François Cluzet et le prochain martyr

par Paul Lémand
mardi 17 novembre 2009

Le médiateur de France 2 a donné l’assurance à son immense public qu’il reviendrait sur le cas d’un détenu franco-palestinien, Salah Hamouri. Ce sera samedi prochain, 21 novembre 2009

Revenons sur la petite histoire qui agite le microcosme parisien. François Cluzet, l’acteur bien connu, a déclaré dans une émission de Laurent Delahousse, devant un Jean-François Copé désarçonné :

Connaissez-vous, Monsieur le Ministre, Salah Hamouri ? C’est un Franco-palestinien. Il est français de mère, palestinien de père, et il est en prison pour délit d’opinion, simplement parce qu’il a dit qu’il était contre les colonisations et la poursuite de la colonisation.

Le jour même de cette "sortie", Jean-Paul de Belmont réagissait, en léger différé sur Primo, à ces propos ahurissants. Lire l’article en date du 8 novembre 2009 Bouffée anti-israélienne sur France 2

François Cluzet a terminé son propos en dénonçant la démocratie israélienne qui répondrait, selon lui, aux Français en disant « c’est notre affaire ».

Pour commencer, il faut préciser à François Cluzet que l’affaire est jugée et que Salah Hamouri a écopé d’une peine de prison.

Salah Hamouri n’est pas en taule pour « délit d’opinion » ou pour avoir dénoncé les colonisations, car dans ce cas, de nombreux Israéliens seraient derrière les barreaux, mais pour appartenance revendiquée à un groupe terroriste, défini comme tel par l’Union Européenne (lire) et pour tentative de meurtre sur un rabbin en Israël.

Délit d’opinion

Nous sommes loin du délit d’opinion de Cluzet, qui aurait bien voulu faire pleurer dans les chaumières.

A moins bien sûr que préméditer le meurtre d’un être vivant, fut-il rabbin, fut-il Juif, ne soit qu’une "opinion", aux yeux de l’acteur... Dans ce cas, les nazis, à Auschwitz, n’exprimaient qu’une « opinion ».

A entendre François Cluzet, on mesure assez les ravages de la méthode globale qui fut un temps en vogue au sein de l’Education Nationale. Les mots n’ont plus aucun sens. Ils sont interchangeables.

On a connu le même glissement sémantique lorsque les journaux et les politiques ont parlé du « génocide de Jénine » (2002), lorsque 52 personnes, dont 23 soldats israéliens ont trouvé la mort dans des combats.

Les Palestiniens étaient environ 550.000 en 1948. Ils sont aujourd’hui plus de 4,8 millions. De quel génocide était-il question ?

Lorsque Monsieur Cluzet, mécontent des services de son plombier s’exclame « C’est un salaud, je vais le fracasser ! » parce que le niveau de l’eau monte anormalement sur le parquet de sa salle de bain, il exprime, il faut le souhaiter, une opinion.

Mais il n’est pas passé à l’action. Salah Hamouri, si.

Il y a loin d’une opinion à la mise en œuvre. Soyons donc clairs et informons dès maintenant le médiateur de France 2 : Salah Hamouri n’est pas en prison en Israël pour un simple « délit d’opinion ».

Les services de sécurité ont pu l’arrêter avant qu’il ne soit en mesure de mettre en œuvre son plan.

Evidemment, nul ne peut avoir accès au dossier à part l’avocat de l’intéressé, d’où l’impossibilité pour Israël de présenter publiquement son contenu, sauf si son avocat en décidait autrement.

Que Monsieur Cluzet, qui fait partie du comité de soutien à ce détenu palestinien, en fasse la demande à Maître Leah Tsemel, son avocate en Israël, qu’a librement choisi Hamouri pour défendre ses intérêts.

Et si le médiateur a le temps de lire avant samedi, voici ce que l’on peut affirmer

Lors de ce procès, les preuves présentées par le procureur militaire démontraient son implication dans les crimes dont il est accusé. Lors du « plea-bargain » (l’équivalent du plaider coupable dans le droit anglosaxon) que son avocat lui a recommandé de faire, il a plaidé coupable et a été condamné. Il n’a jamais changé de version ni contesté sa culpabilité.

Après sa condamnation, M. Hamouri a choisi de ne pas faire appel de sa condamnation devant le tribunal militaire israélien supérieur, ni même devant la Cour Suprême de l’Etat d’Israël.

Il a eu le droit de demander l’indulgence, ce qu’il n’a pas fait non plus. Le procès a été mené dans une totale transparence avec la complète coopération de son équipe juridique.

Résumons donc les faits

1. Hamouri a eu le droit de prendre l’avocat de son choix, de changer d’avocat comme bon lui semble, et d’avoir recours à la Croix Rouge ou à des associations de droits de l’Homme israéliennes ou étrangères pour plaider son cas.

2. L’avocat a bien décidé de ne pas faire appel devant la Cour suprême de justice. Il admet donc que le verdict est fondé sur des faits avérés et qu’il ne pourra pas en obtenir un meilleur.

3. Hamouri a suivi l’avis de son avocat, puisqu’il n’en a pas changé, pas plus qu’il n’a demandé l’intervention de la Croix Rouge, ni d’une association quelconque.

4. Il est remarquable qu’aucune association des droits de l’homme en Israël, pourtant réputées pour leur pugnacité, n’ait repris à son compte le dossier Hamouri. On pourra consulter les sites de celles-ci : Adalah, B’tselem, Acri,Yesh-din.

Le croirez-vous ? Le nom de Hamouri ne figure nulle part !

En consultant ces sites, on prendra alors la mesure de cette mystification des mouvements pro-palestiniens qui voudraient porter cette affaire devant les médias français. Même les organisations israéliennes les plus critiques vis-à-vis de l’Etat hébreu n’en souffle mot.

François Cluzet était certain de son effet. Seuls de grands connaisseurs de la vie israélienne pouvaient lui apporter la contradiction.

A moins de croire que tous les militants des droits de l’Homme en Israël, juifs et arabes, et qui manifestent souvent et librement en faveur des Palestiniens soient des agents du Shin Bet… Mais là, on atteindrait le stade le plus avançé de la paranoïa.

François Cluzet n’est pas paranoïaque. Il est, soit mal informé et manipulé, soit il se conduit comme un vulgaire propagandiste menteur.

Pour finir avec cette histoire ridicule

En Août 2005, un des complices de Salah Hamouri a fait appel devant la cour Suprême israélienne pour des faits le concernant.

Durant l’exposé des faits, ce complice décrit Salah Hamouri comme membre du FPLP et ayant partie liée à des actions terroristes.

En toute logique, la défense de Salah Hamouri aurait dû réagir. Son client venait d’être gravement mis en cause par un de ses anciens complices.

Que croyez-vous qu’il arriva ?

Rien, justement. Pas un mot, pas un chuchotement de la part de Salah Hamouri. En droit, ce silence signifie bien une chose. Ni l’appelant ni son avocat ne réfutent les faits.

Il est donc admis par des connaissances de Hamouri, dans le cadre d’un procès qui n’avait pas trait à lui directement, que celui-ci était bel et bien reconnu pour ses activités liées au terrorisme au sein d’une organisation, le FPLP.

Ceux qui lisent l’hébreu trouveront ici même les archives de cette cour Suprême disponible sur le Net ici.

Il convient de noter le souci de transparence de ce régime israélien que d’aucun compare au fascisme : les arrêts de la Cour Suprême sont disponibles en ligne. Etonnant, non ?

Le pire est ailleurs

Lorsque François Cluzet parle de « délit d’opinion » concernant Hamouri, il défigure, discrédite le combat de ceux qui luttent pour la liberté d’opinion ceux qui, en Chine, en Libye, en Syrie, en Russie, en Europe de l’Est n’hésitent pas à risquer leur vie pour pouvoir exprimer un avis différent des pouvoirs en place.

François Cluzet ne sait rien, ne voit rien. Il a d’ailleurs bâti une part de son succès sur une vague ressemblance avec Dustin Hoffman avec qui il partage ce tic de ne jamais regarder son interlocuteur dans les yeux, mais toujours un peu en l’air, à droite et à gauche, au-delà de celui avec qui il parle.

Mauvais acteur ? Non, certainement pas. C’est un bon, un très bon.

Mais son regard, comme ses convictions, passe un peu trop rapidement sur ce qui fait chair, sur ce qui donne vie, à savoir le contrat qui devrait lier les êtres humains entre eux et qui consiste à ne pas s’arrêter à la propagande pour tenter d’approcher un peu, sinon la vérité, du moins, une plus exacte vision des choses.

Pour cela, il lui suffirait d’accepter de regarder les gens et les faits EN FACE.

Paul Lémand


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