Guillaume Dasquié : la source ou la liberté
par Henry Moreigne
lundi 10 décembre 2007
Une perquisition, 40 heures de garde à vue dans les locaux de la DST et, une menace d’incarcération auront réussi à faire plier le journaliste Guillaume Dasquié. Épuisé moralement et physiquement le journaliste indépendant spécialiste des questions de défense et des services secrets qui en savait trop a fini par lâcher aux hommes de la Direction de la surveillance du territoire (DST) le nom de sa source dans l’affaire des fuites de la DGSE sur les réseaux Ben Laden.
Cet acharnement policier et judiciaire était officiellement motivé pour “détention et divulgation au public de renseignement ou fichier ayant le caractère d’un secret de la défense nationale”. Ça c’est la théorie. La pratique, elle, si l’on s’en tient au compte-rendu du journaliste aurait oscillé entre police à la russe et justice à la chinoise. Parce que le hic dans l’histoire c’est que l’article 109 du Code de procédure pénal selon lequel “tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine” aurait été totalement bafoué.
Inconnu du grand public, Guillaume Dasquié est un vrai journaliste d’investigation, cofondateur de geopolitque.com. Un site internet discret consacré à la divulgation, contre abonnement payant, de documents sensibles de tous pays, généralement reproduits sous leur forme originale.
Le 16 avril 2007, il signait dans les colonnes du quotidien Le Monde un article “11-Septembre : les Français en savaient long”, relatant très en détail le niveau d’information des services d’espionnage français (DGSE) sur Ben Laden et Al-Qaida dans les mois précédents le 11-Septembre. L’auteur s’appuyait sur les 328 pages de rapports classés confidentiel-défense produits par la DGSE, entre juillet 2000 et octobre 2001 et fait l’erreur d’insérer des extraits sous forme de fac-similés. Ce qu’il ressort toutefois de l’article c’est que les services français ont alerté leurs homologues américains d’un possible détournement d’avion, dès janvier 2001.
L’article ne passe pas inaperçu outre-Atlantique. Les pratiques françaises sont connues : organiser et contrôler le fuitage. En clair, les informations révélées généralement par la presse française, les pseudo-scoops sont en fait de quasi-communiqués presse de la DGSE. Big brother considère donc qu’en l’espèce il s’agit d’un mauvais coup des Français et manifeste son très vif mécontentement.
Au centre des accusations et piquée au vif la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, dont dépend la DGSE, décide de porter plainte sur la base des articles 413-9 et 413-11 du Code pénal pour violation du secret de la Défense nationale. Le journaliste n’a que peu d’intérêt en lui-même. Ce que l’appareil d’Etat veut c’est la source. Pour cela, il faut mettre la pression. Poliment, mais très fermement, quitte à faire quelques entorses au Code de procédure pénale.
Il est également reproché à Guillaume Dasquié, la divulgation d’un document du ministère des Affaires étrangères relatif à l’affaire Borrel, toujours publié dans Le Monde, en date cette fois du 10 juin dernier mais aussi, la publication de fiches sur son site portant notamment sur les “affaires” dans lesquelles le président djiboutien, Ismaël Omar Guelleh, aurait été impliqué avant son élection à la présidence de la République et sur le rôle qu’il aurait pu jouer dans un éventuel assassinat du magistrat français.
Le parquet par la voix de Laurence Abgrall, magistrat du parquet chargée de la communication a totalement démenti les pressions avancées. Puis face à l’ampleur que prenait l’affaire dans le petit milieu de la presse, le procureur de la République de Paris en personne, Jean-Claude Marin, est monté au créneau pour récuser dans un communiqué le 7 décembre comme “totalement mensongères” les assertions du journaliste Guillaume Dasquié, qui se plaint d’avoir été victime d’un chantage au placement sous mandat de dépôt pour révéler ses sources.
Il reste que l’opération a été couronnée de succès, un agent de la DGSE dont le nom n’a pas été dévoilé a été interpellé. Quant à Guillaume Dasquié, il est désormais soumis à un contrôle judiciaire qui lui interdit d’entrer en contact avec des personnes travaillant ou ayant travaillé avec la DGSE. C’est ce qui s’appelle verrouiller l’information. Tout non-respect le rendrait passible d’une peine de cinq ans de prison et de 75 000 euros d’amende. Dormez tranquilles braves gens. Les secrets français sont désormais bien gardés.
L’organisation de défense de la presse Reporters sans frontières a dénoncé les “procédés abusifs” utilisés à l’encontre de Guillaume Dasquié, estimant qu’on “ne peut pas faire porter la responsabilité de fuites, au sein des services de renseignements ou d’un cabinet d’instruction, à un journaliste qui divulgue des documents méritant, en l’occurrence, d’être portés à la connaissance du public”.
Dans un message à la ministre de l’Intérieur et ex-ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, Guillaume Dasquié s’est déclaré renforcé dans ses convictions à l’issue de l’épreuve et écrit notamment “je pensais exercer un métier, vous m’avez démontré que c’est un sacerdoce. Grâce à vous, une détermination nouvelle désormais me conduit. Le journalisme d’investigation spécialisé sur la raison d’Etat constitue à mes yeux un garde-fou indispensable pour notre démocratie. Il participe à nourrir l’esprit critique des citoyens éclairés. Et à ce titre, il représente un gage de sécurité plus important, plus fondamental encore, que tous les pelotons de la DST réunis”.
Incorrigibles ces journalistes.