Grands dieux ! Le journalisme d’accréditation se rebiffe
par Paul Villach
mardi 29 avril 2008
Il ne faut pas croire ! Le journalisme d’accréditation a son amour-propre. On en doutait un peu depuis les sarcasmes sarkoziens dont il avait été accablé pendant la conférence de presse présidentielle, le 8 janvier 2008 : quand vous êtes à mes basques, lui avait envoyé en substance le président, c’est parce que je vous ai sifflés ; quand je ne veux pas vous voir, vous ne pouvez pas m’approcher et je m’en porte très bien ! Trop bien élevé et dans la crainte surtout d’être privé des sources officielles qui le nourrit, ce journalisme-là avait tout encaissé sans broncher.
Un journalisme derrière et dans les cordes
Mais, mercredi 23 avril, une humiliation supplémentaire a fait déborder le vase : la pose d’un couloir de cordes dans la cour de l’Élysée a écarté les ministres des journalistes qui, jusqu’ici, étaient habitués à les approcher à leur sortie du Conseil des ministres pour recueillir quelques informations données. Du coup, les journalistes accrédités sont entrés en rébellion. Pendant que d’autres, moins susceptibles sans doute, continuaient à mitrailler allègrement la sortie des ministres, certains d’entre eux se sont donné le mot : ils ont fait grève. Ils ont déposé le long des cordes leur précieux matériel, micros, caméras et magnétophones et aux ministres qui passaient dans l’allée ménagée, ils ont fait le coup du mépris : vous ne voulez plus être approchés ? Eh bien, nous regarderons passer la caravane.
Une débauche de moyens pour quoi faire ?
L’événement a le mérite d’inciter à s’interroger sur le bien-fondé de la débauche de moyens que des médias mobilisent autour des grands sous prétexte d’une recherche d’information. Quelle variété d’information peut-on, en effet, espérer obtenir en tendant ainsi un micro à un ministre ou en le filmant de son plein gré ? Ce ne peut être qu’une information donnée volontairement dont la fiabilité est précisément amoindrie par le contrôle qu’exerce le ministre, comme tout émetteur, sur ce qu’il dit et montre. Tout compte fait, ces reporters qui gravitent en nuées autour des grands dans les lieux officiels, ne peuvent espérer jouer d’autre rôle que celui de simples porte-parole, voire de promoteurs du ministre dont ils recueillent l’auguste parole soigneusement calibrée pour la diffuser.
Il n’est surtout pas question de contredire ces éminences ni de les pousser dans leurs retranchements. Ce serait malvenu. Ces journalistes courraient le risque de perdre leur accréditation. Ils sont donc condamnés à enregistrer au mieux une autopromotion ministérielle, au pis une information indifférente avec les banalités qui la caractérisent. Un ministre qui a une déclaration importante à faire, choisit de convoquer des journalistes en d’autres lieux. Quand Mme Kosciusko-Morizet a fait sa fameuse sortie sur « le concours de lâcheté » entre ses collègues, les formules soigneusement calibrées qu’elle a employées montraient que son intervention était mûrement réfléchie ; et elle ne les a pas lancées en sortant de l’Élysée.
Le comble est qu’en posant à terre leur sac de matériel audiovisuel, les journalistes en colère ne paraissent pas avoir montré que la qualité de l’information disponible en a été bouleversée. Qu’a-t-on pu manquer ? Il fait beau aujourd’hui, a confirmé la ministre de la Santé ? La détermination du gouvernement est sans faille, a assuré le ministre de la Défense ? Ces journalistes pourraient déserter la cour du palais de l’Élysée qu’on ne s’apercevrait de rien. Mais alors pourquoi cette mise en scène qu’ils ont tenu à « immortaliser », selon Le Monde du 26 avril 2008, en demandant à un photographe et à un caméraman de BFMTV de la filmer ? Et surtout pourquoi l’avoir diffusée ?
Une transmutation habilement tentée
Cette allée balisée par des cordes n’est-elle pas à elle seule l’image de la voie unique de l’information donnée qu’empruntent comme bon leur semble les hommes de pouvoir et dont ils sont les seuls à avoir la maîtrise : que les cordes soient visibles ou non, il est entendu que les journalistes ne peuvent prétendre outrepasser le balisage informationnel imposé par le pouvoir. C’est la règle du jeu de l’accréditation.
Les journalistes accrédités n’auraient-ils donc pas voulu faire leur propre promotion, comme ils en ont le secret ? N’ont-ils pas, à l’intention de leur public, cherché à retourner cette tenue à l’écart humiliante infligée par le pouvoir en la faisant passer pour la preuve du rôle d’investigation qu’ils jouent et que redoute justement le pouvoir ? On ne se protège que contre ce qui menace. Voyez, bonnes gens, semblent-ils dire plantés en ligne et tenus en lisière derrière les cordes, quels redoutables journalistes d’investigation nous sommes ! La métonymie est limpide, présentant ici l’effet pour la cause : si les ministres défilent dans un couloir de cordes et se tiennent à distance, c’est bien parce qu’ils ont peur de la traque de l’information extorquée que nous pratiquons, celle qu’on obtient à l’insu et contre le gré de l’émetteur et qui est l’honneur du métier...
Ce retournement est astucieux, mais qui trompera-t-il ? Eh bien ! Tous ceux - et ils sont nombreux - qui croient que l’information est une, alors qu’elle comprend au moins deux variétés, l’information donnée et l’information extorquée. Mais le journalisme d’accréditation a beau faire : l’information extorquée ne peut et ne pourra jamais être son domaine car tout simplement il n’en a pas les moyens. L’information donnée reste la seule à laquelle il lui est permis d’accéder. C’est frustrant sans doute et même humiliant surtout quand le pouvoir s’amuse sadiquement à tirer sur la corde qui tient en laisse ce type de journalisme.
Mais, ouf ! On est rassuré ! On a appris que le pouvoir a finalement sinon renoncé aux cordes, du moins décidé de redonner du mou à la bride sur le col du journalisme d’accréditation : les ministres pourront à l’avenir être à nouveau approchés. La qualité de l’information est sauvée.
Paul Villach