Gilets Jaunes : les journalistes mal-aimés
par LATOUILLE
lundi 24 décembre 2018
Dominique Rizet, ineffable spécialiste police‑justice BFM TV, s’étonnait de ce que les Gilets Jaunes n’aiment pas les journalistes alors que, disait-il, ils font tout, lui en particulier, pour être impartiaux. Nenni, Monsieur Rizet, comment peut-on penser que les journalistes seraient impartiaux lorsqu’on vous a écouté rendre compte, ces dernières semaines, du mouvement des Gilets Jaunes et plus particulièrement des manifestations. Vos commentaires n’étaient qu’un plaidoyer qui faisait fi de la brutalité policière dont chacun a pu être témoin devant son poste de télévision. Alors que vous expliquiez que le policier qui a sorti son arme de poing pour faire face à des manifestants était en état de légitime défense (l’impartialité aurait voulu disiez : vraisemblablement légitime défense) nous pouvions voir que les manifestants étaient peu nombreux et à une distance certaine du policier, quelques minutes auparavant nous avions vu l’image d’un Gilet Jaune, qui n’avait rien d’un « chien fou », montant paisiblement les marches d’une bouche de métro se faire asperger de gaz lacrymogène par des policiers qui visiblement n’avaient pas fait de sommation. Cette image est relativement anodine par rapport à de très nombreuses brutalités où les policiers se sont montrés d’une violence digne des pays où règnent des dictatures ; combien de fois les a-t-on vus tomber « à bras raccourcis » sur des manifestants qui avançaient les bras en l’air ou qui étaient à terre. Au-delà du discours d’un journaliste c’est la place qui était donnée à la police par les médias, comme si seuls les policiers souffraient, comme s’ils n’étaient pas le bras armé de la violence légitime de l’État, c’est la prime qui leur est octroyée par le président de la République alors que les autres fonctionnaires n’en bénéficieront pas, c’est l’omniprésence des syndicats de policiers sur les antennes de télévision, ces sont les perroquets enrubannés de la majorité présidentielle venant tancer les Gilets Jaunes come ont le ferait à un gamin pris la main dans le sac de bonbons, ce sont ces choses qui créant un contexte quasi délétère renforce le côté négatif du discours. Ainsi le discours journalistique, dans un contexte et avec des mots humiliants, prend un caractère de partialité voire d’iniquité qui, au moins symboliquement, donne un sentiment d’injustice. J’ai développé ce caractère particulier de cette tranche d’information et de l’omniprésence de la police dans mon dernier livre[1] « GILETS JAUNES. Et en même temps ! »
Laissons là le cas particulier des Gilets Jaunes pour nous intéresser à la façon tout à fait partiale dont les journalistes traitent l’information. Il ne s’agit pas de parler d’objectivité ou d’honnêteté, il est question de l’approximation avec laquelle l’information est traitée qui souvent frise une inexactitude susceptible d’entraîner chez l’auditeur une interprétation totalement erronée des faits. Une journaliste au JT de France 2, voulant rendre compte de la situation salariale des fonctionnaires, annonçait que leur salaire est en moyenne de 2200 € nets par mois entraînant ainsi les gens à penser que la plupart des fonctionnaires gagneraient ce salaire. Bien évidemment ce n’est pas le cas et analyser une situation salariale d’une catégorie socioprofessionnelle à travers le salaire moyen ce n’est pas rendre compte de la réalité des revenus des membres de cette catégorie. Pour avoir une juste image de ce que perçoivent, ici les fonctionnaires, il faut utiliser le salaire médian c’est-à-dire le salaire par rapport auquel 50 % des gens perçoivent moins et 50 % des gens perçoivent plus. Le salaire médian de la fonction publique est de 1760 € par mois, 50 % des fonctionnaires perçoivent donc moins de 1760 € par mois ce qui est loin des 2200 € annoncés par cette journaliste. Pareillement lorsque les journalistes annoncent que les dépenses moyennes par Français pour les fêtes de Noël seront d’environ 565 € ça ne rend absolument pas compte de la réalité que vivent les gens : quelqu’un qui gagne 10 000 € par mois va vraisemblablement dépenser plus de 565 € alors que quelqu’un qui gagne 900 € par mois dépensera certainement beaucoup moins. Je pourrais ajouter l’exemple de ce directeur d’une agence de location de vacances interviewé sur France Info qui annonçait que la baisse de son chiffre de ventes cette année était vraisemblablement due à l’angoisse générée par le mouvement des Gilets Jaunes et que cette angoisse disparaissant il espérait voir augmenter son chiffre. Pour lui il n’y a absolument pas de problème de pouvoir d’achat puisque le pack moyen acheté est supérieur à ceux qui s’achetaient l’année dernière. Mais qui achètent des séjours de vacances : les riches ou les pauvres ? Le discours de se directeur d’agence de location de vacances ne rend absolument pas compte de la réalité socio-économique des Français. Il en va de même lorsqu’on nous annonce sur les chaînes de télé et dans les médias en général que le pouvoir d’achat des Français a augmenté. D’abord les chiffres de l’INSEE sont contestables puisqu’ils ne prennent pas en compte le prix du logement, mais surtout la moyenne qui permet d’annoncer cette augmentation ne rend pas compte de la dispersion des réalités vécues par les gens ; il est incontestable que les plus aisés des Français ont vu leur pouvoir d’achat augmenter notamment les actionnaires des grandes entreprises, c’est beaucoup plus discutable pour l’autre extrémité de l’échelle voir pour certaines catégories c’est absolument erroné que de dire que leur pouvoir d’achat a augmenté.
Pour terminer avec la partialité avec laquelle les journalistes donnent des informations je citerai la façon dont ils ont fait reposer leurs commentaires à propos du mouvement des Gilets Jaunes exclusivement sur les chiffres donnés par le ministère de l’Intérieur. Pire les premières semaines ils n’annonçaient même pas que les chiffres étaient ceux du ministère de l’Intérieurs. Aujourd’hui ils le font mais la tromperie demeure dans la mesure où ils ne font reposer leurs analyses quant à la vitalité du mouvement des Gilets Jaunes que sur ces chiffres qui bien évidemment ne peuvent pas être qualifiés de favorables au mouvement.
Une analyse minutieuse et quotidienne des informations distribuées par les médias, plus particulièrement par les télévisions et les radios en continu, montrerait l’absence véritable de recueil d’informations et d’analyse des situations. On expliquera cela par le fait qu’aujourd’hui il faut aller vite, il faut distribuer l’information avant même qu’elle n’existe. Alors adieu le journalisme d’investigation, adieu les analyses des experts, vive le journalisme qui théâtralise le moindre fait en le rendant le plus croustillant possible pour un auditoire dont on présuppose qu’il ne serait qu’avide de sang et de sensations fortes. L’élévation des journalistes au grade d’expert, la quasi disparition des chercheurs dans certaines émissions comme C’dans l’air », ou encore parce qu’on ne peut pas totalement les évincer l’extrême réduction du temps de parole accordé aux chercheurs montrent à quel point les journalistes se sont constitués comme les mentors de la pensée moderne. Ce faisant le journalisme n’est plus un contre-pouvoir dans un État démocratique, il est un pouvoir au service des tenants du pouvoir.
Les gens n’étant pas aussi stupides que les journalistes et les politiciens le pensent, comment peut-on envisager qu’ils puissent apprécier un travail journalistique qui, plus particulièrement dans le cas des Gilets Jaunes, les rabaisse au rang de « simples bouffeurs d’images » incultes et pas loin d’être déficients intellectuels ? Les gens du peuple, ceux du « Parlement des invisibles » ne font pas plus confiance aux journalistes qu’aux hommes politiques, et ils montrent aujourd’hui clairement leur hostilité envers ces deux castes qui les malmènent et les humilient.