Google et les éditeurs
par Didier Durand
mercredi 28 septembre 2005
Google et le monde de l’édition sont en bagarre depuis longtemps à travers de multiples sujets, notamment Google Print et Google News. Les formes de la polémique sont diverses mais le fond reste toujours le même : c’est la violation des droits d’auteur sous une forme ou une autre qui est à chaque fois en question.
Systématiquement, malgré tout, les éditeurs sont partagés. En effet, le revers de la médaille est toujours positif : être bien référencé sur Google amène toujours beaucoup d’audience sur son site ! (et donc des revenus supplémentaires...)
Ce flirt avec la "ligne jaune des droits d’auteurs" est inéluctable : la mission de l’entreprise Google est ainsi décrite sur google.fr :
"Google a pour
mission d’organiser à l’échelle mondiale les informations dans le but
de les rendre accessibles et utiles à tous". Pour
remplir cette mission, il faut au
minimum copier ces données présentes sur le Web afin de pouvoir les
indexer et les structurer pour retourner ensuite les meilleures
réponses aux internautes en quête d’informations de qualité. Il est pas
nécessaire de leur montrer directement cette copie à but d’indexation
mais seulement les URL des pages intéressantes.
Mais cette copie cachée existe et elle représente potentiellement une violation de droits d’auteurs. Associée à un référencement parfois peu clair (absence de photos, de crédit clair, etc.) dans Google News , cette copie a donc déjà été utilisée à de multiples reprises par les éditeurs pour "tenir Google en respect". Le plus offensif des médias traditionnels est, à ce jour, l’AFP qui a engagé une action judiciaire contre Google sur ce thème du "pillage de contenu rédactionnel".
Ensuite,
quand Google, toujours fidèle à sa mission, cherche à transférer en
ligne des livres "du monde physique" en les numérisant, la riposte des
éditeurs est massive : c’est en effet le "core business" historique qui
est en jeu !
La fronde a donc vite grondé, s’est amplifiée pour arriver à son apogée il y a quelques jours : un autre procès par la Guilde des Auteurs toujours sur le thème des droits d’auteurs ("violation massive").
Non content de cette situation, selon le site PaidContent, Google ouvre aujourd’hui la bataille sur un autre front : celui des annonces classées, qui est un business très lucratif. Il représente en effet en général plus de 40% des revenus d’un journal papier traditionnel et quasiment 100% des revenus d’une plate-forme d’annonces classées en ligne. Il s’en prend donc maintenant au "nerf de la guerre". Mais il a tiré les leçons de l’expérience Google Print où il a appris à faire des concessions et à "être poli". Selon le site PaidContent, Google se limite pour l’instant à "demander" leur contenu (par transfert de fichiers) aux grands sites d’annonces classées.
Bien sûr, vu le "climat" (cf. ci-dessus), les éditeurs semblent initialement - toujours selon PaidContent - plutôt enclins à refuser ! La coupe serait-elle pleine ?
Donc, on pourrait voir très prochainement Google enclencher "de force" ses robots aspirateurs de contenus (en fait, ils sont déjà actifs) pour collecter -"crawler" selon le terme consacré - de toutes façons ces annonces sur les pages où elles sont initialement publiées afin de les structurer en un nouveau service vertical qui pourrait fort bien s’appeler "Google Classifieds" (selon le précédent choix du nom, "Google News", je prends peu de risques...).
Aux Etats-Unis, il ne serait pas le premier : Yahoo a déjà dopé son Hotjobs de cette manière il y a quelque temps, Indeed est leader de cette "centralisation du contenu" pour les offres d’emploi, Oodle se développe à vitesse explosive sur l’ensemble des segments d’annonces classées, etc. Si
Google "passe en force", on verra si un procès lui est intenté (alors
que les pionniers US ci-dessus ont été "autorisés" même implicitement)
pour ce futur Google Classifieds. Je parierais que oui ! Ce sera
l’occasion de tester définitivement le sujet sur le terrain juridique.
Dans
les pays francophones, le sujet du crawling et la centralisation sur un
seul site des annonces classées d’un marché a été testé au moins 2 fois au cours de
ces dernières années :
- En France, le "collecteur" Keljob a été déclaré coupable face au "collecté" (contre son gré) Cadremploi. Le "pillage illicite de contenu" a été retenu.
- En Suisse où le Tribunal Fédéral a été plus favorable début 2005. Il a permis à la (petite) société Nexpage
de continuer à centraliser les annonces immobilières en ligne du marché
suisse à la condition qu’elle contine à leur apporter une valeur
ajoutée par enrichissement du contenu original.
Donc,
on voit que la vision juridique sur ce sujet n’est pas encore unifiée
et que des batailles juridiques aux formes diverses et aux résultats
multiples et incertains se préparent en cas de "passage en force"...
Mais, finalement y aura-t-il jamais une bataille juridique sur le sujet ?
En
effet, la différence entre les articles éditoriaux et les annonces
classées est que ces dernières mettent en jeu une tierce partie,
l’annonceur, dont le seul but est d’avoir une annonce la plus visible
plus possible. Il s’agit seulement au fond pour lui afin d’aboutir
au plus vite à la meilleure transaction sans question métaphysique sur
l’appartenance du contenu... Cet annonceur sera-t-il donc enclin à
continuer à travailler avec une plate-forme qui tente d’empêcher
(éventuellement par voie juridique) la découverte de son contenu par
les internautes qui partent des grands noeuds de trafic que sont les
grands moteurs de recherche ?
Mon avis est que les annonceurs fuiront, d’autant que des plates-formes gratuites d’annonces comme Kijiji (de Ebay) , Craigslist ou Vivastreet permettront de contourner sans peine les récalcitrants au crawling d’annonces !
L’entrée
inéluctable (à mon avis) de Google à court terme dans le crawling
global des annonces d’un marché et leur structuration en service
vertical va donner un coup d’accélérateur formidable à la
mutation en cours du marché des annonces classées. Surtout quand le
terrain a été préparé par les autres grands Ebay avec Kijiji et
Craigslist, Yahoo avec HotJobs et même le New-York Times avec Indeed.com (un paradoxe ?) etc. Une
partie de cette mutation profonde sera commerciale : publication
gratuite, position à la place de publication, prix à la performance,
etc. Ce sera le sujet d’un prochain billet !
PS : il y a une corporation qui doit adorer Google : les avocats ! ;-)