront. » Donc, plus de journalistes, que des dépêches. Plus de reportages, que des rumeurs. Plus de faits, juste des ragots, des allégations, des extrapolations. De quoi effectivement donner le sourire aux quelque trente trois journalistes restant en poste pour cette nouvelle aventure de France Soir ! Quel journaliste n’a pas rêvé sur les bancs de son école de pister une star de football en guettant l’ultime moment de vérité où il s’en ira avec une fille de joie, pour dépenser une part ridicule de son astronomique salaire ? Quel journaliste n’a pas fantasmé en se demandant si Ségolène Royal portait des strings ou était une adepte du bronzage intégral ? Quel journaliste n’a pas souhaité plus que tout poser la question ultime à un président en exercice, entre un avis sur le Proche-Orient et le dernier film vu, lui demander donc : « Monsieur le président, est-ce que sucer c’est tromper ? » Franchement, quelle carte de presse n’a pas frémi à l’idée de briller de ces (mauvaises) façons-là ?

Monsieur Olivier Rey a raison, le vrai journalisme, celui que les gens attendent, c’est celui-ci, le journalisme façon Cauet, façon Ardisson, façon Fogiel, et d’ailleurs si j’étais lui, je virerais tous les journalistes encore en place pour les remplacer par ces trois-là, en ajoutant Delarue pour les pages bien-être et Arthur pour les pages culture. Ca rime. Enfin non, j’avais oublié, Culture, c’est un gros mot. Pas de quoi sortir son revolver, mais pas loin, selon monsieur Rey. Au diable la culture, au caniveau l’intellectuel, ce qui fait vendre c’est du nichon, des fesses en page 3, comme dans le Sun, ce grand journal indépassable. Donc, pour essayer de résumer le projet, on peut dire que le nouveau France Soir sera un mélange de grossièretés et de ragots, de désinformation et d’hypothèses, de fantasmes et de délires. Un grand quotidien, en somme, prêt à faire trembler Le Figaro, Libération ou Le Monde. Ou Tiercé Magazine. Ou Cuts. Vous savez Cuts, le nouveau journal lancé par Cauet, avec une recette simple : du foot, des bagnoles, des filles à poil et le programme télé. Olivier Rey aurait, je suis sûr, aimé avoir cette idée avant. Au lieu de ça, le voilà obligé de batailler avec des journalistes aigris qui ne comprennent rien, brandissent la déontologie comme si c’était les tables de la loi, bloquent la sortie de son Gala quotidien et le font passer pour un obscur démago. Quelle ingratitude ! Même Alain Delon se déclare outré par son projet ! Même Alain Delon ! « Vous imaginez, un journal sans culture, sans politique, il faudra l’appeler France-people-cheval-cuisine, une sorte de sous Voici  », déclare l’acteur, avant de rajouter : « Lazareff va se retourner dans sa tombe ».

Même Alain Delon est plus lucide qu’Olivier Rey sur ce coup-là, c’est pour dire l’envergure de celui qui veut redonner à France Soir un « second souffle », un « nouvel élan ». Son compère Brunois n’est pas mal non plus, lui qui passe son temps à insulter les grévistes (les traitant, excusez du peu d’ « enculés » et de « salopes », citations extraites du blog des journalistes en grève de France Soir) avant de les avertir qu’ils se fatigueraient « avant lui. » Enculés, salopes, putes, le débat est déjà à la hauteur du journal à venir. Un débat d’idées, qui accepte la contradiction, ne craint pas la confrontation, et souhaite visiblement aboutir...

Blagues à part (même si tout cela ne prête pas forcément à rire), il y a certainement plusieurs façons de faire du journalisme, d’aborder la politique, d’écrire sur la culture, de raconter le sport, mais il y a aussi trente-six façons de faire n’importe quoi, de racoler à n’en plus finir, de rabaisser le niveau pour ramasser tout ce qui traîne, de flatter les plus bas instincts au nom de la prétendue liberté d’expression, sous le fallacieux prétexte de proposer une autre vision des choses, voire de divertir. La ficelle est grosse, l’arnaque évidente, mais, malheureusement pour les salariés de France Soir, parfois, ça marche. 


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